A Chaudfontaine le vin coule aussi de source

, par  lapinardotheque , popularité : 2%
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Revenir sur les lieux de son enfance a quelque chose d’à la fois nostalgique et irréel. On reconnaît ça et là les traces de son passage, on se souvient des courses épiques, du BMX rouge et blanc fendant l’air. Y avait de l’invincibilité dans nos dix ans.

Vingt après, les champs sont toujours là, les moutons paissent paisiblement, la route sinue toujours autant. Ce qui a changé ? Ici poussent maintenant des vignes.

Joli clin d’œil du destin : partir à la conquête des vignes d’ailleurs pendant quinze ans, pour les retrouver finalement chez soi, à deux pas d’où on a grandi. Quand j’ai lu que s’était créé un vignoble à Chaudfontaine, j’ai de suite contacté Justine.

Puis-je venir visiter, s’il-vous plaît ?

Elle m’a répondu :

Venez le 28 avril, nous organisons la dégustation de notre millésime 2013.

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Justine est fille de Jean, et d’Yvette. Important, la famille : si la volonté de créer un vignoble vient de Jean, Yvette et Justine ont, chacune, trouvé une place naturelle à ses cotés. Formulaires administratifs, obtention de certification bio, choix de la bouteille, du nom, de l’étiquette… Mais je vais un peu vite.

Pour comprendre, il faut dire le nom : Galler. Parti de rien, ou quasi dans les années 70 : vingt-et-un ans, du culot, l’envie d’entreprendre, un père et un grand-père pâtissiers comme exemple. Petit à petit, l’atelier-boutique de Chaudfontaine grandit. La suite, la success story, tout le monde la connaît. Jean Galler et ses chocolats deviennent bien vite un des emblèmes de la Belgitude.

Forcément, quand on a le palais curieux, il n’est pas idiot de s’intéresser au vin : c’est même évident. Jean prend des cours, se passionne. Tellement que la suite vient en toute logique : créer un vignoble.

Oui, mais où ? En France, comme tant de belges l’ont fait avant lui ? Non. Ailleurs ? Pourquoi chercher loin, quand on a un coteau plein sud, à deux pas de chez soi, et des schistes comme terroir ?

Parce que planter du cep en Belgique est un acte de folie, parce qu’il faut une bonne dose de courage, qu’il faut convaincre les banques "vous savez, on n’a pas d’expérience du vignoble"(sic), qu’il faut accepter de commettre des erreurs, pour apprendre.

Qu’importe ! Ce sera ici. Mieux vaut le vin d’ici que l’au-delà, non ?

Déguster, connaître le vin et en faire sont des choses fondamentalement différentes : Jean prend conseil, auprès de vignerons, bios de préférence. Sa préférence : un choix pour la conduite du vignoble. Il lit, énormément.

J’ai lu trois bouquins sur la taille, mais vous savez, devant le cep, c’est une autre histoire. On comprend pourquoi on fait le geste, grâce à la lecture. Mais elle ne permet pas de l’acquérir, ce geste.

Tailler, amender, prendre soin des raisins. Puis vinifier, comprendre les fermentations, les élevages. Tout ce qui fera un vin.

L’étape suivante, trouver quoi planter sur ces schistes friables : ni une ni deux, les analyses de sous-sol en poche, direction le pépiniériste. Pas n’importe lequel.

C’est là que le monde du vin est extraordinaire : je viens, de Belgique, acheter tout juste quelques centaines de pieds, alors que ce pépiniériste honore des commandes de milliers, de centaines de milliers de ceps. J’y suis superbement bien reçu : mes analyses n’étant pas jugées suffisantes, il me propose d’en faire de nouvelles, pour trouver le bon porte-greffe, celui qui plus qu’un autre ira avec mon sol.

De la haute-couture en quelque sorte. Pareil chez le tonnelier, la commande d’un seul fût de 57 litres est traitée exactement comme s’il s’agissait d’un parc entier de barriques.

Bref, Jean se donne de beaux moyens de réussite. On n’arrive pas au succès sans ça.

En Belgique en ce qui concerne le choix des cépages, il existe deux écoles.

L’une résolument inter-spécifiques, ces cépages d’origine essentiellement allemandes, croisés pour mieux résister à nos vignobles "froids". C’est la voie choisie par Philippe Grafé au domaine du Chenoy : il est d’ailleurs amusant de constater les similarités entre les deux hommes. Des carrières professionnelles réussies, le sens des affaires, un certain charisme et un virage vers la vigne sur le tard, par passion pure. Mais là où Philippe fait le choix des cépages hybrides, Jean souhaite conserver les vinifera.

Lesquelles ? Compliqué. Choisir c’est renoncer. Alors il plante varié, il tente aussi les francs-de-pieds pour certaines. Le temps dira quel cépage se comporte le mieux, duquel on obtient les plus beaux résultats.

On plante. On soigne. On veille. On attend les premiers raisins vinifiables.

Du chardonnay, du pinot noir, du sauvignon, du gamay, bien sur. Des "internationaux" rassurants. Mais plus curieusement de la petite arvine, du furmint (Jean est un fou de tokaj), du gewurztraminer, du chenin, de la roussanne, du sémillon, du pinot blanc, du cabernet franc, de la syrah… De la mondeuse est en projet.

Au début, les vignes étaient étiquetées, pour les promeneurs. Puis, les remarques, pas toujours bienveillantes ont fait cesser cette activité pédagogique.

On me disait "de la syrah, ici, c’est de la folie, ça ne mûrira jamais".

E pur si muove.

Le tout, en bio (mais on ne peut pas l’écrire, encore, la certification est en attente). En réalité, la pratique tire vers la biodynamie : préparats naturels, choix des dates de taille, vendanges, soins de la vigne en fonction du calendrier lunaire, etc. Pour autant, Justine ne demande que la certification bio.

Obtenir un label, c’est important pour nous, pour pouvoir communiquer dessus. Parce que c’est notre envie, et notre volonté depuis le départ de travailler comme ça. On ne demande que le "bio" et pas le "biodynamique". C’est beaucoup de travail administratif pour une si petite production. Bio nous va déjà très bien.

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Long type élégant, Jean est insatiable sur ses parcelles.

Je me suis longtemps demandé s’il fallait planter les rangs d’est en ouest, ou du nord au sud, avec l’intuition que la seconde méthode devait être meilleure. Toutes les vignes qualitatives que je visitais étaient plantées comme ça. On me répondait toujours qu’on faisait comme ça, depuis des centaines d’années. Jusqu’au jour où on m’a expliqué le pourquoi du comment : une histoire simple, encore fallait-il s’interroger dessus.

Résolument bio, par bon sens.

Il y a une vraie vie ici, visible et invisible, des animaux : des moutons, des vaches mais aussi … des blaireaux. Au départ, j’ai bien essayé de les chasser, et puis par hasard, j’ai retrouvé la trace écrite de leur présence déjà au siècle dernier. Qui étais-je moi, pour tenter d’éloigner une espèce présente bien avant moi ? Ce qui compte, c’est de maintenir une certaine diversité.

Au sol, pas d’herbe. Pour autant, celui-ci n’est pas nu : les pieds s’enfoncent dans une masse végétale couvrant les pieds et l’entre-rang.

Je discutais avec un vigneron en bio depuis plus de trente ans et il m’a parlé de cette méthode. On prend du bois, en copeau (surtout, du vivant, l’arbre mort, ça ne marche pas). On le fait tremper dans de l’eau 24 h, on laisse fermenter trois semaines, puis reposer trois mois. Cela donne une sorte de compost très riche, qu’on vient étendre sous la vigne, en couche de 7 cm. Un boulot dingue. Mais je crois vraiment à ses effets : apport d’azote, multiplication du nombre de vers de terres, qui décompactent et enrichissent le sol, maintien de l’humidité, et de la chaleur.

Les vignes sont jeunes, est-ce que cette méthode qui pour l’instant a l’air de fonctionner sera toujours d’actualité dans 10 ans ? Les fermentations se déroulent normalement ?

Je ne sais pas, on verra à l’usure. En tous cas, pour l’instant, ça marche. Les fermentations, toujours avec les levures naturelles se déroulent sans souci. Meme les malolactiques se sont faites très vite.

Jean fait preuve d’une méticulosité dans les soins du raisin assez folle. Des raisins sains, pour se faciliter le vin. A la vigne, les petites mains égrènent les grappes, ôtant sans pitié le moindre grain abîmé ou pourri.

J’ai appris à goûter les raisins, en croquant les pépins. S’ils sont verts, on ne fera jamais du bon vin avec. Alors j’y vais, et je croque. On doit récolter à l’exact point de maturité. J’entendais un vigneron dire qu’il valait toujours mieux récolter à 95% de maturité qu’à 105. Pour moi, c’est inconcevable : on se doit de récolter à 100.

Évidemment, quand on possède 20 ares, on peut se permettre le luxe de l’impossible ailleurs.

Tout est à la fois démesuré (dans l’exigence) et minuscule (dans le nombre de bouteilles sortant de ce mini-vignoble).

Le choix de la bouteille, c’est Yvette. Elle n’aime pas qu’on la mette en avant, mais Jean insiste : "elle a fait beaucoup".

A ancrer son vignoble là où on vit, il faut que ça se ressente aussi sur la bouteille, la fierté d’être liégeois. Justement, il existe une bouteille "liégeoise", bingo !

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Jean fait figurer sur la contre-étiquette "fait à Chaudfontaine, province de Liège".

J’ai choisi de ne pas revendiquer les appellations jardins de Wallonie ou sambre-et-meuse, pour pouvoir être libre de mon encépagement. Mais je suis très fier de produire belge, liégeois. Je me suis souvent plaint des contre-étiquettes où l’on n’indiquait rien, du coup sur la mienne je mets d’où le vin vient, le sol, l’exposition, le nombre de bouteilles produites, la densité de plantation, …

Et le nom ? Très simple : un clin d’œil à l’origine latine du mot septentrion. Au nord, ce n’était pas que les corons.

Lundi, nous étions là pour déguster le millésime 2013 : cinq vins.

On l’a assez dit partout:un millésime compliqué.

Les millésimes compliqués permettent d’apprendre, en un sens, ce n’est pas plus mal de commettre des erreurs ou de se retrouver dans des conditions difficiles maintenant.

2011 et 2012 ont été récoltés : la première vendange a permis d’obtenir 50 litres, d’un vin qui n’a pas eu l’occasion de vivre : piqué.

La deuxième, un peu plus prolixe mais sans doute insuffisamment protégée : le vin a viré et pas du bon bord.

2013 est en quelque sorte le vrai premier vin.

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On commence par l’assemblage de blancs, dix cépages au total. Je m’attends à avoir une acidité du tonnerre : nenni ! Le vin est très plaisant au nez, avec de la pomme, du citron et un peu d’aubépine. En bouche, c’est frais sans trop de tranchant, le fruit est bien là, ainsi que la pointe florale. On le verrait bien autour d’un joli apéritif de saison, légumes croquants et mousses légères. Sauf qu’il n’y en a plus une goutte. Le peu produit est déjà vendu, les deux bouteilles de la dégustation étaient les dernières. C’est dommage ! Voilà un vin dont on parle et qui n’existe déjà presque plus : on attendra 2014.

Vient le chardonnay : lui est passé dans la barrique a contrario de l’assemblage qui n’a connu que la cuve. C’est un très beau chardonnay classique, avec de l’amande, de la brioche, un léger voile fumé, et une bouche autour de la pêche blanche. Le bois demande à se fondre un poil, à mon avis. Cependant, dites-moi à l’aveugle que c’est du belge, je ne vous croirais jamais !

Le pinot blanc est passé dans la barrique, juste un mois, avant le chardonnay, pour assouplir un peu les tanins neufs du fût. J’imaginais que le bois serait très massif et emporterait tout le goût du blanc au passage. Étonnamment non, le pinot est tout à fait guilleret, pas une seconde mou du genou. J’ai aimé la finesse de la bouche, autour de la poire. Très joli pied-de-nez.

Aux rouges : un gamay, first !

Le gamay, si si, le Beaujolais, la Loire, cela vous dit sans doute quelque chose. J’ai voyagé beaucoup plus loin, jusqu’en Suisse. Il m’a rappelé le gamaret, cépage suisse issu de croisement de gamay et de riechensteiner. Faut le faire, un gamay belge qui se prend pour un croisé suisse. Mais j’explique : le nez, légèrement poivre, girofle, cerise acidulée. La bouche ensuite, fine, soyeuse, cerise toujours mais surtout épice. Cette trame là m’a fait penser aux suisses. Une élégance à couper le souffle, une buvabilité pour reprendre le mot à la mode sans simplisme, coup de cœur total.

En dernier, un pinot noir. J’ai des souvenirs mitigés des pinots noirs en terres wallonnes. Moins sur le fruit que le gamay, exhalant un peu plus un coté terreux, il y a moins de soie et plus de velours à côtes. Autre style. Le gamay est dandy longiligne, le pinot noir est un solide gaillard aux joues rouges.

Je crois qu’on peut dire que j’ai été bluffée. Il est merveilleux de constater qu’en goûtant autant de vins, à l’année, on puisse encore être totalement surprise par certains. Surtout avec l’horrible a priori "ce n’est que du vin belge". Mea maxima culpa.

On pourra dire que les prix ne sont pas donnés : tout est relatif. Produire en Belgique, à si petite échelle, avec autant d’exigence coûte très cher : si la démarche n’est pas "commerciale" au sens strict -il aurait sans doute été plus rentable alors de fonder un vignoble ailleurs- il est compréhensible d’au moins vouloir ne pas perdre -trop- d’argent.

Je vais suivre de près le petit vignoble calidifontain, pas seulement parce que son essence même, le fait qu’il soit là, d’où je viens, me fait quelque chose. Mais surtout parce que je crois qu’il y a matière là à faire de vrais beaux grands vins.

Merci Yvette, Justine et Jean de m’avoir reçu avec autant de sympathie et de sourires, quoiqu’il arrive, continuez ! C’est là qu’est la vraie beauté du vin, dans la grâce de l’inattendu.

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Voir en ligne : http://lapinardotheque.wordpress.co...

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