Artistes et hackers, main dans la main

, par  Annabelle Georgen , popularité : 2%

Art Hack Day / Michelle O’Brien http://michelleobrien.net

Vendredi soir, 20 heures. Arthur et les deux programmeurs allemands qu’il connaît depuis seulement 24 heures sont en train de tester l’application qu’ils programment depuis presque autant de temps. Il s’agit d’un photomaton virtuel qui propose à la personne qui se fait photographier de trouver son sosie, dont la photo apparaît en-dessous sur l’écran. Ils ont récupéré pour ce faire les photos des profils Facebook des personnes qui se rendront à l’expo demain soir et ont croisé ces données avec un service de reconnaissance faciale : « Les visiteurs vont pouvoir se prendre en photo et voir si quelque part autour d’eux ils ont peut-être un sosie. Peut-être aussi qu’ils vont se trouver eux-mêmes, si le truc est assez bien fait », explique ce jeune nerd à lunettes français de 23 ans, qui vient d’achever ses études à Barcelone. « L’idée c’est de brouiller les pistes par rapport à cette technologie qui normalement est faite pour te retrouver. On pourrait imaginer que des gens qui ont les mêmes visages pourraient récupérer leurs données, se faire passer l’un pour l’autre face à la censure, à la surveillance. »

Arthur est un habitué des “hackathons”, ces rassemblements internationaux de hackers où ceux-ci passent leurs journées et leurs nuits à coder à plusieurs pour réaliser des prouesses technologiques. C’est le défi artistique posé par le Art Hack Day, un rassemblement créé il y a deux ans aux États-Unis, qui lui a donné envie de venir à Berlin. Ce mélange bien dosé entre artistes et génies de la technique, mais aussi entre ce qu’il appelle « artistes-ingénieurs » et « hackers-artistes », Olof Mathé en est fier. Cofondateur de l’Art Hack Day, lui-même artiste performer et fou de technologie, cet Américano-suédois basé à San Francisco se réjouit des œuvres en devenir : « Demain soir, je suis sûr que nous allons voir des œuvres qui touchent à la fois à des aspects technologiques, artistiques ou politiques. »

Pianotement empressé des claviers

Avec le thème “Going Dark”, devenir sombre, les organisateurs ont eu envie de questionner notre rapport aux traces qu’on laisse sur le web. « Il y a beaucoup de travaux qui s’intéressent à la façon dont les données sont échangées, envoyées, encryptées, et à la façon dont nous pouvons gérer autrement ces informations, pour garder un certain contrôle dessus », explique Daniel Franke, cofondateur du lieu d’exposition LEAP, pour Lab for electronic arts and performance, qui accueille le rassemblement dans ses locaux au pied de la Fernsehturm.

Réunis dans un vaste openspace abandonné, une quarantaine d’artistes bidouilleurs et d’ingénieurs informatiques d’une quinzaine de nationalités planchent sur leurs projets. Il leur reste moins de 24 heures avant l’arrivée des visiteurs. La tension n’est pourtant pas palpable. Au milieu du pianotement empressé des claviers, des bruits de scie et des émanations de fers à souder, la salle est bercée par un brouhaha festif qui ne semble pas troubler les plus concentrés. Sur le google doc partagé par le groupe, la liste des projets s’allonge au fil des heures.

Hacker le ciel de GTA

Akitoshi Honda, 36 ans, a décidé d’« hacker » le quatrième opus du célèbre jeu GTA. Cet artiste-hacker japonais installé à Berlin a écrit un programme en Java et en C++ qui communique avec Yahoo Weather pour synchroniser le ciel du jeu avec le ciel berlinois : « Je me suis demandé : qu’est-ce qui doit devenir sombre ? Le ciel ! Le graphisme du jeu est très beau, très réaliste, mais ce n’est pourtant pas la réalité. J’ai voulu faire main basse sur la frontière entre jeu et réalité. »

23 heures. Sous un ciel d’encre, le designer berlinois Sascha Pohflepp s’amuse à viser la Fernsehturm avec son pointeur-laser fonctionnant à l’énergie solaire. Les pétulantes artistes canadienne et berlinoise Darsha Hewitt et Katrin Caspar, qui ont récupéré des dizaines de piles usagées pour leur projet, viennent le rejoindre sur la terrasse pour commencer leurs expérimentations : « Toutes les piles sont usagées mais il y a toujours un peu d’énergie dedans, avec dix piles cela nous donne 71 volts, on va voir si on peut commencer un petit feu ou faire des étincelles », explique la première. Sa complice explique : « Nous travaillons avec la face sombre de la technologie, avec les déchets toxiques. Nous essayons de voir comment on peut faire naître quelque chose de nouveau avec des choses prêtes à être jetées. » Après quelques essais infructueux, le court-circuit faire naître un feu rapidement maîtrisé, à grands éclats de rires.

“J’ai eu cette idée alors que j’étais aux toilettes”

Retour à l’intérieur. Au fond de la salle, Johan Uhle, étudiant en informatique et lui-même organisateur de “hackathons”, a décidé d’être son propre cobaye. Le nom de son projet a valeur de programme : « Do you want to read Johan’s emails ? ». Avec un autre participant, il est en train de construire une app qui permettra aux visiteurs de consulter sa boîte mail pendant 30 secondes sur un iPad : « Ce sont mes vrais e-mails, c’est très effrayant », s’amuse-t-il, excité à l’idée de cette mise en danger.

« Le visiteur peut décider s’il veut violer ou pas ma sphère privée. Je veux montrer comment on peut se retrouver très vite dans la position de quelqu’un qui épie les autres. J’ai eu cette idée alors que j’étais aux toilettes en train de lire mes e-mails, et j’ai pensé que ce serait la pire violation possible de la sphère privée. Ce qui est intéressant, c’est l’aspect secondaire : on ne viole pas seulement la mienne mais celle des gens avec qui je communique. Je verrai qui va se plaindre demain… »

Minuit et demi. Plus de café. Et plus que deux bouteilles de Club Mate qui se battent en duel dans le frigo. Une des dalles du plafond s’écroule. Les participants ne lèvent même pas les sourcils, trop occupés à coder. Vers une heure, Arthur et son groupe plient bagage, après seize heures d’affilée passées à programmer. Pour la quinzaine de bidouilleurs encore éveillés, la nuit va être longue.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/09/2...

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