Aux-Etats-Unis, un Français fait entrer le hip-hop à l’université

, par  Carole Boinet , popularité : 1%

Jay-Z dans le clip de "99 problems"

Ça vous dirait d’étudier Jay-Z, NTM ou encore Grandmaster Flash à la fac ? C’est désormais possible à l’université d’Arizona, aux États-Unis, où le Français Alain-Philippe Durand, auteur de Black, Blanc, Beur. Rap Music and Hip-Hop Culture in the Francophone World (Scarecrow Press, 2002) et professeur de français à l’université, a ouvert avec l’aide de ses collègues un programme de six cours sur la culture hip-hop au sein d’un diplôme baptisé “Africana Studies”. Un projet universitaire qui fait saliver et qui constitue une grande première, mais qui en laisse plus d’un sceptique. Et il y a de quoi. Car comment étudie-t-on le hip-hop à l’université ? Pour Alain-Philippe Durand, il faut tout d’abord définir ce qu’est le hip-hop, à savoir “une culture à l’intérieur de laquelle il y a plusieurs modes d’expression, comme le rap, la danse ou encore l’art de rue”. Le rap ne sera donc pas la seule forme étudiée. Loin de là. Seront aussi décortiqués, dans une logique d’inter-disciplinarité, les rapports entre le hip-hop et le cinéma, et le hip-hop et l’Amérique latine. Un beau programme en perspective.

De Grandmaster Flash à Public Enemy

Dans son cours, Alain-Philippe Durand se concentrera, lui, sur l’étude de morceaux de rap, d’un point de vue socio-historique plus que littéraire, avec pour référent la notion de paradoxe, sur laquelle repose selon lui la culture hip-hop :

“Le hip-hop a commencé avec des laissé-pour-compte qui prenaient le micro pour se faire entendre. Mais, pour être entendus, ils devaient rentrer un peu dans le système. Certains l’ont fait à 150%, d’autres ont essayé de maintenir une autonomie.”

Et de prendre l’exemple de la scission originelle entre l’underground avec Grandmaster Flash ou Afrika Bambaataa et le mainstream avec Sugarhill Gang, un groupe monté selon lui de toutes pièces par une productrice, et dont le single Rapper’s Delight a été le premier succès de rap, en 1979.

Cette contradiction a toujours nourri le hip-hop” assure-t-il, avant de souligner le problème de légitimité qu’ont certains artistes, “devenus de véritables entrepreneurs” en développant ce qu’il appelle “le marketing du hip-hop“. Exemples (bien connus) : Jay-Z, Kanye West, Sean Combs.

Mais avant d’en arriver là, Alain-Philippe Durand reviendra sur le passage de la culture hip-hop au mainstream, marqué, entre autres, par MTV :

“Au début des années 80, la musique, c’est MTV. Et MTV c’est le rock. En 1983, Michael Jackson sort Thriller. C’est le premier artiste non rockeur qui passe sur MTV. On commence alors à voir des noirs sur la chaîne. Et puis Michael Jackson c’est le moonwalk, un pas mondialement connue qui est une forme de danse hip-hop.”

Autre moment-clé : le duo d’Aerosmith et Run DMC sur Walk This Way, qui constitue, selon lui, “un passage de témoin entre le rock et le rap“. Alain-Philippe Durand ne choisi pas ses morceaux par hasard. Il se penchera par exemple sur le Rockit de Herbie Hancock parce qu’il a “donné un élan au mouvement hip-hop” en montrant qu’un jazzman peut s’y intéresser. Mais, aussi, parce qu’on y trouve du scratch, une technique qui constitue “un acte politique” :

“A l’époque, on n’était pas supposé toucher le disque. La chaîne stéréo était l’objet sacré, il fallait demander la permission aux parents pour mettre un disque. Avec le scratching on va pour la première fois mettre la main sur un disque !”

Le puissant Fight The Power de Public Enemy, qui représente “le côté activiste, “social justice” du rap”, sera, bien entendu, aussi au programme. “Ce morceau reprend l’idée d’Afrika Bambaataa et de la Zulu Nation d’utiliser les mots plutôt que les poings ou les armes pour se faire entendre” explique l’universitaire, qui rappelle au passage que Public Enemy encourageait les gens à voter et à se présenter aux élections.

MC Solaar, NTM… : le rap français étudié outre-Atlantique

Les Français ne seront pas en reste. Les étudiants se pencheront sur la notion de liberté d’expression via le prisme de l’arrestation de NTM en 1995 lors de leur concert à la Seyne-sur-Mer contre le Front National. JoeyStarr et Kool Shen avaient fait, entre autres, répéter au public le fameux refrain de Police : “Assassin de la police…”, écopant, à la suite d’un procès en appel, d’une amende et de deux mois de prison avec sursis. En parallèle, ils étudieront un autre cas impliquant la notion de liberté d’expression, mais cette fois-ci aux États-Unis. MC Solaar, IAM et Doc Gynéco avec son Né ici - qui aborde le thème bien connu de l’immigration- seront aussi de la partie.

Pour Alain-Philippe Durand, les points communs entre les États-Unis et la France au sujet du hip-hop sont légions. Il cite l’immigration mais surtout l’environnement urbain :

“Ici on dit “hip-hop was not born on a farm” : le hip-hop n’est pas né à Kansas City mais dans le Bronx et dans les banlieues comme celle de Détroit. En France, ça a démarré dans les banlieues de Marseille et de Paris”.

A première vue rien de bien différent des autres pays européens. Mais l’universitaire insiste, assurant notamment que “la France a le 2e marché au monde sur le hip-hop après les États-Unis !“. Il tient aussi à rappeler que la première émission hip-hop était française. Présentée en 1984 par le rappeur Sidney sur TF1, H.I.P H.O.P était entièrement consacrée à la danse. Une particularité bien de chez nous selon l’universitaire, qui explique que la culture hip-hop s’est développée dans l’Hexagone avec la danse et non avec le rap comme outre-Atlantique.

“Le vent souffle/en Arizona…”

Pour Alain-Philippe Durand, une des grosses différences entre la France et les États-Unis reste la considération des rappeurs dans la société :

“En France les rappeurs font partie du débat national. On leur demande leur avis sur la politique, la société. Aux États-Unis, durant la campagne présidentielle cette année, les émissions de TV sérieuses n’invitaient pas Eminem, ou Jay-Z ou Kanye West pour discuter politique”.

Pourtant, le hip-hop ne semble jamais avoir été aussi proche de la politique américaine que depuis l’accession de Barack Obama à la présidence en 2008. S’il est besoin d’une nouvelle preuve de cette accointance, citons l’interprétation (en play-back ou non…) par Beyoncé du National Anthem lors de l’investiture d’Obama le 21 janvier. Dès lors, y-a-t-il une corrélation entre l’ouverture de ce parcours et la présidence d’Obama ? Réponse énigmatique d’Alain-Philippe Durand : “c’est un contexte où “le vent souffle… en Arizona” pour reprendre la chanson de MC Solaar, Nouveau Western (rires). On se sent pousser des ailes !” Et si nous aussi on se laissait pousser des ailes ?

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/2...

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