Brigitte : “On aime quand le réseau social est voyeur et exhibitionniste”

, par  Jean-Baptiste Dotari , popularité : 1%
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Brigitte/ Grégoire Mahé

Quel est votre premier souvenir avec Internet ?

Sylvie : Un truc qui rame et qui fait du bruit ! La page qui se charge tout doucement. On te dit que c’est l’avenir et t’es quand même un peu dubitatif. L’avenir, il est lent quand même !

Aurélie : Je me rappelle quand on m’a dit la première fois : “Internet c’est formidable c’est une grande bibliothèque accessible”. Je ne comprenais pas cet objet si lent, on ne savait pas qu’on allait avoir des smartphones ; c’était totalement abstrait pour nous.

Y a-t-il des sites que vous consultez régulièrement ?

Aurélie : Tumblr, j’adore ! Je passe beaucoup de temps dessus, je fais plein de recherches pour des images, c’est un site qui m’inspire beaucoup et qui est assez simple d’utilisation.

Le numérique a-t-il changé votre façon de faire de la musique ?

Aurélie : Brigitte a vraiment été porté par Internet au départ, on en a vraiment senti les effets positifs. On était deux artistes qui avaient fait des disques qui n’avaient pas marché et nous étions un peu boudées par les grosses maisons de disques qui ne voulaient pas écouter ce que l’on faisait. Mais on tournait beaucoup, et MySpace nous a permis de mettre la musique que nous faisions toutes les deux en ligne, et ça a suivi. Quand on a fait la reprise de “Ma Benz” il s’est passé quelque chose pour nous sur Internet et ça nous a sauvées. Si on avait attendu après les directeurs artistiques et les maisons de disque ça aurait été bien plus compliqué. La liberté que tu as dans cet espèce de jungle qu’est Internet est assez cool.

Sylvie : Et puis il y a plus de 10 ans, Internet c’était une fenêtre accessible à tous les groupes locaux, c’était une chance incroyable pour nous tous qui galérions de pouvoir faire écouter notre musique de manière libre. MySpace, c’était révolutionnaire, un espoir énorme pour tous les petits groupes.

Aurélie : Surtout dans une ère où tout le monde nous répétait que la musique devait être rattachée à la radio.

Vous pensez qu’aujourd’hui un artiste peut réussir sans Internet ?

Aurélie : Il n’y a pas de règles, tout est possible. J’imagine qu’on sera toujours surpris par ce qui va arriver, et heureusement.

Et vous pensez qu’Internet handicape les artistes indépendants au profit des grosses maisons de disques ?

Aurélie : Non je ne pense pas. Mais en tant que consommateur, on se lasse, on change très vite. Du coup c’est peut-être plus ça le problème, ça fait de tout quelque chose de très éphémère. On a un tel flot d’images et de musiques qui viennent à nous que parfois, les gens ont peut-être plus de mal à créer des choses qui viennent d’eux. Ils vont un petit peu trop emprunter à d’autres gens ! Mais c’est normal.

Sylvie : C’est un canal médiatique avec des sites plus ou moins consultés, c’est en ça qu’Internet est intéressant. Si t’es un jeune poète avec 100 abonnés à ton blog t’as une chance de te faire connaitre sans le biais d’un professionnel, c’est quand même une nouveaut é ! Si on fait quelque chose de totalement nouveau on peut avoir une visibilité sur Internet. Ensuite à nous d’être originaux et innovant. Il y a quand même un nouveau truc maintenant, c’est assez gênant, c’est la demande de partage, on doit tout partager.

Aurélie : Après chacun fait son Internet. Les réseaux sociaux ce n’est pas que Internet. Le réseau social c’est un truc hyper séduisant et chronophage, tu peux passer des nuits à attendre, sans savoir quoi. C’est un peu l’amant pas sympa ! Je cours beaucoup et, dernièrement, j’ai découvert les podcasts. Mon porno à moi, c’est France Culture ! Je mange ça du matin au soir. J’ai l’impression de moins perdre mon temps que devant un réseau social où je vais devoir faire des vidéos avec des grimaces. En même temps je peux rester accrochée à mon téléphone et faire quelque chose qui me nourrit.

Sylvie : Hier j’étais chez des amis et il y avait de jeunes adultes, entre 20 et 23 ans, et on parlait du rapport amoureux compliqué à cause du téléphone. Aujourd’hui quand t’as un date, c’est interdit de rappeler jusqu’à 3 jours après, quand t’envoies un message tu peux voir si la personne est connectée, mais qu’elle ne te répond pas (alors c’est mauvais signe !). Ça a rendu les gens complètement parano ! Il y a des espèces de règles incroyables et compliquées pour savoir comment tu dois te comporter.

Aurélie : Moi ce que j’aime dans le réseau social c’est quand il est voyeur et exhibitionniste. A partir du moment où il arrête de l’être, il perd tout son intérêt. On aimait Facebook quand les gens racontaient toute leur vie. Aujourd’hui ça a beaucoup changé, les gens se livrent beaucoup moins. Ils partagent des articles faits par d’autres et ne se mettent plus en danger parce qu’il y a eu une espèce de mode qui disait que c’était chiant d’étaler sa vie. Les gens se sont alors jetés sur Instagram parce qu’ils pouvaient de nouveau étaler leur vie et aujourd’hui pareil, Instagram on commence à dire que c’est chiant parce que tout le monde raconte sa vie, et du coup Instagram va commencer à mourir, pour Snapcha t ! Parce que, à nouveau, on peut étaler sa vie et en plus ça disparaît ! Il faut assumer le côté voyeur d’Internet.

Avec le clip de L’échappée belle, vous faites un pas dans le numérique avec les dessins animés. Comment vous est venue l’idée ?

Aurélie : Naturellement. Depuis le départ il y a beaucoup de dessins dans notre iconographie. On a travaillé avec une dessinatrice qu’on aime beaucoup, Delphine Cauly, qui tient le blogété 1981 . Naturellement on s’est dit qu’après toutes ces belles images qu’on a faites, que ce soit pour notre site ou les pochettes, ce serait chouette de faire un film d’animation. Ça me paraissait impensable de faire un dessin animé, je pensais qu’il n’y avait que les énormes groupes comme Radiohead qui pouvaient faire ça ! Et nous sommes allées dans un studio de production de dessin animé avec le projet et ils nous ont dit oui ! On a mis deux mois et demi, ce qui est long pour un clip. Mais le résultat est super, tellement poétique, avec les dessins on peut raconter ses fantasmes et les choses les plus simples.

Vous vous tenez au courant des nouveautés numériques ?

Sylvie : Comme tout le monde ! Je ne sais pas si on est à la pointe mais un peu quand même. On a d’ailleurs envisagé de faire un clip en 360°, qu’on n’a finalement pas réussi à faire, mais on le fera surement un jour. C’est intéressant d’imaginer comment le futur va être.

Ça vous arrive d’écrire sur vos téléphones ?

Sylvie et Aurélie : Nous n’écrivons que sur papier !

Aurélie : Mais c’est marrant je bosse sur un projet en ce moment avec quelqu’un. Moi j’ai mon ordinateur et cette personne ne fait que prendre des notes sur son téléphone quand on se parle. Je trouve ça fou. C’est vrai que c’est lié à l’ordinateur parce que tu envoies les notes après… Mais j’aime encore le contact du papier, le téléphone c’est plus un assistant.

Vos textes parlent beaucoup de rapports humains, qu’ils soient amoureux, éphémères, imaginaires… Est-ce que vous pensez que le numérique a diminué le rapport charnel ?

Aurélie : Je ne suis pas sûre, je crois qu’il a donné quelque chose de beaucoup plus crû. On ne voit pas les sourires derrière un ordinateur, alors à un moment donné il faut se faire comprendre et on doit dire les choses plus clairement. Il y a des gens timides qui peuvent se libérer. Il y a quelque chose de plus frontal.

Sylvie : Je ne sais pas si les gens timides sont moins timides derrière un écran, j’ai l’impression que les relations entre les gens sont à la fois plus proches et plus éloignées, car oui on est peut être en contact avec des gens à l’autre bout du monde et qu’on vois pas tous les jours, mais en même temps avec les gens qui sont proches de nous, alors qu’il serait plus simple de se voir, on s’envoie des SMS. On utilise les écrans comme on a envie, soit pour se rapprocher soit pour s’éloigner. La manière dont les gens utilisent le numérique, notamment avec la sexualité, c’est sans engagement. Les gens ont tellement de mal à s’engager.

Aurélie : On consomme tout et on consomme plus vite. On est vraiment la génération de l’obsolète.

Et d’ailleurs, les sites de rencontres ?

Sylvie : Je crois que je suis trop vieille pour ça !

Aurélie : Moi si j’avais été plus jeune et plus anonyme, je serais bien allée voir ! Je suis curieuse de tout. Je me dis que l’excitation, parce qu’en fait on se dit “c’est très triste, les gens n’ont pas la chance de rencontrer d’autres personnes“, alors que ce n’est pas vrai. Parce que en général t’es dans un café, t’es avec tes potes, et tu sais que quelque part au bout du bar il y a quelqu’un d’autre, que tu pourrais rencontrer et qu’il pourrait se passer quelque chose.

Sylvie : Je suis un peu frustrée aussi, de me dire que je n’aurai jamais vécu ça.

Aurélie : Je trouve ça assez excitant, le jeu. C’est un nouveau moyen, ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas autre chose, ça ne remplace pas, c’est quelque chose en plus.

Si je vous dis Twitter

Aurélie : Info

C’est utile ?

Aurélie : Je me suis saoulée, épuisée de Twitter pendant les attentats. Pour moi c’est lié a quelque chose de sombre. C’est quand je cherche à savoir.

Alors que j’aime bien les avis des copains qui s’écrivent sur Facebook, quand quelqu’un écrit un petit billet d’humeur, un mot d’esprit, j’adore ça. Sur Twitter je m’en fous, je veux juste l’info.

Vous rappelez-vous de la dernière chose qui en terme de numérique vous a vraiment chamboulées ?

Aurélie : Moi j’ai été très choquée il n’y a pas longtemps. J’étais en terrasse de café et passe devant moi quelqu’un que j’avais rencontré à Palm Spring quelques mois auparavant. On se fait la bise, on prend de nos nouvelles et puis salut. Cinq minutes plus tard, Facebook me propose de devenir ami avec cette personne. Alors je sais qu’on est connecté, qu’on est géolocalisé, mais je me dis que tout ce qu’on croit être de la liberté… Est-ce qu’on est vraiment libre ? Sylvie ?

Sylvie : J’ai changé de téléphone il n’y a pas longtemps. Et de pouvoir changer de téléphone en 5 minutes, garder les contacts, les mails, les notes, les photos, les SMS… Je trouve ça quand même génial ! (rires). C’est l’esprit pratique de base mais c’est génial.

Pour finir, j’imagine que vous écoutez votre musique sur votre téléphone avec les écouteurs ?

Aurélie et Sylvie : Oui

La dernière chanson que vous avez écoutée ?

Aurélie : Je vais te le dire tout de suite…Ah ! Moi c’est A-Wa ! J’ai acheté l’album ! J’adore ces trois nanas et je suis super contente que ça existe !

Sylvie : Alors moi j’écoute des répétitions parce qu’on prépare un concert spécial en juillet ! Mais sinon en musique j’ai écouté Arno , son dernier album que je trouve super.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Dotari

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/06/1...

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