“C’est la planète toute entière qui est en guerre”

, par  Anne Laffeter , popularité : 1%
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Reuters

Les risques d’attentats avaient été annoncés à la fois par des groupes terroristes et des juges antiterroristes. Pouvait-on s’attendre à une telle ampleur ?

Jean de Maillard – On est dans une vigilance permanente car la menace est permanente. Elle est prévisible tout en étant imprévisible. On sait qu’il y aura des attentats mais ni quand ni comment. La vulnérabilité de nos sociétés est très importante. Les cibles sont innombrables et les modes d’action sont très simples. Il suffit d’avoir des Kalachnikovs et quelques pains d’explosif pour faire des massacres. Cette problématique apparait à la fois comme nouvelle et permanente.

C’est-à-dire ?

On est en train de comprendre –ce qui n’était pas le cas encore il y a quelques semaines lors des débats autour de la loi renseignement – que nos sociétés sont extrêmement vulnérables et qu’elles n’auront jamais la possibilité de se protéger totalement. Les menaces sont polymorphes et à toutes les échelles. Une menace macro-politique et géopolitique comme la menace terroriste se décline à toutes les échelles, planétaire, continents, régions sensibles comme le Moyen-Orient, dans nos propres pays et dans les zones urbaines. Tout cela est relié et fonctionne en réseau.

Ces attentats prouvent qu’on ne peut s’extraire de la violence du monde ?

De moins en moins. J’appelle ça la fractalisation du monde : elle s’organise de la même manière à toutes les échelles, comme une fractale et les menaces aussi sont fractales. Elles se reproduisent du niveau macro politique au niveau micro politique. Cette fractalisation du monde, c’est exactement ce que nos systèmes politiques modernes mis en place depuis le XVIIIeme siècle avaient contribué à éliminer. Aujourd’hui, au travers d’une violence extrême à Paris ou en Syrie, cette fractalisation se substitue à notre ordre politique moderne organisé autour des Etats permettant une pacification interne au sein des pays. Tout cela vole en éclat.

Comment lutter contre ces nouvelles menaces ?

Lutter contre ces nouvelles formes de menaces nécessite d’avoir une autre approche de la compréhension de nos sociétés et de la protection de nos sociétés. Mon syndicat, FO magistrat, a défendu l’approche de la loi renseignement. Il faut aujourd’hui utiliser les nouvelles technologies comme instruments de lutte. Elles permettent d’utiliser les informations du Big Data. Personne ne réagit lorsque c’est Google ou Amazon qui les utilisent pour faire du commerce et connaitre leur clientèle. Mais dès que ce sont des Etats qui veulent le faire pour assurer leur protection, on assiste à une levée de bouclier. C’est une grande erreur. Cela ne veut pas dire qu’il faut les utiliser n’importe commun au nom de la lutte contre le terrorisme.

Les ennemis de cette loi disent que c’est une atteinte aux libertés…

A mon avis, ils ont mal compris dans quel monde on vit, un monde interconnecté dans lequel il y a une liberté de circulation des informations, des biens, des marchandises, des hommes, quasiment incontrôlable. Le seul moyen de mettre en place des moyens de protection c’est de surveiller les flux. Si on ne contrôle pas, on est totalement aveugle. Aujourd’hui, il n’y a plus de frontières. On voit bien que des pays essaient de fermer les frontières mais ils n’y arrivent pas.

La décision de fermer les frontières prise par François Hollande, au-delà de l’annonce politique, est-elle justifiée pour contrôler les flux ?

Non, on est face à des situations qui à partir du moment où elles sont massives, ne peuvent plus être empêchées. Fermer les frontières permettra d’empêcher la plupart des entrées en Europe ou sur le sol national, mais on ne peut pas maintenir en permanence des dispositifs de quadrillage quasiment militaires. Il faut être raisonnable, on n’a pas les moyens et en plus cela transformerait nos sociétés en sociétés militarisées. La fermeture des frontières par des moyens policiers et militaires est possible sur un temps très court, mais que cela ne peut éliminer la présence des menaces qui existent chez nous comme ailleurs. On ne pourra de toute façon pas la maintenir sur le long terme. La question est : comment peut-on garder par d’autres méthodes un contrôle sur ces flux que l’on ne peut pas empêcher sur le long terme ? Pour cela, il va falloir que tout le monde fasse un effort. Les moyens technologiques peuvent permettre d’améliorer les moyens de luttes contres ces nouvelles menaces.

Ces attaques mettent-elles en lumière l’échec des services de renseignements français ?

C’est très difficile à dire. On ne sait pas combien d’attentats de cette nature ils ont pu éviter. Il est sûr que c’est un coup terrible. Mais n’aurait-on pas eu de situations pires encore ? On est toujours en retard sur la menace d’aujourd’hui et de demain. On réfléchit sur ce qu’on connait déjà, alors qu’il faudrait anticiper. En 2001, aux USA, le problème n’était pas celui de la collecte d’informations -ils les avaient- mais ils n’avaient pas compris les nouvelles formes que prendraient les attaques. Ils n’ont pas été en mesure d’analyser les éléments qu’ils avaient.

Les scandales de la NSA nuisent beaucoup à l’image de la loi renseignement…

Certainement, mais notre conception du renseignement n’est pas celui du renseignement américain. Ils ont une conception qui est celle de la pêche au chalut. Ils ont les moyens technologiques de le faire. Ils contrôlent Internet. La France n’a pas les moyens technologiques de jouer à la NSA. Il faut aussi préserver nos services de renseignements de l’envie de se comporter comme la NSA. Mais ce n’est pas en les traitants de suppôts de la NSA que l’on fera avancer les choses. On ne peut plus faire de renseignements sans utiliser les métas donnés numériques. Mais ce ne sont pas des robots qui feront le renseignement : il repose aussi sur l’analyse de l’information.

Il est facile de trouver des kalachnikovs et des pains d’explosif aujourd’hui en France ?

Cela fait déjà longtemps. Le conflit de l’ex Yougoslavie a permis cet approvisionnement. On peut disposer de tous les matériels que l’on veut aujourd’hui sur le sol français.

Il semblerait aussi que c’est la première fois qu’il y a des attentats kamikaze sur le sol français…

On est en train de franchir un cap dans lequel il n’y a plus de sanctuarisation, plus de différences concevables entre ce qui se passe en Irak et en Syrie. Reste des différences d’échelles. Mais la nature des affrontements se généralisent partout de la même manière.

Diriez-vous qu’on est aujourd’hui dans un état de guerre semi permanent auquel il faudrait s’habituer ?

Le terme de guerre se réfère à des situations passées dans lesquelles des luttes sont engagées pour le contrôle d’un territoire. Le problème des menaces actuelles c’est qu’elles sont multi territorialisées, polyterritorialisées, elles sont partout. Les concepts de la guerre traditionnelle ne sont plus applicables. Si on prend le terme de guerre sous son angle métaphorique, effectivement, on est dans un affrontement de valeur et de civilisation. C’est la planète toute entière qui est en guerre. Les valeurs de Deash sont pour nous le comble de l’abomination, et inversement. C’est un conflit irréductible de valeurs civilisationnelles avec un groupe qui a de forts encrages territoriaux.

Propos recueillis par Anne Laffeter

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/11/1...

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