CO2 : le Parlement européen garantit le droit à polluer

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Le Parlement européen a sans doute donné, hier, le coup
de grâce à un marché européen des quotas de C02 déjà fort mal en point. Par 334
voix contre 315 et 63 abstentions, les députés, réunis à Strasbourg en session
plénière, ont enterré la proposition de la Commission de geler 900 millions de
tonnes de droits à émettre des gaz à effets de serre. L’exécutif européen
espérait ainsi stabiliser un marché du carbone en chute libre : entre
2005, date du lancement du « système communautaire d’échange de quotas
d’émission » (SCEQE), et aujourd’hui, le prix de la tonne est passé de 30
euros la tonne à moins de 5 euros, ce qui n’incite évidemment pas les
industries les plus polluantes à investir dans des modes de production plus
respectueux de l’environnement. Mais, crise économique aidant, les députés
n’ont pas hésité à sacrifier la politique climatique de l’Union, la plus
ambitieuse du monde, sur l’autel des intérêts industriels.



Après le vote des eurodéputés, la tonne de carbone a
chuté à 2,63 euros avant de remonter à 3 euros. « Mais elle va rapidement
tomber à zéro, car il a trop d’offres de quotas par rapport à la
demande », prédit Claude Turmes, un écologiste luxembourgeois spécialiste
de l’énergie. Actuellement, il y a deux milliards de tonnes en excédent sur les
8,5 milliards de tonnes de droits à polluer disponibles dans l’Union et, même
avec 900 millions en moins, cela n’aurait sans doute pas suffi à faire remonter
son prix à 10-12 euros comme l’espérait la Commission. Pour le Vert français
Yannick Jadot, « c’est 1,4 milliard de tonnes » qu’il aurait fallu
retirer tout en diminuant en même temps le plafond des émissions de CO2 pour
sauver le système. « La proposition de la Commission était une mesure
d’urgence en attendant de remettre à plat le SCEQUE après les élections
européennes de 2014 et l’élection d’une nouvelle Commission », explique
l’eurodéputé Claude Turmes.

Pourquoi le SCEQE, pierre angulaire de la politique
climatique de l’Union, a-t-il failli aussi spectaculairement ? Au départ,
l’idée est simple : toute entreprise qui émet du CO2 doit acheter des
droits à polluer sur le marché et, s’il en possède en excédent, il peut les
revendre. Évidemment, l’intérêt est de pousser les pollueurs à investir dans des
énergies vertes afin de ne pas grever leurs coûts. Ainsi, les quotas se
raréfieront tout en se renchérissant au fil du temps grâce au cercle vertueux
ainsi mis en place. Quant aux fonds tirés de la vente, ils auraient dû
permettre de cofinancer les investissements dans les énergies renouvelables et
les nouvelles technologies comme la capture et le stockage du CO2.

Voilà pour la théorie. Mais pour ne pas handicaper ses
11.000 entreprises soumises à ce système, l’Union a décidé d’attribuer, dans un
premier temps, des droits à polluer gratuits, celles-ci ne payant que le
surplus. Ce n’est qu’à partir de cette année que la moitié des quotas devaient
être mis aux enchères. Le problème est qu’il « y a eu une surallocation de
quotas et les entreprises les ont stockés. Une boîte comme Mittal, alors
qu’elle ferme ses hauts fourneaux, continue à percevoir des quotas, ce qui n’a
aucun sens », s’indigne Claude Turmes. Le fabricant indien a ainsi dans
son portefeuille 123 millions de tonnes de droits à polluer, suivis par le
cimentier français Lafarge (38 millions). De fait, aucune entreprise n’a jamais
utilisé la totalité des quotas alloués par la Commission. Surtout, la crise
économique et la chute de la production industrielle (et donc de la pollution)
ont achevé de déstabiliser le système.

La droite européenne (PPE), dont les préoccupations
environnementales sont étroitement indexées sur la sensibilité du moment de
l’opinion publique, a compris que le vent avait tourné depuis l’aggravation de
la crise économique. Aiguillée par les industriels allemands, comme BASF, mais
aussi Business Europe, le lobby du patronat européen, la droite a vu dans la
proposition de la Commission l’occasion de porter un coup peut-être fatal à une
politique qu’elle n’aime guère : « la ligne de clivage n’est pas national,
mais passe est entre les environnementalistes et ceux qui ne veulent pas
accabler les industriels », résume le député UDI Dominique Riquet qui a
soutenu la proposition de la Commission (
l’UDI siège au PPE avec l’UMP).

Sentant le danger, six gouvernements (Allemagne, France,
Grande-Bretagne, Italie, Suède et Danemark) ont écrit aux eurodéputés pour les
implorer de voter pour la proposition de la Commission sinon « huit
années d’actions contre le réchauffement climatique seront
perdues » : « nous avons besoin d’un signal efficace sur les
prix si nous ne voulons pas mettre en péril nos objectifs à long terme ».
Cela n’a pas suffi. L’UMP Françoise Grossetête, « notre chevalier noir de
l’industrie », selon l’expression ironique de Riquet, a expliqué à
Libération que la Commission « fait le jeu des fournisseurs d’énergie et
oublie les clients. Faire monter les prix de l’énergie en période de crise, ce
n’est vraiment pas le moment ».

Au final, les gros bataillons du PPE soutenus par la
moitié des libéraux (dont le FDP allemand), les eurosceptiques, les europhobes,
ainsi que 24 socialistes, ont fait pencher la balance du côté des industriels.

Et comme une mauvaise nouvelle ne vient jamais seule,
les députés ont massivement approuvé, hier, de reporter d’un an l’inclusion du
CO2 émis par les avions dans les droits à polluer. Officiellement, il s’agit
d’essayer de parvenir à un compromis au niveau mondial après qu’Américains et Chinois
aient menacé de prendre des mesures de rétorsion… On peut cependant douter que
les Européens remettent un jour ce dossier sur la table : « on peut
dire qu’on a vraiment débranché la politique environnementale européenne »,
tempêtait, hier, Claude Turmes. (Les votes nominatifs sur les deux rapports sont ici).

Photo : Reuters

N.B. : Article paru ce matin dans Libération

Cet article est repris du site http://bruxelles.blogs.liberation.f...