Ciao Barroso !

, par  Quatremer , popularité : 1%


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Depuis la signature du traité de Rome en 1957, seuls trois
hommes ont occupé la présidence de la Commission durant dix ans :
l’Allemand Walter Hallstein (58-67), le Français Jacques Delors (85-94) et,
enfin, le Portugais José Manuel Durao Barroso (04-14). Si les deux premiers ont
durablement marqué par leurs ambitions et leurs réalisations la construction
communautaire, ce n’est pas le cas du dernier : rares seront ceux qui
regretteront le départ, normalement prévu le 31 octobre 2014, de ce maoïste
devenu premier ministre conservateur et farouchement atlantiste de son pays
(2002-2004). Son discours sur « l’État de l’Union », prononcé
mercredi dernier à Strasbourg devant le Parlement européen, a été à la mesure de
ses deux mandats : sans souffle, louvoyant, soucieux de ne déplaire à personne
et, surtout, dénué de toute vision d’avenir. Une occasion manquée, une de plus
diront ceux qui suivent « dur argileux » (son nom en portugais) depuis
son arrivée à Bruxelles, alors que les élections de mai 2014 s’annoncent à haut
risque pour une Union confrontée à une défiance sans précédent de ses citoyens.



Introduit par le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin
2009, le discours sur « l’État de l’Union » se voulait une réplique
de son ainé américain, une façon d’obliger les présidents de l’exécutif européen
à se montrer plus politique et programmatique. Si l’exercice a suscité un
intérêt certain au départ, ce n’est plus le cas après seulement trois éditions.
L’hémicycle quasiment désert et les maigres applaudissements qui ont accueilli
le discours du président de la Commission en disaient long sur le total désintérêt
des députés pour un homme qui a montré son incapacité à peser sur l’agenda
politique européen. C’est peu dire qu’il entame sa dernière année de mandat
totalement démonétisé.

Pourtant, comme Durao Barroso n’a aucune chance d’être
reconduit pour un troisième mandat, il aurait pu livrer un discours de combat,
une sorte de testament politique, quitte à se fâcher avec les gouvernements qui
l’ont nommé. Car, si la crise (obligataire) de la zone euro est terminée, ce
n’est le cas ni de la crise économique, comme le montre la croissance atone, ni
de la crise démocratique qui, elle, ne fait que commencer. Cette dernière est
sans doute la plus grave, car elle permet aux eurosceptiques de tout poil de
dénoncer une Europe non seulement incapable de procurer des emplois, mais une
Europe ayant confisqué une part non négligeable de la démocratie. Or, s’il y a
un domaine sur lequel le président de la Commission peut peser afin que les États
réagissent avant qu’il ne soit trop tard, c’est bien là.

Chacun a plus ou moins conscience que l’Union s’est
profondément transformée au cours des trois dernières années. Pour le mieux, en
accélérant son intégration financière, bancaire, économique, mais aussi pour le
pire, en n’allant pas au bout de la solidarité financière (refus des euro-obligations
par exemple) et en refusant d’instaurer un contrôle démocratique. La zone euro
est désormais gérée par une technocratie composée du Conseil européen des chefs
d’État et de gouvernement, des ministres des Finances et de la Commission, des aréopages
qui n’ont collectivement de comptes à rendre à personne. La
« troïka » vilipendée dans les pays sous assistance financière est
l’incarnation anonyme parfaite de cette dérive que Jurgen Habermas qualifie
« d’autocratie postdémocratique ».

La seule façon de sortir de cette impasse technocratique est
de créer une fédération ou si l’on préfère une « République
européenne », selon l’expression imaginée par Ulrike Guérot, responsable
du bureau berlinois de l’ECFR (European council on foreign relations) : il
ne s’agit pas de transférer davantage de pouvoirs à Bruxelles, mais de rendre
chaque niveau de pouvoir responsable devant une assemblée élue. D’ailleurs, la
Commission a adopté, en décembre 2012, une communication qui met en garde les États
contre cette dangereuse dérive de l’Union. Mais depuis, plus rien. Les gouvernements,
rassurés par le calme retrouvé des marchés, ne veulent plus, après en avoir
caressé l’idée, se lancer dans une réforme des traités jugée politiquement
hasardeuse, notamment en France.

De tout cela, Barroso n’a dit mot. Pourquoi ? Car le
président de la Commission est déjà passé à autre chose. Son discours,
uniquement prononcé en anglais, est en réalité un discours de campagne :
ce n’est un secret pour personne qu’il veut obtenir le poste de secrétaire
général soit de l’OTAN, soit de l’ONU. Pourquoi prendre le risque de déplaire
en mettant en garde les États ou en prononçant des mots qui fâchent comme
« fédération » ou « solidarité financière » ? Mieux vaut s’en
prendre aux citoyens qui ne comprendraient pas tout ce que l’Europe leur
apporte : pour l’OTAN et l’ONU, ce sont les gouvernements qui votent...


RTXA15XMais ne soyons pas trop durs avec Barroso qui n’est que la
résultante des blocages et des lâchetés européennes. Qui l’a nommé à ce
poste ? Les chefs d’État et de gouvernement. En 2004, c’est Tony Blair qui
l’a propulsé là après avoir barré la route au fédéraliste Guy Verhofstadt qui,
en outre, avait eu le mauvais goût d’être opposé à la guerre en Irak. Jacques
Chirac et Gerhard Schröder, en renonçant à se battre, portent aussi la responsabilité
de ce choix. En 2009, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel l’ont maintenu à ce
poste trop heureux de ce « mister nobody » qui ne leur faisait pas
d’ombre. Les partis politiques européens feront-ils mieux ? Car c’est la
tête de liste du vainqueur qui sera, cette fois, désigné comme président de la
Commission. Après Jacques Santer, Romano Prodi, José Manuel Durao Barroso,
l’Union aurait du mal à se remettre d’un autre président médiocre.

Photos : Reuters

N.B. : chronique parue dans le bimensuel l’Hémicyle n° 467

 

 

 

Cet article est repris du site http://bruxelles.blogs.liberation.f...

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