Colombie : le parcours du combattant des femmes brûlées à l’acide

, par  Helène Bielak , popularité : 1%

Gravement brûlée au cou, Gina Potes vient en aide à d’autres victimes (photo Hélène Bielak)

“Parfois, tu crois qu’on t’a brûlé le visage pour que tu deviennes inutile. Si tu te présentes à des entretiens et que ton visage ne ressemble plus à rien, qu’est-ce qu’on va te dire ?” Pour Gloria Piambia, chaque mot est une épreuve. À 27 ans, cette Colombienne aux longs cheveux noirs porte un masque de chirurgien devant la bouche pour cacher ses lèvres dilatées et son menton déformé. Il y a trois ans, son compagnon lui a jeté de l’acide sur le visage sur le pas de sa porte. Parce qu’elle venait de se séparer de lui. Juste avant l’agression, se souvient-elle : “Il m’a dit : si tu n’es pas à moi, tu n’es à personne d’autre”.

29 attaques en 2012

En Colombie, le premier cas d’attaque à l’acide a été enregistré il y a seize ans. Depuis, le nombre d’agressions s’est multiplié. En 2007, cinq cas ont été recensés par l’Institut national de médecine légale et des sciences légistes colombien. En 2012, vingt-neuf. Mais ces chiffres cachent un phénomène d’une plus grande ampleur car les victimes ne dénoncent pas toujours leur agresseur. Souvent, l’auteur de l’attaque est le mari ou le compagnon. Les motifs de l’agression sont récurrents : jalousie excessive, sentiment de possession sur la femme. Souvent, il y a eu des prémices à l’attaque. Des cris, des claques, des coups. Une escalade de violence qui s’achève avec un jet d’acide au visage.

Dans la plupart des cas, les victimes sont pauvres : “Elles ne sont pas autonomes car elles dépendent financièrement de leur compagnon”, indique Linda Guerrero, directrice de la Fondation des grands brûlés à Bogotá. Après une attaque à l’acide, ces femmes restent clouées au lit de nombreux mois. Entre les opérations chirurgicales et les traitements, la note est très salée. Certaines contractent des prêts, vendent leurs vêtements, participent à des tombolas. À la sortie de l’hôpital, une question les tenaille : et maintenant, comment reprendre un nouveau travail ? Gloria Piambia suivait des cours pour devenir couturière. Après son agression, elle est tombée dans une profonde dépression.

“Quand je suis sortie de l’hôpital, je suis allée vivre chez l’une de mes professeurs pendant huit mois, se souvient-elle. Je suis restée enfermée. Je me levais seulement pour me laver. Parfois, je ne savais plus si on était lundi, mardi ou mercredi.”

“A cause de leur apparence, elles ne sont pas embauchées”

Ses parents, paysans, n’ont pas pu payer ses opérations. Elle a donc fait appel à des amis. Le retour vers l’emploi est souvent un long parcours semé d’embûches. D’abord, à cause de leur visage. “Il manque un œil à certaines, d’autres ont perdu une partie du nez, souligne Osana Medina Bonilla, travailleuse sociale à l’association la Maison de la femme à Bogotá. Elles ont des capacités, mais à cause de leur apparence, elles ne sont pas embauchées.”

Leurs va-et-vient à l’hôpital compliquent leur retour sur le marché du travail. Comment trouver un employeur acceptant d’embaucher une personne qui doit s’absenter plusieurs fois par an pour subir des opérations chirurgicales ? Gina Potes a réussi à passer le cap. Quand elle a mis les pieds pour la première fois dans son bureau, elle n’est pas passée inaperçue parmi ses collègues. Grande, brune, coquette. Et brûlée. Sur toute la partie droite du cou. Mais le regard de ses collègues ne lui fait pas peur.

“Je me sens parfaitement égale à eux, assure-t-elle. J’ai toujours dit que mes cicatrices ne me faisaient pas moins femme. Il y a des gens qui peuvent me rejeter mais cela m’importe peu.”

Gina fait partie des victimes qui participent à un projet de réinsertion de la mairie de Bogotá lancé en avril dernier. Le but : donner un travail à celles qui n’arrivent plus à en trouver.

Rares sont les auteurs de ces attaques passés devant un juge

Aujourd’hui, Gina Potes travaille dans le département santé de la ville de Bogotá, sur la thématique des violences de genre. Elle passe ses journées à contacter les victimes et à envoyer des courriers à des institutions pour les sensibiliser sur le sujet. Certaines victimes ont réussi à s’en sortir seules. C’est le cas d’Angie Guevarra, 26 ans, brûlée au visage, sur les mains et dans le dos en 2007, par un inconnu. Elle a réussi à retrouver du travail dans sa branche : les salons de beauté. Angie fait des manucures. Quand elle prend les mains de nouvelles clientes entre les siennes, brûlées, les réactions fusent. “Certaines me demandent si j’ai une maladie de la peau”, rapporte-t-elle, gênée.

Angie Guevarra (photo Hélène Bielak)

Angie Guevarra (photo Hélène Bielak)

Rares sont les auteurs de ces attaques passés devant un juge. Certains n’ont même pas fait l’objet d’enquête de la police alors qu’ils ont été nommément mis en cause.

Pour contrecarrer l’impunité ambiante, un projet de loi vient d’être adopté au Congrès colombien et devrait être appliqué d’ici fin juin 2013. Le texte prévoit d’encadrer la vente d’acide en enregistrant les acheteurs dans une base de données. “En Colombie, les ménagères achètent ce type de produit pour déboucher les canalisations, les toilettes, laver la cuisine, etc.”, explique Olga Victoria Rubio, conseillère municipale de Bogotá. Le texte parle également d’un accompagnement “intégral” pour les victimes : remboursement des chirurgies, soutien psychologique et juridique. Il prévoit aussi de garantir l’accès des victimes au marché du travail. Mais ce dernier point reste flou, car aucun moyen concret pour y parvenir n’est indiqué. Enfin, il est question de durcir les peines des agresseurs, avec un minimum de huit ans de prison. Jusqu’à présent les condamnations allaient de six mois à six ans. Ridicule pour les victimes. Elles, qui resteront emprisonnées pour le restant de leurs jours derrière un visage qui n’est plus le leur.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/02/0...

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