Comment Jon Stewart a révolutionné l’info US

, par  Maxime Robin , popularité : 1%
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Le présentateur duDaily Show, Jon Stewart, a décidé de quitter son fauteuil au sommet. Il part avec le titre honorifique de “most trusted man in the news” : “l’homme le plus digne de confiance dans les infos”, un statut paradoxal pour le présentateur d’une émission d’humour et alors que le bandeau “fake news” est régulièrement incrusté en haut de l’écran durant ses pitreries. Le monde à l’envers. C’est David Carr, figure de proue du New York Times, mort récemment, qui lui attribue ce titre de “most trusted man” dans son dernier papier, paru le jour de sa crise cardiaque dans les locaux du journal. Ces mots sont lourds de sens : c’est ainsi qu’on surnommait Walter Cronkite, le présentateur de CBSau temps de la conquête spatiale. L’icône médiatique absolue que tous les Américains croyaient sur parole.

Le meilleur journaliste d’Amérique

En 2015, c’est Jon Stewart le bouffon, qui tape sur politiques et médias en jurant comme un charretier (“What the fuck is wrong with you ?!” “Are you insane ?!”), le meilleur journaliste d’Amérique. Sans même qu’il prétende l’être, l’homme se considérant comme un showman, et rien d’autre. Amuseur ? Présentateur ? Peu importe : il est devenu le mètre étalon. Une force politique crainte par tous. Les politiciens signent des deux mains pour se faire interviewer en dernière partie d’émission.

Les larmes de crocodile versées par les sénateurs à l’annonce de son départ ne trompent personne : tous les candidats à la prochaine élection présidentielle ont dû pousser un ouf de soulagement en apprenant le départ (dans le courant de l’année, lui-même ne sait pas quand) de cet empêcheur de mentir en rond.

Le “Daily Show” initie la preuve en images

Quand Comedy Central donne sa chance à Stewart en 1999, le show est en lambeaux, tire sur des cibles faciles comme les people. Stewart change tout, imprime son style : la satire politique, soutenue par un formidable tremplin, l’administration Bush. Il désacralise les politiciens, flingue la ploutocratie, les lobbies. Il fait sentir leur merde aux chaînes d’info en continu quand elles passent la brosse à reluire ou pataugent dans l’infotainment. Le Daily Show initie aussi la preuve en images – mettre les politiques face à leurs contradictions entre deux discours –, utilisée maintenant partout. Bref, armé d’un ouvre-boîte (une demi-heure de show du lundi au jeudi, une dizaine de scénaristes), il démonte la machine ronronnante qu’est devenue la démocratie américaine. Sans jamais s’apitoyer, même pour les sujets les plus déprimants. La clé : transformer la news la plus scandaleuse, parfois passée inaperçue, en info digeste et marrante.

Il tape sur les journalistes et les politiques

Stephen Colbert, ancien “correspondant” du show, qui triomphe depuis avec sa propre émission, résumait en 2008 dans le New York Times pourquoi Stewart est le meilleur : pour sa lucidité, sa capacité à résumer en une phrase qui tue des concepts ultrachiants.

“La satire, c’est comme distiller du whisky. Vous démarrez le matin, vous avez un tas de matériel et vous devez distiller quelques gouttes de cette mélasse. C’est facile de mettre une tonne de maïs dans un silo ; c’est très dur d’en extraire un bon shot de whisky. Quelques gouttes de nectar qui feront toute la différence.”

Jon Stewart tape sur les journalistes et les politiques mais n’est jamais cynique. C’est plutôt un idéaliste, qui traque les standards bafoués de ces deux professions de foi. Ce n’est pas pour rien que son premier film Rosewater (2014)a pour héros un journaliste, Maziar Bahari, emprisonné en Iran et brutalement interrogé pour avoir participé au Daily Show.

Jon Stewart ignore ce qu’il va faire désormais

Que va-t-il faire ensuite ? Lui-même dit l’ignorer. Peut-être veut-il changer de format. Peut-être a-t-il attrapé le virus du cinéma. Peut-être n’y a-t-il pas de raison à donner quand on a assumé le même job pendant seize ans. Pour David Carr, Stewart n’était plus sensible aux doses de drogue dure que procure une quotidienne. Lui dit d’abord vouloir “dîner avec (sa) famille à 19 heures ; de multiples sources m’ont dit que c’était des gens très bien”.

Depuis la campagne Bush-Gore en 2000, le Daily Show a récolté vingt Emmy Awards. La chaîne parle d’un “monument culturel” qui l’a “façonnée en entier” et cherche un successeur. Ce ne sera pas John Oliver. Le Britannique, lancé par le Daily Show, a maintenant sa propre émission hebdomadaire sur HBO, Last Week Tonight, et cartonne avec le même cocktail d’humour et de rigueur, transformant les sujets les plus barbants (neutralité du net, dette argentine) en enquêtes poussées. Cet héritier direct va même plus loin : début octobre, en s’appuyant sur des révélations du Washington Post,il ridiculise une loi américaine aussi méconnue que liberticide, la civil forfaiture, qui autorise la police à saisir les biens d’une personne sans mise en examen. Eclats de rire, tollé.

Le mois dernier, le ministre de la Justice, Eric Holder, annonce qu’il promulguera des décrets pour davantage l’encadrer. Forcer le pouvoir exécutif à changer une loi : Oliver accomplit, en toute décontraction, le rêve de tout journaliste. Jon Stewart peut border ses enfants tranquille : la relève est assurée.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/03/1...

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