Data Gueule, l’émission qui éclaire sur le journalisme de demain

, par  Anne Donadini , popularité : 2%
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Capture d’écran Youtube ("Data Gueule : Amazon de turbulences")

“Data Gueule” est une émission OVNI. De celles qui peuvent retourner notre vision du monde en une poignée de minutes. L’émission ne cache d’ailleurs pas son objectif, un simple “jeu de Lego” (mais plutôt réalisé par “un petit Poucet punk”) : jouer avec les milliers de molécules d’informations que nous recevons quotidiennement, les démanteler, les chiffrer puis reconstruire, enfin, la réalité glaçante de notre société. La voix off de Julien Goetz guide le spectateur parmi ce condensé de données défilant à une vitesse ahurissante.

Débarquée sur France 4 et Youtube en juin 2014 et déjà renouvelée deux fois, l’émission “Data Gueule” cumule aujourd’hui 4 millions de vues. Un succès croissant symptomatique de l’essoufflement dujournalisme traditionnel . Comment mettre à plat “l’infobésité” dont les médias gavent le spectateur ? Comment s’invente le journalisme du futur, côté coulisses ?

Data Gueule : la liberté de ton dans un “Cash Investigation” condensé

Inspiré de feu l’émission australienne Hungry Beast , “Data Gueule” passe en revue toutes les thématiques de l’actualité, dans le but de “déconstruire des mécanismes, avec de l’humour et si possible un prisme historique”, précise Julien Goetz, co-auteur de l’émission. Si l’idée originale vient de France 4, c’est pourtant Julien et Sylvain Lapoix, tous deux anciens du site d’information libre OWNI, mais aussi Henri Poulain (co-réalisateur et co-producteur) et Luc-Herman (co-producteur) qui sont à l’origine des sujets. Comment Samsung est-il passé de la vente de nouilles faites maison au premier vendeur de smartphones dans le monde ? En quoi la bille des cigarettes mentholées est-elle beaucoup plus nocive que les cigarettes “classiques” ? Pourquoi le salaire d’un footballeur de Ligue 1 a-t-il augmenté de 207 % depuis la coupe du Monde de 1998 ? Combien d’argent et d’emplois le piratage fait-il perdre à l’industrie musicale ?

“Ce qui m’intéresse le plus dans les data, c’est le constat qu’elles permettent de faire. Le postulat de base, c’est : comment on en est arrivé là, jusqu’à la normalisation de ces faits-là, sans chercher à savoir si c’est bien ou si c’est mal. On a toujours eu une grande liberté de ton. Et on essaie de ne pas rentrer dans les clichés, vu que c’est un programme court.”

Pour construire une seule de ces pastilles de 3 minutes 45, il faut 10 jours à l’équipe : quatre pour les recherches et l’écriture du sujet et six pour la validation du script avec les producteurs (de Premières Lignes, la boite qui produit Cash Investigation et de Story Circus), le travail du motion designer (“C’est avec l’image de fin que l’on commence le sujet” explique Julien Goetz) et l’enregistrement de la voix off.

Pour trouver le sujet savoureux, pas de secret : il faut qu’il y ait quelques aspérités. “Le charbon, c’était un sujet fou. Les containers aussi, plus récemment. Le sucre. Les monnaies alternatives” énonce le journaliste. “Des sujets où l’on se rend compte que ça ne tourne pas rond. Même s’il faut les décortiquer pour comprendre exactement ce qui ne tourne pas rond.” Le lien avec Cash Investigation se fait vite. Pourtant, contrairement à l’émission d’Elice Lucet sur France 2, régulièrement confrontée aux entreprises qu’elle dénonce, “Data Gueule” n’a pas subi de vraies menaces, hormis quelques réprimandes par correspondance de Frontex. “Ce n’est pas un programme anti-complotiste. On va à l’inverse d’une dénonciation, parce que tout est chiffré, vérifié. Il n’y a pas de raccourcis faciles.”

Malgré quelques “engueulades saines” avec l’équipe concernant le choix des sujets, l’émission de France 4 voit son succès s’accélérer et a toutes les chances de continuer après juin 2015. Le risque ? “Plaquer le format de l’émission sur des sujets pas vraiment polémiques” imagine Julien. “Ce qui nous intéresse, c’est de mettre en place une émission à part entière, une plate-forme qui accueille les épisodes et permet aussi d’accueillir de vrais débats.” Un avenir prometteur que l’équipe envisage sur le web (bien qu’une déclinaison au format télé ne soit pas exclue).

Internet, antenne de “l’esprit critique” libre

Data Gueule, ça ne pouvait pas exister sans le web”. L’affirmation assénée par Julien fait écho, plus généralement, aux codes du datajournalisme dans son ensemble. S’il arrive que la dissociation entre télévision et internet s’efface au profit de programmes solubles dans les deux médias (bien souvent, des programmes humoristiques, comme le Studio Bagel racheté par Canal + ou le Palmashow sur D8), le journalisme libre et celui des cultures numériques prennent bel et bien leurs marques sur Internet, terreau plus fertile aux changements de format et aux idées neuves.

“Le premier avantage du web, c’est qu’il absorbe la linéarité (temporelle et physique) de tous les autres médias. Par exemple, mettons qu’en télé, tu ne puisses pas faire un reportage de plus de 2’30 à cause de la page de pub ou de l’émission qui suit. Pareil dans la presse papier. C’est assez fascinant : sur Internet, ce système permet à la fois la transparence – on a la place de mettre toutes nos sources – et la liberté. Il n’y a pas de limites techniques. Sur Internet, c’est la taille de l’information qui dicte la taille de ton récit.”

Pourtant, le datajournalisme , celui qui consiste à mettre à la disposition du public des données statistiques pour mieux analyser une info, existait déjà avant Internet. Depuis, le format a bel et bien changé mais, l’idée, non. L’intérêt de cette forme de journalisme est la notion d’ouverture du journaliste face à son public. La première de ces échancrures : mettre ses sources en ligne.

“C’est ce qui permet à notre émission de ne pas être complotistes, conclut Julien. On a le devoir de développer un vrai esprit critique chez le public. C’est une dimension que les journalistes doivent intégrer.”

En attendant le 18 juin, date à laquelle les prochains Data Journalism Awards seront décernés, l’appétit pour le datajournalisme va encore s’intensifier. Pour l’infographiste britannique David McCandless , pionnier du genre, le mouvement vient seulement de prendre son envol.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/05/0...

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