Dour et le nouveau rap belge : le Black Syndicat en haut de l’affiche

, par  Lélia Loison , popularité : 1%
JPEG

Photo (c)antoinemelis.com

S’il fallait décrire la nouvelle scène hip-hop qui émerge depuis quelques années, on pourrait la caractériser dans ses grandes lignes par un retour à un esprit et à des influences 90’s, des instrumentales qui penchent du côté de la soul et du jazz plutôt que de l’EDM, mais surtout une apparition impressionnante de collectifs aux branches, sous-groupes et projets si nombreux qu’ils en deviennent presque impossible à décompter. Et la Belgique est loin de faire défaut à ce renouveau : avec le collectif Black Syndicat et la petite vingtaine de rappeurs qui officie sous son égide, le plat pays semble avoir trouvé son fer de lance sur la scène francophone.

Rassemblement tentaculaire de groupes et d’artistes solo, le Black Syndicat laisse rarement place au vide dans son actu, entre mixtapes, projets et collaborations de tous types. Le collectif s’est retrouvé programmé à Dour cette année, quasiment au complet sur la Plaine de la Machine à Feu. L’occasion pour nous d’explorer l’ascension de cette scène dont les compteurs Youtube commencent à grimper doucement.

L’esprit d’équipe

Les membres du collectif sont pour la plupart Bruxellois (à l’exception de ceux d’Exodarap, originaires de Charleroi) et leurs groupes ont vu le jour entre le milieu et la fin des années 2000. Le Black Syndicat se divise donc en sous-branches, dont trois se sont produites en formation complète à Dour : Exodarap, La Smala et Just Cracking Records (JCR). Et le reste du collectif de squatter la scène, le temps d’un seize mesures.

Notre rencontre avec ses membres nous confirme qu’ils ne dérogent pas à cet esprit DIY et collectif, une façon de fonctionner souvent revendiquée dans le rap comme preuve de sincérité et d’indépendance artistiques. À la suite des concerts du week-end, les rappeurs donnent ainsi rendez-vous aux plus fidèles sur un stand de fringues, avec à la clé showcase et freestyles improvisés. Le tout dans un esprit foutraque et bordélique – juste ce qu’il faut.

C’est après le showcase de Fixpen Singe le dimanche qu’on rencontre ceux encore présents sur le festival, tandis qu’un apéro s’improvise derrière les camions des stands malgré la légère méfiance de ceux qui n’ont confiance qu’en leurs pairs et préfèrent s’auto-suffire. Mais puisque le concert à peine achevé nous a laissé entendre : “Ne tremblez pas Mesdames, Messieurs, je suis gentil même si je lance des lasers par les yeux”, on décide de ne pas se laisser décourager par l’ambiance un peu frileuse.

Le sens de la formule

Et une fois la glace brisée, la rencontre s’avère effectivement plus conviviale. Ce qu’on pressentait aux premiers abords comme de la méfiance laisse peu à peu discerner un enjeu et un message : si les styles diffèrent, le point commun qui réussit à regrouper vingts MC’s sous la même entité se nomme tout simplement passion. Et avec elle, la volonté affichée de faire une musique qui ne se vend pas et ne perd pas sa fraîcheur sur le chemin de la reconnaissance.

“On n’ira jamais courir après les featurings prestigieux juste pour la fame, sans que la rencontre et la collaboration ne se soient faites naturellement” nous confirme Ysha, membre du groupe Les Corbeaux en préparation d’un projet solo.

Au sein du collectif, les différences de tons et de registres sont effectivement fortes : d’un rap qui tend vers l’ego-trip à toute épreuve, on passe facilement à des textes plus introspectifs, parfois même assez engagés. Le clivage entre ceux qui préfèrent la formule à son sens – et inversement – se retrouve donc en Belgique de la même manière qu’ailleurs. Mais de la punchline pure à la recherche textuelle, il est en tout cas difficile de dessiner les traits de plume d’un rap qui, de toute manière, ne cherche pas à se voir qualifié de conscient ou du contraire.

Bruxelles, ma belle

Interrogés sur la potentielle barrière frontalière qui entraverait leur reconnaissance auprès du public français, les membres du collectif nous répondent ne pas l’avoir sentie. Là encore, la nouvelle donne d’internet a permis de transcender les nationalités. Et si barrière il y a, elle se trouve plutôt dans la sphère professionnelle et dans la difficulté à trouver des dates de concerts en France.

Mais le public belge – habituellement plutôt électronique, selon les dires d’Ysha – s’est suffit à lui-même pour donner aux crews une solide fanbase locale avant qu’ils ne s’aventurent hors des frontières. En témoigne les foules que les groupes ont tous su rassembler lors de leurs concerts à Dour, alors même qu’ils jouaient à une heure où beaucoup de festivaliers émergeaient à peine de leurs tentes.

Sur la scène francophone, le rap belge serait donc une région comme une autre, au même titre que les scènes locales des grandes villes françaises. À une différence près pour le rappeur Nantais Kéroué, selon lequel “ce qui se fait en Belgique est toujours à un niveau de qualité au-dessus de ce qui se fait en France, la barre est vraiment haute ici”.

D’ailleurs, on croise également à Dour le groupe l’Or du Commun, derniers arrivés dans le game bruxellois. Encore à leurs débuts avec un premier ep, L’Origine, paru sur le web il y a quelques mois, ce quatuor sorti des bancs du lycée a eu l’opportunité de jouer durant vingts minutes à Dour, après les shows d’Exodarap et du JCR. Un contexte de concert pas forcément facile, mais un tremplin de taille pour un groupe ayant à peine un an d’existence. La relève semble déjà assurée.

Les synergies avec la France

Si cette scène belge s’auto-suffit largement, elle ne se replie pour autant pas sur elle-même et multiplie les collaborations avec de nombreux rappeurs d’autres horizons. En est exemple le groupe hybride Fixpen Singe, fusion transfrontalière de deux Nantais (Kéroué et Vidji du duo Fixpen Sill), d’un Parisien (Lomepal) et d’un Bruxellois (Caballero), accompagnés de leur beatmaker (Meyso).

Sur la scène de Dour le dimanche et en showcase quelque heures plus tard, ce groupe créé dans le cadre d’une tournée commune dévoile une verve et une énergie impressionnantes, et surmonte le défi d’une setlist compliquée à mener. Car n’étant pas présents sur tous les morceaux, les rappeurs apparaissent et disparaissent en un éclair de la scène, au risque de dérouter les non-aficionados qui ne comprennent plus très bien qui est qui. (Entendu dans le public : “Mais Caballero, il est dans le groupe ou pas ? C’est lequel d’ailleurs ? – Le barbu – Mais ils sont tous barbus ! – Ben le plus barbu. Enfin je crois.”)

Plusieurs membres du Black Syndicat multiplient par ailleurs les featurings avec un autre collectif : l’Entourage, figure de proue de la nouvelle scène parisienne pour qui les compteurs Youtube s’affolent depuis maintenant trois ans. C’est en partie ce type de collaborations qui a leur permis, au fur et à (seize) mesures, de se faire connaître auprès du public français.

Et si pour les non-initiés, les noms des groupes du Black Syndicat n’évoquent pas encore grand chose, ceux des rappeurs qui les composent sont, eux, de plus en plus renommés. Car on en retrouve certains (Jeanjass, Senamo, Seven, Ysha, Caballero) sur nombre de projets aidant largement à faire rayonner le reste : albums communs, vidéos freestyles avec d’autres rappeurs, parfois la production des morceaux.

Le défi de l’émergence est donc en cours pour tous, voire en passe d’être atteint pour certains : La Smala bénéficie aujourd’hui de la plus large reconnaissance grâce à l’album fédérateur Un murmure dans le vent, et Exodarap connaît une estime certes plus underground mais non moins solide. Le JCR prépare lui sa première mixtape en tant que groupe tandis que Les Corbeaux volent pour le moment vers d’autres projets, en solo ou dans d’autres formations. Et l’épreuve du temps saura déterminer si le Black Syndic’ tient là une affaire durable.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2014/07/2...

Sites favoris Tous les sites

84 sites référencés dans ce secteur