Drague en ligne : pourquoi Meetic a 130 ans de retard

, par  Vincent Glad , popularité : 2%

Claude Sérillon (capture d’écran Ina)

Diam’s est une sociologue avisée, mais une piètre historienne. En 2006, elle chante Diam’s victime de l’an 2000/Tous les moyens sont bons pour trouver l’homme de sa vie/PS : l’adresse e-mail c’estjeunedemoisellerecherche@ hotmail.fr/ Si vous pouvez joindre 2 photos/ Parce qu’une on sait qu’c’est d’la triche.” Sa description de l’amour sur internet est parfaite, mais Diam’s n’est en rien victime de l’an 2000. En 1870, déjà, ça drague sévère en ligne. Les journées sont bien longues pour les opérateurs dans les bureaux télégraphiques. Dans leurs moments de désoeuvrement, ils constituent ainsi la première communauté en ligne de l’histoire en s’échangeant des petits messages d’un bureau à l’autre.

Le MySpace angle, déjà au XIXe siècle

L’”internet victorien”, comme l’a appelé le journaliste Tom Standage, est un immense tchat de blagues et de potins en tout genre, il est aussi un lieu de drague. On raconte que les opérateurs savaient reconnaître le bruit d’une dépêche tapée par une femme. Celles-ci, minoritaires, devenaient l’objet de toutes les convoitises. “Parfois les histoires prospéraient ; parfois elles se terminaient brutalement quand les opérateurs se rencontraient pour la première fois”, raconte Lewis Coe dans son Histoire du télégraphe. Pourtant, suivant les bons conseils de Diam’s, les amoureux s’échangeaient souvent des photos par la poste avant de se rencontrer. Ce qu’on appellera plus tard le MySpace angle, cet écart entre les photos et la vérité, avait déjà droit de cité au XIXe siècle.

L’histoire des rencontres connectées se poursuit à Harvard en 1965. Comme un certain Mark Zuckerberg qui y créera Facebook quarante ans plus tard, deux étudiants veulent faciliter les rencontres au sein de leur fac. Ils créent Operation Match, un ordinateur qui préfigure Meetic. Pour trois dollars, les utilisateurs répondent à un questionnaire : “Mon partenaire idéal doit être : 1. très expérimenté sexuellement ; 2. modérément expérimenté ; 3. un peu expérimenté ; 4. vierge ; 5. peu importe”. On ramasse les copies, elles sont transférées sur une carte perforée introduite dans un ordinateur qui sort les profils compatibles. Plus d’un million de personnes utiliseront la machine magique des deux étudiants.

“J’ai entendu certaines rumeurs, mais mes lèvres resteront closes.”

L’étape suivante consiste à connecter les ordinateurs entre eux. Arpanet, le premier réseau proto-internet, est lancé en 1969. La drague a t-elle pu exister sur ce réseau très sérieux, peuplé de scientifiques et de militaires ? John Day, un des pionniers d’Arpanet, reste bien mystérieux : “J’ai entendu certaines rumeurs, mais mes lèvres resteront closes.”

Les premières véritables communautés virtuelles débarquent en 1979, avec les ancêtres des forums. “Ça ne se prêtait pas vraiment à la drague, explique l’ethnologue canadienne Madeleine Pastinelli, car tous les messages étaient publics.” Les rencontres ont besoin d’intimité. Il faudra attendre l’arrivée du tchat, qui couple un forum public et des alcôves privées, pour que la drague devienne une activité majeure d’internet. En 1980, Compuserve lance aux Etats-Unis le premier tchat grand public. Le succès est foudroyant, le premier mariage Compuserve entre “CHRISDOS” et “Zebra 3″ aura lieu trois ans plus tard.

“Un océan de poésie consolatrice et de mots bienveillants”

Les Américains sont hypnotisés par leurs terminaux : “Le développement d’une idylle en ligne est unique, combinant le frisson de la technologie ultrafuturiste avec la vénération de l’écrit qui caractérisait les romances du XIXe siècle”, écrit la journaliste Lindsy Van Gelder en 1985. La France expérimente au même moment ce retour à l’amour épistolaire, avec l’arrivée du Minitel. Aurélien Bellanger y consacre les plus belles lignes de son roman, La Théorie de l’information :

“La France faisait chaque nuit l’équivalent d’une psychanalyse, couchée près de son terminal. Ce fut une nuit unanime et réciproque, pour le dernier grand peuple littéraire d’Europe, un océan de poésie consolatrice et de mots bienveillants, composés, comme des reflets de lune, en caractères d’argent.”

Alors que le Minitel était parti pour ressembler aux Pages jaunes, c’est un piratage qui, selon la légende, le fera entrer dans la modernité. En 1981, sur le serveur des Dernières Nouvelles d’Alsace, un jeune garçon parvient à accéder à la page de l’administrateur et en profite pour envoyer des messages aux autres personnes connectées. La manipulation est éventée, et les administrateurs sont forcés d’ouvrir à tous leur messagerie interne. La France découvre le tchat et ses premiers frissons amoureux. “L’objet, au départ, était de faire des rencontres amicales, raconte Michel Landaret, le créateur du serveur, puis ça a dérivé sur des rencontres sentimentales, puis sur des rencontres franchement sexuelles quand le 3615 a débarqué en 1985.”

Le Minitel était devenu mal famé

Le Minitel rose va tuer l’innocence des débuts. En 1989, la Marilou de Michel Polnareff se déshabille devant l’écran : “Quand l’écran s’allume/je tape sur mon clavier/Tous les mots sans voix qu’on se dit avec les doigts.” Le Minitel est devenu mal famé avec l’arrivée de la prostitution et la multiplication des faux profils. L’avenir passe par l’IRC, un nouveau protocole de tchat qui apparaît à la fin des années 80, et fera la jonction avec l’internet moderne. “Les gens se sont assez vite mis à fantasmer, à idéaliser leur rapport avec les autres, explique Madeleine Pastinelli. Ils s’envoyaient le plus souvent leur photo par la poste avant de se rencontrer. Mais ces photos étaient elles-même un support d’idéalisation et de fantasme.”

La déception n’en est que plus grande. Quelques mauvaises habitudes typiques d’internet prennent racine dès cette époque :

“Les hommes étaient très largement majoritaires. Du coup, les femmes étaient harcelées, continue l’ethnologue Madeleine Pastinelli. C’est comme quand on jette des granulés dans un bocal de poissons, tout le monde se précipite, m’a dit un jour une fille que j’interviewais.”

Quelques années plus tard, internet se démocratise. Les premiers sites de rencontre sont créés dans la foulée, Match aux Etats-Unis ou Netclub en France, avec un défi majeur : civiliser cette jungle que sont devenues les rencontres en ligne. Pour calmer les poissons et multiplier les granulés.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/10/0...

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