Ebola peut-il arriver en France ? Les réponses d’un médecin

, par  Marie Turcan , popularité : 1%
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A Berlin, des médecins se préparent à la prise en charge de patients contaminés par Ebola (Thomas Peter/Reuters)

Qu’est-ce qu’un cas jugé “suspect” en France ?

Dr Thierry Lavigne – La définition est simple : c’est quelqu’un qui a de la fièvre (supérieure à 38,5° C), et qui a été exposé au risque de contamination soit en Guinée, soit au Liberia, soit en Sierra Leone, soit au Nigeria. Il a pu être au contact d’un patient malade, d’une dépouille mortuaire, d’un animal mort.

Avez-vous déjà eu des cas suspects dans votre hôpital ?

Nous sommes en alerte depuis le mois d’avril, même si l’OMS (Organisation mondiale de la santé) vient seulement de déclencher l’état d’urgence mondial. Les service d’accueil des urgences (SAU) sont sensibilisés depuis quatre mois. A Strasbourg, nous avons déjà rencontré trois situations où apparaissait un état clinique compatible avec une infection Ebola, concernant des personnes revenant d’un pays touché. On s’est donc déjà “exercé” grandeur nature avec des patients. Heureusement, à chaque fois, c’était des fausses alertes.

Peut-on craindre prochainement un cas déclaré en France ?

Ce qu’il peut arriver en France, c’est qu’on soit amené à accepter des rapatriements sanitaires de ressortissants français, qui seront malades et voudront revenir sur le territoire français. Au début, la logique de la France était de ne pas rapatrier, mais les Etats ne peuvent pas vraiment refuser de prendre en charge un de leurs ressortissants parti pour des missions de secours ! L’Espagne et les Etats-Unis ont donc déjà commencé à effectuer des rapatriements. La France a réalisé qu’elle risquait, elle aussi, d’être sollicitée par l’OMS pour accueillir un de ses ressortissants, et s’est donc préparée pour qu’ils ne reviennent pas n’importe comment.

Y a-t-il des Français infectés dans ces pays qui pourraient être rapatriés ?

Pour l’instant, non. Mais il y a sur place Médecins sans frontière, des équipes d’ONG et des entreprises françaises très implantées en Afrique… Donc il y a quand même un certain nombre de Français qui sont potentiellement exposés.

Que craignez-vous le plus ?

Il y a en fait deux dimensions : le rapatriement organisé, sous contrôle du ministère, de Français qui seraient tombés malades en Afrique. Cette situation ne fait pas très peur. C’est organisé, annoncé, contrôlé. L’autre dimension, ce sont les gens qui voyagent, et là c’est plus dangereux. C’est pour ça qu’il y a eu beaucoup de communication sur ce risque. S’il y a quand même des personnes qui vont circuler dans ces pays, il faut qu’elles soient identifiées et qu’elles se manifestent. Maintenant que les frontières sont fermées, ce risque disparaît, mais c’est un des risques qui était présent aussi.

C’est difficile à dire, mais les situations qui vont poser le plus de difficultés concernent les patients atteints qui survivent. Le pourcentage de survie est quand même de 40 à 50 %. On espère bien sûr qu’il y aura le maximum de survivants, mais leur surveillance demandera beaucoup d’énergie, surtout qu’on ne connaît pas vraiment la durée exacte de la contagiosité. Il ne faudra pas se relâcher, atténuer la rigueur des mesures ou banaliser la prise en charge. Il faut que nous restions vigilants à long terme.

Comment vous protégez-vous pour éviter toute contamination ?

Nous avons pris les précautions d’hygiène maximales, c’est-à-dire des protections “air” et “contact” [gants, masques, lunettes, combinaisons de confinement biologique – ndlr]. Mais le risque de contamination se situe surtout au niveau du contact avec le sang (dans la toux, le vomi, les fluides corporels). Il n’y a pas vraiment de risque de contamination de l’air. Ce n’est largement pas aussi contagieux que la grippe.

Le risque concerne principalement le personnel soignant : un urgentiste ou un médecin qui ne ferait pas attention… Comme les premiers symptômes sont assez banals au début, il peut être difficile de réaliser qu’un individu est “suspect”. Mais si ça évolue vite et mal, on s’en rend rapidement compte.

Si les risques de transmission sont faibles, comment se fait-il que l’épidémie prenne de telles proportions dans les pays d’Afrique ?

Au Sierra Leone, par exemple, il y a une résistance massive de la population aux mesures de protection et de gestion de l’épidémie. Pour plusieurs raisons. D’une part, ces mesures vont à l’encontre de leurs schémas sociaux et familiaux. D’autre part, il existe des rites mortuaire de lavage du corps qui exposent massivement les familles des défunts à la contamination. Enfin, il y a une espèce d’idée préconçue selon laquelle ce serait “les médecins blancs” qui auraient instillé l’épidémie, parce qu’ils voudraient récupérer une partie des richesses du pays. Il existe une sorte de méfiance et de défiance par rapport aux mesures de précautions et d’intervention des ONG. Dans certains cas, des familles cachent des malades pour qu’ils ne soient surtout pas soignés par les ONG ! Parfois, il faut même faire intervenir l’armée pour que la population respecte les consignes. Ce côté humain, d’angoisse collective, explique beaucoup de débordements.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2014/08/1...

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