FN : une victoire en trompe l‘œil

, par  David Doucet , popularité : 2%

Marine Le Pen votant à Hénin-Beaumont. A gauche Steeve Briois, élu maire. (Pascal Rossignol/Reuters)

Le second tour n’a pas encore rendu son verdict que le Front national triomphe déjà. Sur les plateaux de télévision, Marine Le Pen porte le sourire des lendemains qui chantent. “C’est la fin de la bipolarisation de la vie politique”, plastronne la présidente du FN qui parle d’un “cru exceptionnel”.

Il faut dire que la moisson est historique. Sur fond d’abstention et de sanction de la gauche au pouvoir, le FN arrive en tête dans 17 communes de plus de 10 000 habitants dont Avignon, Perpignan, Béziers, Tarascon, Forbach, Saint-Gilles ou bien encore Fréjus.

Fréjus, longtemps fief de François Léotard dont le dernier combat politique fut – ironie du sort – la lutte contre le FN. “Je suis malheureux comme les pierres, maugrée l’ancien président de l’UDF. Mon père et moi avons été maires de cette ville et aujourd’hui elle s’offre au FN, c’est désastreux !”

Le faiseur de rois de l’entre-deux-tours

Comme si la coupe n’était pas assez pleine, le parti d’extrême droite se paie le luxe de remporter, dès le premier tour avec Steeve Briois, la mairie d’Hénin-Beaumont. Depuis plus de vingt ans, cet enfant du pays mène un important travail d’implantation dans cette ville en plein marasme économique – dont la gestion socialiste est largement discréditée. “Je m’attendais à un bon premier tour, mais là c’est exceptionnel, se réjouit Marine Le Pen. Je me demande si la vie politique française recense beaucoup de villes gagnées au premier tour par un candidat qui n’est pas le maire sortant.”

Le Front national s’impose surtout comme le “faiseur de rois” de l’entre-deux-tours puisqu’il devrait être présent dans 229 triangulaires. Traditionnellement fort dans les zones périurbaines, le vote frontiste progresse dans les grandes métropoles. “Nous sommes de retour dans les grandes villes comme Marseille, Lyon, Nice, Limoges où les sondages nous donnaient largement défaits”, commente, goguenard, Jean-Marie Le Pen, président d’honneur du mouvement.

L’absence de cadres

Si le Front national se vit déjà comme la troisième force politique du pays, il manque toujours autant de cadres structurés. Faute de candidats, le FN n’a pu présenter que 597 listes et a eu toutes les peines du monde à les boucler. “Il y a des villes où le FN a fait plus de 30 % lors de la dernière présidentielle et où il n’a pas pu présenter de candidats, analyse Nicolas Lebourg, historien spécialiste des droites extrêmes. Le FN continue à éprouver les pires difficultés à attirer des technocrates même s’il peut y avoir des exceptions. La preuve sur la liste de Louis Aliot à Perpignan, où on trouve Bruno Lemaire, ancien prof à HEC, diplômé d’Harvard…”

Seize ans plus tard, le FN ne s’est toujours pas remis de la douloureuse “scission” fratricide de 1998. A l’époque, 140 conseillers régionaux sur 275 et 62 secrétaires fédéraux sur 102 avaient quitté le parti pour rejoindre “le félon” Bruno Mégret. Multipliant les structures (Institut de formation des cadres, Centre d’études et d’argumentaires, Conseil scientifique, etc.) comme d’autres jouent aux Lego, Mégret avait transformé le FN en parti super organisé. En en confiant l’administration à deux anciens mégrétistes (Steeve Briois et son adjoint, Nicolas Bay), Marine Le Pen cherche à retrouver ce degré de professionnalisation, mais son mouvement n’a pas encore regagné son niveau de structuration des années 90.

Le risque de perdre sa virginité politique 

A l’épreuve du pouvoir local, le FN prend également un gros risque : celui de perdre sa quasi-virginité politique à l’horizon de la présidentielle de 2017. “C’est l’épreuve de vérité ou bien la mort subite, tout dépend si l’on voit le verre à moitié vide ou à moitié plein, explique Nicolas Lebourg. Si le FN échoue dans sa gestion municipale, c’est une catastrophe politique dont il aura du mal à se remettre mais s’il réussit, il apparaîtra crédible et notabilisé. L’avenir de Marine Le Pen tient peut-être sur les épaules de Steeve Briois.”

En 1995, année faste où le FN avait raflé trois mairies (Toulon, Marignane, Orange), elles étaient présentées comme des “villes laboratoires” qui seraient “force de démonstration”. Délégué général du mouvement, Bruno Mégret parlait de ces villes comme de “l’avant-garde d’une stratégie territoriale” qui devait permettre au FN de remporter une “cinquantaine de villes en 2001”. Au final, la plupart des maires frontistes ont fini devant les tribunaux pour des irrégularités de gestion… “Une lourde responsabilité repose sur nos maires mais nous allons passer cet obstacle, promet Marine Le Pen en anticipant sur les résultats. Vous vous trompez si vous pensez que nous fuyons la gestion du pouvoir. Le FN n’est plus le parti contestataire des années 80. Nous avons envie de faire nos preuves en gérant des mairies. Je pense d’ailleurs que c’est le seul moyen pour nous de conquérir le pouvoir en 2017. Nos équipes sont prêtes !”

Au sein de la nouvelle génération de leaders frontistes qui émerge lors de ces élections municipales, tous ne disposent pourtant pas du brevet de “frontiste dédiabolisé”. David Rachline, candidat donné gagnant à Fréjus, a longtemps été proche de l’association Egalité & Réconciliation, la petite boutique de l’idéologue Alain Soral…

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2014/03/2...

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