Film de guerre ou série sentimentale : “Zero Dark Thirty” vs “Homeland”

, par  Olivier Joyard , popularité : 1%

Jessica Chastain dans "Zero Dark Thirty"/ Claire Danes dans "Homeland"

Tout au long de Zero Dark Thirty, une silhouette se superpose virtuellement à celle de l’héroïne, Maya, une agente de la CIA à la recherche d’Oussama Ben Laden interprétée par Jessica Chastain. Ce double imaginaire, ce doppelgänger, c’est bien sûr Carrie Mathison d’Homeland, incarnée par Claire Danes. Quiconque a vu la série du moment y pense. Dans le film comme dans la série, une jeune femme à peine trentenaire occupe un poste important au sein des services secrets américains. Brillantes, toutes deux traquent les menaces terroristes islamistes, jusqu’à mettre la main sur leur cible. Depuis les premières projections du film de Kathryn Bigelow au mois de décembre, la presse américaine a souligné les similitudes entre ces deux femmes lancées à corps perdu dans le chaos post-11 Septembre. Des soeurs ? Jessica Chastain n’y croit pas : “J’adore Homeland et Claire Danes, mais vouloir comparer la série à Zero Dark Thirty, c’est comme comparer des pommes et des oranges.” Et l’actrice d’appuyer son raisonnement sur une affirmation : Homeland est un travail de pure fiction alors que nous sommes partis d’une personne existante pour élaborer mon personnage.”

Zero Dark Thirty s’inspire en effet d’une véritable responsable de la CIA, la mystérieuse “Jen”. Celle-ci apparaît de manière récurrente dans le livre rédigé par un des membres du commando qui a tué Ben Laden, le 2 mai 2011 à Abbottabad. Ce que Jessica Chastain ne sait peut-être pas, c’est que Claire Danes a évoqué dans une interview au Wall Street Journal sa rencontre à la CIA, au moment où elle préparait Homeland, avec une femme dont le personnage qu’elle incarne dans la série diffusée sur Showtime est “librement inspiré”. De là à imaginer qu’il s’agirait d’une seule et même personne, il n’y a qu’un pas. Et aucune preuve formelle.

La convergence entre Maya et Carrie est en tout cas évidente dans le domaine symbolique. Le point commun le plus marquant entre Homeland et Zero Dark Thirty ? Leur manière de retourner le héros américain sur ses bases pour affirmer qu’aujourd’hui, le sauveur est une femme de tête qui, comme une lignée de mecs avant elle, s’oppose à ses chefs trop frileux. Seule contre tous, ou presque. Dans le film et dans la série, on trouve les “mêmes” scènes, où l’héroïne persévérante, voire butée, harcèle son supérieur qui doute de ses (bonnes) intuitions. Maya et Carrie Mathison portent aussi acune sur leurs épaules le deuil d’un pays et la culpabilité d’un appareil d’État qui n’avait pas su anticiper le 11 Septembre. “J’ai déjà raté quelque chose une fois, je ne peux pas laisser cela se reproduire”, affirme Carrie dans le générique d’Homeland. Une phrase qui pourrait hanter Maya.

Comme toutes les soeurs, pourtant, la blonde Carrie et la rousse Maya ne se ressemblent pas complètement. Leurs missions diffèrent radicalement sur un point majeur : Zero Dark Thirty s’arrête au moment où Homeland commence. La série, qui a débuté en septembre 2011, arpente une planète où rien n’a vraiment changé malgré la mort de Ben Laden.

Le problème de Carrie est de repérer le prochain ennemi. Celui-ci s’est reconstitué, scindé en deux entre le soldat US Nicholas Brody, un ancien otage soupçonné d’avoir été “retourné”, et Abu Nazir, un djihadiste devenu son mentor. C’est le privilège des séries que de pouvoir observer, imaginer ou délirer le monde en direct. Alors que le film veut refermer une plaie et décrit son héroïne comme le corps cathartique de l’Histoire, envisageant une résilience, la série hurle à chaque épisode que toutes les blessures sont faites pour être réouvertes sans fin.

Les conséquences sont profondes. Si Maya est un modèle de colère rentrée, aux portes de l’insensibilité, répugnant à exprimer des sentiments qu’elle veut dominer, Carrie est une fille submergée par ses émotions. Pour elle, demain sera toujours angoissant. L’héroïne d’Homeland souffre d’ailleurs de troubles bipolaires qui peuvent à la fois altérer son jugement et la rendre brillante. Dans un moment fascinant de Zero Dark Thirty, car il paraît d’abord gratuit, Kathryn Bigelow livre une clé du personnage de Maya. ” Je ne suis pas le genre de fille qui baise”, dit la rousse à son partenaire d’interrogatoire. Carrie, au contraire, baise tout le temps, qui plus est avec le “mauvais” garçon qu’elle soupçonne d’être un terroriste. Dans une scène incroyable de la deuxième saison, elle couche avec son amant bien qu’elle se sache observée par ses collègues via vidéosurveillance. Son esprit et son corps restent en permanence esclaves de la complexité du monde comme de l’odeur d’une peau.

D’un côté Zero Dark Thirty, un film de guerre asséché, impressionnante mécanique de précision ; de l’autre Homeland, une série d’amour survoltée, régie par les seules lois instables du désir. Il faut évidemment voir les deux.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/2...

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