Frans Timmermans : « Limiter nos libertés, ce serait faire le jeu des terroristes »

, par  Quatremer , popularité : 1%

Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission, s’oppose fermement à tout « Patriot Act » européen qui réduirait les libertés publiques au sein de l’Union. Le socialiste néerlandais explique à Libération les grandes lignes de la stratégie pour la sécurité intérieure que l’exécutif communautaire présentera en mai prochain. Qui va piano…

La tentation semble forte, au lendemain des attentats de Paris, de renforcer la sécurité même au prix d’une réduction des libertés publiques.

Le premier devoir d’un État, c’est de garantir la sécurité de ses citoyens. Mais cela doit se faire dans le cadre des valeurs qui fondent la société. Or, la liberté —liberté d’expression, liberté de religion, liberté de pensée, etc.— est une valeur fondamentale de la société européenne et c’est à cela que les terroristes de Paris se sont attaqués. Si nous limitions nos libertés, nous jouerions leur jeu sans que cela mène à une meilleure protection des citoyens. L’Union européenne est née après deux tentatives de suicide continental, en 14-18 et en 39-45 : c’est pour cela qu’elle est fondée sur ces valeurs issues de notre héritage judéo-chrétien et humaniste. Si nous y renoncions, nous répéterions les fautes commises au XXe siècle. Comme le disait Benjamin Franklin, « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux ». Heureusement, aucun État membre ne propose d’emprunter ce chemin. Les lois existantes permettent déjà largement de lutter contre le terrorisme.

Il semble y avoir une divergence de fond sur la protection des libertés entre les États membres et les institutions communautaires. Ainsi, le Parlement européen bloque depuis 2013 la création d’un fichier « PNR » (passenger name record) européen, ces informations relatives aux passagers aériens, car il estime que les garanties contre une atteinte aux libertés ne sont pas suffisantes.

On peut trouver un compromis sur ce texte essentiel qui nous permettra d’identifier des suspects jusqu’alors inconnus, alors que les fichiers européens existants ne concernent que des personnes identifiées. Afin de répondre aux préoccupations du Parlement, nous sommes désormais prêts à déposer des amendements à notre proposition de directive de 2011 afin d’accroître la protection des données personnelles, ce que la précédente Commission avait refusé d’envisager.

Mais n’y a-t-il pas un risque de fichage généralisé de la population européenne ?

Beaucoup craignent la répétition de ce qui s’est passé aux Etats-Unis au lendemain du 11/09 où l’on est passé du « need to know » au « nice to know ». Il faut absolument éviter cette dérive : on ne doit pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer la sécurité de la population. La Commission a le devoir d’y veiller et elle y veillera.

Le partage de renseignements entre les services de police des États ne semble pas être optimal.

La responsabilité de la lutte contre le terrorisme relève des États membres, c’est un fait. Mais ils doivent accepter de partager davantage de renseignements. Parfois, la réticence des services s’explique par de bonnes raisons, car ils ne savent pas où vont finir ces informations, mais parfois aussi pour des raisons historiques, le renseignement étant l’un des apanages de l’État souverain. Si l’Union peut aider à ce processus par des moyens techniques et institutionnels, elle le fera.

Pourquoi ne pas créer un FBI européen ?

C’est un débat que l’on a déjà eu après les attentats de Madrid et de Londres et il n’a mené à rien. Le résultat serait aujourd’hui le même : les États restent attachés à leur souveraineté dans le domaine du renseignement et de la lutte contre le crime organisé. Nous allons essayer de les convaincre de transmettre plus volontiers leurs informations, par exemple, en se servant d’ Europol comme lieu d’échange de renseignements. On pourrait aussi imaginer d’utiliser le centre de situation (Citcent, dépendant du service européen d’action extérieur) pour échanger et analyser du renseignement extérieur. Mais il n’est nul besoin d’entre dans un débat institutionnel sans issu.

L’espace de libre circulation Schengen est régulièrement mis en cause. Est-ce justifié ?

On peut encore améliorer le contrôle aux frontières extérieures de l’Union par des moyens techniques. Mais je ne peux pas comprendre le raisonnement de ceux qui prétendent que la sécurité serait mieux assurée à l’échelle nationale. Cela serait à la fois infiniment plus coûteux, car tout le monde devra construire un système informatique national, et surtout ces systèmes ne seraient plus automatiquement alimentés par les informations des autres pays. Schengen, j’en suis convaincu, n’est pas une partie du problème, mais une partie de la solution. D’ailleurs, il n’est jamais critiqué par les responsables policiers, mais par les politiques qui sont opposés à la construction européenne.

On pourrait en revanche rendre systématique le contrôle des citoyens européens qui regagnent l’espace Schengen en provenance de certaines zones ?

On peut le faire et on le fait déjà sans le dire.

Faut-il interdire aux djihadistes européens de rentrer en Europe ?

Certains États membres veulent les empêcher de partir, d’autres les empêcher de revenir. C’est à eux d’en décider. Mais il me parait cynique de se laver les mains du problème en disant : qu’ils partent et aillent se faire tuer !

Pensez-vous qu’il faille davantage contrôler internet ?

Internet, comme les médias classiques, opère dans un État de droit. Quand on incite à la haine ou à la violence, il existe déjà des dispositions pénales qui permettent la répression. Je ne vois pas pourquoi il faudrait des dispositions plus strictes pour le net. En revanche, il est nécessaire de discuter avec les hébergeurs américains, qui ne sont pas soumis à nos lois pour qu’ils suppriment les contenus violents et haineux.

Dans les années 70 et 80, l’Europe a déjà été confrontée à un terrorisme local, d’extrême gauche à l’époque. Cette expérience peut-elle servir aujourd’hui ?

À l’époque, on a réussi à séparer les terroristes de ceux dont ils se disaient proches : la répression a été accompagnée par une approche d’intégration des communautés qui auraient pu être séduites par le terrorisme. Mais on n’a pas demandé à toute la gauche de déclarer sa loyauté à l’Etat, comme certains sont aujourd’hui tentés de le faire avec les musulmans. Il faut qu’on se pose la question de savoir pourquoi des gens nés et éduqués chez nous sont graduellement séduits par une idéologie nihiliste sans penser pour autant que l’ensemble des musulmans pourrait y sombrer.

Voir en ligne : http://bruxelles.blogs.liberation.f...

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