Gevrey l’dire à tout le monde *

, par  lapinardotheque , popularité : 2%



*quand la mer monte, j’ai honte, je vous jure.

Je me demande parfois, bien que j’adore le vin, si certaines bouteilles ne sont pas encore plus belles quand on ne les a pas débouchées. Il y a là dedans, sans doute, quelque chose du fantasme non accompli, du geste amoureux suspendu. Celui qu’on n’a pas osé, pas tenté, mais qu’on a imaginé, contextualisé et répété mille fois. Avec toutes ses variantes possibles : le refus clair et net. La dérobade, gentille mais ferme. Ou bien le moment magique où l’autre répond exactement au désir, l’instant est parfait : les bouches se répondent, les peaux s’appellent et … Bref, on connait la chanson.

Imaginer, ça permet de gommer les petits défauts, les aspérités. Les couacs. Un angle pas bien calculé, et paf le coup dans le nez, la main maladroite. Ça donne aussi une certaine zone de confort puisqu’on n’est bridé par rien, autant tout se permettre.

Drôle d’introduction, pour un blog vin ? Pas tant que ça.

Il est des bouteilles comme des rencontres amoureuses, quelle que soit l’intensité du désir, certaines seront toujours platoniques. Parfois ce n’est pas plus mal.

J’y pensais hier : pas bien compliqué, un jeu de mot comme je les affectionne, et v’là le chambertin sur le devant de la scène.

En fait, dans ma caboche, ça cogite : ha le gevrey-chambertin.

Pourquoi ?

Simple : c’était le vin préféré de ma mamy**. Qui n’en a jamais bu une seule goutte.

Quand je vous dis que ce n’est pas vraiment de ma faute si je ne suis pas toujours d’équerre…

Ma grand-mère, c’était quelqu’un : un personnage à la Jacquie Sardou, pareil avec la crinière rousse, capable d’une grossièreté monstrueuse, y compris devant les petits-enfants (fascinés, évidemment, les jurons à cet âge là, ça impressionne). Elle s’appelait Olga, à mon avis, un des plus jolis prénoms au monde qu’elle détestait cordialement. Elle s’est donc fait appeler toute sa vie Huguette, pour "emmerder le monde". Plutôt drôle. Bornée. Et adorant lire mais pas n’importe quoi : Barbara Cartland et San Antonio, à égalité. Galanterie rose poudrée et gaudriole à tiroirs.

C’est avec San Antonio qu’elle est tombée amoureuse du gevrey-chambertin. Rigolo non ? Goûter à un vin, l’élire même comme son préféré uniquement par ses lectures. Ma grand-mère que j’ai toujours vue boire de la bière pils, ou du mouton-cadet les jours de fête, n’avait pas assez de mots pour me parler du gevrey. Quand je lui demandais pourquoi elle n’en avait jamais bu :

"Non, mais tu sais combien ça coûte ? Au prix du pain, hein, faut pas rigoler. Je suis pas crésus, moi."

Le personnage.

Je me suis souvent dit qu’il était dommage que le temps m’eut manqué : je lui aurais apporté une bouteille, ou deux de gevrey. On les aurait sifflées, doucement.

"Tiens-toi droite, merde. T’es une jeune fille ou un camionneur ?"

On aurait parlé de livres, elle aurait engueulé mon papy qui rentrait avec ses godasses pleines de boues de dieu sait où. Je lui aurais peut-être même raconté des anecdotes que j’aurais pris soin de glaner à droite et à gauche. Histoire de lui en boucher un coin, que ce soit moi, pour une fois, la raconteuse d’histoires.

Et puis je serais partie, laissant là les verres vides, qu’elle se serait empressée de passer sous l’eau en râlant "combien de fois je t’ai dit : un verre ça se rince, bordel".

Râlant, mais souriant.

J’ai pas eu le temps. Le temps que je goûte mes premiers bourgognes, elle n’était déjà plus tout à fait là et complètement partie à ma première gorgée de gevrey-chambertin.

C’est dommage mais pas tant.

Parce que cette scène, je la revis de mille et une façons différentes, chaque fois que je bois du gevrey…

Le point de suspension, c’est ce qui vous reste à dire quand vous avez tout dit !

F.Dard

Santé, mamy***

Gevrey-Chambertin à 15 km au sud de Dijon dans le département de la Côte-d’Or fait partie de la Bourgogne.

Le long de la côte de Nuits, il compte 8 grands crus sur les 33 que compte la bourgogne. Le plus célèbre est le chambertin.

**je fais beaucoup de billets introspectifs en ce moment, bonjour les hormones (on va dire ça).

***oui, c’est cocasse de souhaiter la bonne santé à une morte, elle aurait adoré.



Cet article est repris du site http://lapinardotheque.wordpress.co...

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