Google, Apple, Facebook, Amazon : “La France perd un milliard d’euros de TVA par an”

, par  Geoffrey Le Guilcher , popularité : 2%

Votre rapport sur la fiscalité numérique, présenté le 27 juin 2012, est sorti peu de temps avant une perquisition au siège français de Microsoft, soupçonné de fraude fiscale via ses entités américaines et irlandaises. Est-ce un cas représentatif de ce que vous dénoncez ?

Je n’avais pas d’informations particulières à ce sujet. D’autre part, il ne faut pas confondre l’optimisation et la fraude fiscale. L’optimisation fiscale est parfaitement légale. Elle consiste à utiliser les contradictions des législations fiscales nationales et à les combiner pour obtenir le meilleur résultat possible du point de vue de l’entreprise. Cela reprend l’architecture bien connue irlando-néerlando-bermudéenne (le siège social de l’entreprise installée dans l’Union européenne se trouve en Irlande ou au Luxembourg pour bénéficier d’une TVA et d’un impôt sur les sociétés (IS) avantageux). Ce que je m’efforce de dénoncer, c’est avant tout l’abus de position dominante dans lequel semblent se trouver les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).

Comment approchez-vous cette économie dématérialisée ?

Prenez Google. Il doit y avoir deux ans, je suis allé dans leur implantation de Dublin. J’ai visité en particulier ce que j’appelle la salle de marchés qui est le lieu où se trouvent les opérateurs sur les marchés publicitaires nationaux. C’est un open space, un étage entier. Les opérateurs sont à leur desk comme des traders. Simplement, il y a au-dessus de chaque desk un drapeau qui indique le marché prospecté et la langue dans laquelle on s’exprime. On voit par exemple un opérateur sous le drapeau estonien. Et des rangées et des rangées d’opérateurs apparaissent sous le drapeau français, sous le drapeau allemand et sous le drapeau britannique. On visualise ainsi tout le territoire européen qui est couvert par cette prospection méthodique de la publicité. Ça, c’est bien la réalité de l’activité. On ne peut pas prétendre que cette activité soit en France, elle est bien à Dublin.

Est-ce pour cette raison que vous vous appuyez sur la notion “d’Etat de consommation”, afin de partir du récepteur du service ?

Nous sommes le cinquième marché pour Google au monde. Le troisième au niveau européen. La TVA est quasiment le seul impôt dont l’assiette et les conditions de recouvrement sont harmonisées dans l’Union européenne. La TVA doit être acquittée au taux de l’Etat de consommation sauf, c’est l’exception, pour les services électroniques. Jusqu’au 1er janvier 2015, la TVA est encore exigible au taux de l’Etat siège, c’est-à-dire dans le pays où l’entreprise qui rend le service s’est implantée. D’où l’enjeu considérable pour les grands États de consommation que sont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou l’Italie. On peut considérer que le montant annuel qui nous échappe est aujourd’hui supérieur à 800 millions d’euros, proche d’un milliard d’euros uniquement pour la France. En Allemagne, c’est probablement 1,3 ou 1,4 milliards d’euros. Donc c’est un vrai sujet de finances publiques.

Pourquoi proposez-vous d’avancer l’échéance prévue pour 2015 ?

Les principes qui ont conduit à définir la période de transition (l’harmonisation des TVA sur les services électroniques débute en 2015 et s’achève en 2019, ndlr), l’ont été en 2007/2008, sur la base d’études et de chiffres qui dataient déjà de quelques années. Je suggère que les États remettent ce sujet sur la table du Conseil européen. Simplement parce que la réalité économique a évolué : les flux se sont beaucoup accrus et la situation des finances publiques s’est fortement dégradée.

Il faut savoir aussi que le Luxembourg, ces derniers mois, en voyant approcher la date du 1er janvier 2015, a commencé à arguer de la difficulté d’adapter ses systèmes informatiques et donc de l’opportunité qu’il y aurait à repousser la période de transition. La commission a refusé cette prétention luxembourgeoise.

Quelle est la principale difficulté pour taxer davantage les grands acteurs du Net ?

Pour entrer dans le nouveau système, encore faut-il identifier les flux. Les enregistrer correctement. Or les chiffres dont nous disposons sont des évaluations en ordre de grandeur. Nous ne disposons pas de connaissances comptables fiscales car il n’y a pas de déclarations. Ce sont d’ailleurs les professionnels du secteur qui estiment ces flux. Je me suis déjà rendu à Rome, Londres et récemment à Berlin, en début de semaine. J’y ai rencontré le secrétaire d’Etat fédéral chargé de la fiscalité. Et j’ai constaté que ma préoccupation est partagée par le gouvernement allemand.

Vos conclusions sont-elles identiques ?

Notre approche diffère au premier étage de la fusée : le niveau national. La future loi allemande est une loi purement juridique, elle n’utilise pas l’instrument fiscal. Cette loi part du constat des éditeurs allemands. Ces derniers voient leur contenu aspiré, sans leur accord, par les agrégateurs de contenus et les moteurs de recherche. Leurs contenus, des articles de journaux par exemple, se retrouvent sur Google news et font ensuite l’objet d’insertions publicitaires. Les éditeurs considèrent que la propriété intellectuelle de ce qu’ils écrivent est violée par cet effet technique. Leur loi créerait un droit voisin de la propriété intellectuelle qui leur permettrait d’aller devant les tribunaux. Quant à ma proposition de loi, je dis : “taxons les régies publicitaires et demandons aux entreprises étrangères de se déclarer fiscalement”. Ce sont des approches complémentaires.

Vous développez également une approche aux niveaux européen et international…

Au niveau global, c’est l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) : il faut faire évoluer les concepts touchant à l’impôt sur les sociétés. Ces concepts sont ensuite utilisés dans les conventions fiscales entre les États. Le niveau européen, on vient d’en parler : l’enjeu se situe au niveau du délai de passage à la TVA de l’Etat de consommation.

La fiscalité numérique, c’est la fiscalité qui porte sur les assiettes de demain. Je défend le principe de la neutralité numérique. Quel que soit l’outil que vous utilisez, il faut considérer la réalité de l’opération que vous faites.

Vous semblez reprocher aux médias français de ne pas traiter autant le sujet qu’aux États-Unis ou en Grande-Bretagne ?

L’espace médiatique commence à se faire l’écho du comportement d’optimisation fiscale des grands groupes. Côté britannique, il y a eu des campagnes de presse dans le Guardian. Et, en allant à Londres il y a quinze jours, je suis tombé sur une double page du Sunday times vraiment pleine d’enseignements, sous le titre : The Untaxables. Côté américain, il y a déjà un débat public sur le sujet.

Pour quelles raisons cette problématique intéresserait-elle moins l’Hexagone ?

Pour les internautes, Google, c’est le robinet que l’on ouvre. Est-ce qu’ils ont vraiment en tête que c’est une entreprise ? Est-ce que ces services sont identifiés par tout le monde comme des services commerciaux ? Pour le consommateur, vous entrez le mot clé et l’information arrive. C’est gratuit car c’est l’annonceur qui paye. Sans doute, en arrière plan, il y a la préoccupation que cela puisse devenir payant ou que cette liberté complète d’accès soit limitée. C’est un potentiel sur lequel se fondent les lobbyistes.

Quels sont leurs arguments ?

Eux font parler les autres. En Allemagne comme en France, ils expliquent que nos projets ne visent pas seulement Google, Amazon ou Apple mais aussi une très grande variété d’entreprises qui forment le terreau de la société numérique et qui créent de l’emploi, etc. Au demeurant, je souligne une coïncidence. Nous avions constaté que le Conseil national du numérique (CNNum), nouvelle instance représentative de ce secteur, était gêné aux entournures. Il nous déconseillait une initiative rapide en matière fiscale. Et quelques mois après, on retrouve Benoit Tabaka, le secrétaire général dudit conseil, devenu directeur des relations publiques de Google France… Je ne l’accuse pas mais est-ce que des professionnels de ce secteur peuvent être économiquement indépendants de Google ? Je ne le pense pas. Tout le monde est dépendant, même si ce n’est pas sur le plan personnel. C’est une bataille vraiment très difficile.

Recueilli par Geoffrey Le Guilcher

>> A lire sur Ozap.com : Google menace de ne plus référencer les médias français

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2012/10/1...

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