« Google est tourné vers le futur comme la France est tournée vers le passé »

, par  mduquesne , popularité : 1%

Il a monté un empire, à une époque où personne n’y croyait. Aujourd’hui, il trouve facilement des oreilles attentives à ses idées… Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo qu’il a depuis revendu, est chirurgien et urologue de formation mais il est aussi passé par Sciences Po, HEC et l’ENA. Il dirige désormais DNAvision, une société spécialisée dans le séquençage ADN, basée à Bruxelles. Également auteur du livre La mort de la mort (éd. JC Lattès) paru en 2011, il prend goût à prospecter sur l’humanité et la société de demain, où la technologie en sera l’un des élément moteurs. Voire, la clé de l’immortalité ?

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Laurent Alexandre

Vous avez récemment annoncé que « l’homme qui vivra 1000 ans est déjà né ». Que vouliez-vous expliquer ?

Quelqu’un qui naît aujourd’hui n’aura que 86 ans en 2100 et va donc bénéficier d’énormes projets biotechnologiques. Il est probable que cette personne aura une espérance de vie de 150 à 180 ans,ce qui lui permettra d’atteindre 2200 et de bénéficier de nouveaux progrès extraordinaires dans le domaine des biotechnologies et ainsi de suite. C’est pourquoi on peut penser que quelqu’un qui naît aujourd’hui pourrait avoir une espérance de vie longue,non pas avec la technologie de 2014 mais avec celle des décennies suivantes.

Vous anticipez donc que le progrès est exponentiel ?


Si vous prenez le séquençage de l’ADN, par exemple,son coût a été divisé par 3 millions sur les dix dernières années.De même,le progrès de la thérapie génique est exponentiel. Finalement les technologies du vivant suivent aujourd’hui les technologies informatiques,en cela qu’elles croissent en suivant une courbe exponentielle.

Vous soulignez régulièrement les recherches de Google en matière de biotechnologies. Ce n’est pourtant pas quelque chose sur laquelle l’entreprise communique au grand public.

Google communique beaucoup sur la santé. Ses dirigeants ont régulièrement communiqué leurs ambitions en matière d’espérance de vie et de lutte contre la mortalité. Le patron du moteur de recherche, Ray Kurzweil [directeur de l’ingénierie de Google depuis 2012, ndlr] a très régulièrement annoncé que son objectif était de faire reculer la mort et d’atteindre assez rapidement l’immortalité pour l’espèce humaine. Donc ce n’est pas quelque chose de caché : c’est annoncé par les dirigeants de Google depuis déjà longtemps.

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Vous dites que le grand public ne s’intéresse pas à ces questions-là alors que si nous y réfléchissons bien, c’est fondamental : c’est le destin de l’humanité. Est-ce parce qu’il ne perçoit pas ce que cela implique concrètement ? Ou est-ce peut-être trop technique ?

L’opinion publique, dans un pays comme la France est très largement technophobe, a peur du progrès et est assez accrochée au passé. Elle s’intéresse assez peu à la prospective sur ce qui va arriver dans les décennies qui viennent.La fascination pour la technologie était beaucoup plus forte dans les années 60 où la population applaudissait les réussites technologiques qui étaient le Concorde, les premières fusées, le développement de l’énergie atomique… Aujourd’hui, la population française a pas mal peur de la technologie. Regardez les réactions sur les OGM, la réaction des écologistes sur le nucléaire,etc. Globalement, la population a beaucoup moins confiance en la science qu’elle en avait il y a 50 ans.

Est-ce que cette méfiance n’est pas aussi due au débat sur la vie privée et la protection des données personnelles ?


En réalité, les gens n’ont pas peur pour leurs données personnelles, sinon ils n’afficheraient pas tout dans Facebook. Nous pouvons le regretter mais quand vous voyez les milliers de personnes qui font des selfies d’eux-mêmes nus,et qu’ils les mettent sur Internet,on voit bien que nous sommes dans une phase où les gens sont de moins en moins pudiques et partagent de plus en plus leurs données.

Vous pensez important d’encadrer cette protection des données, comme par exemple ce que fait l’Union européenne avec la réforme de sa directive sur les données personnelles ?

Les gens devraient être plus raisonnables et protéger davantage leurs données sensibles. Il est clair qu’il faut encadrer ce que les grands groupes informatiques font de nos données. Si, demain,des acteurs comme Google,à côté d’informations sur nos vies numériques, ont aussi des informations sur notre génome, notre séquençage ADN et des données sur notre état de santé, il est clair que ces données devront être protégées par la loi.

Pouvez-vous m’expliquez ce qu’est le transhumanisme ?


C’est l’idéologie qui pense qu’il est légitime d’utiliser toutes les nanobiotechnologies, l’informatique et les sciences du cerveau pour faire reculer la mort et augmenter les capacités de l’homme. Ils se trouvent que la plupart des dirigeants de Google sont justement des transhumanistes. C’est le cas de Sergei Brin,Larry Page, Vince Cerf, Ray Kurzweil. Cette idéologie est extrêmement présente chez Google. C’est la raison pour laquelle Google investit massivement la lutte contre la mort et les nanobiotechnologies au travers notamment de sa filiale Calico, avec pour objectif de prolonger la vie humaine de 20 années d’ici 2035.

Pourquoi vous intéressez-vous autant à Google ?

Je m’y intéresse car Google est au centre du projet technologique pour faire reculer la mort et pour changer l’humanité. Google est une entreprise centrale. C’est l’entreprise la plus avancée dans le domaine des NBIC : les nanotechnologies, la biotechnologie, l’informatique et les sciences du cerveau. Il n’y pas de branche industrielle majeure du XXIème siècle où Google n’est pas leader ou un acteur important aujourd’hui. Cette entreprise a eu le nez creux et a vu toutes les évolutions technologiques. Google est tourné vers le futur comme la France est tournée vers le passé. Google, c’est l’anti-France. Ce que fait Google est globalement positif mais il faudra aussi encadrer Google.

Qui peut encadrer tout cela, justement ?

Il n’y a que les États qui puissent encadrer ce type de très grandes entreprises. La question qui se pose est : n’y a-t-il pas un moment où des sociétés comme Google seront plus puissantes que les États et où finalement les États ne pourront plus les réguler ? Google équipe 80 % des smartphones dans le monde avec Android ! On voit que Google a atteint un poids extrêmement important qui pourrait faire que dans les années qui viennent Google soit plus puissante qu’un État comme la France, qui est en voie de régression assez forte, dans le domaine de ces technologies-là. C’est le principal problème de la France.

Ces progrès technologiques, développés par Google par exemple, doivent dépendre des budgets financiers pour les projets de recherche mais également de la qualité des chercheurs.

Ce n’est pas qu’une question d’argent : si Google a les meilleurs chercheurs, c’est parce que cette entreprise permet aux chercheurs de faire des choses passionnantes, les payent très bien et c’est comme ça que Google se retrouve avec le tiers de tous les savants spécialisés en intelligence artificielle sur terre aujourd’hui. Quand on est spécialiste de l’intelligence artificielle, le rêve, c’est de travailler chez Google, car c’est l’entreprise le plus à la pointe de l’intelligence artificielle dans le monde. Entre travailler dans un laboratoire minable, en tant que chercheur public et travailler chez Google, il n’y a pas photo : ils vont chez Google.

Vous continuez à suivre de loin Doctissimo ?

Je l’ai revendu, c’est maintenant Arnaud Lagardère qui en est propriétaire, je n’ai plus à m’en mêler. Je l’ai créé en 2000 et je l’ai revendu en 2008, quand Doctissimo approchait les 2 millions de visiteurs par jour. Peu de gens y croyaient à l’époque. Ils ne pensaient pas qu’il y aurait une demande d’information médicale sur Internet.

Que pensez-vous de l’état de l’entrepreneuriat dans le numérique, en France, actuellement ?


Beaucoup de personnes pourraient faire des choses dans le domaine digital. Ce qui me désole c’est qu’un grand nombre d’entre eux partent directement créer leur start-up hors de France : en Angleterre, aux États-Unis, en Asie… La France n’est pas assez accueillante vis-à-vis des entrepreneurs et elle pousse un bon nombre d’entre eux à partir ailleurs. C’est dommageable pour la croissance et pour l’emploi en France.

Qu’est-ce qui les repousse hors de France ?

La lourdeur administrative, la lourdeur fiscale, l’absence de considération par le pouvoir politique des entrepreneurs. C’est un petit peu mieux en ce moment mais globalement, le pouvoir politique n’aime pas beaucoup les créateurs d’entreprises.

Fleur Pellerin a quand même lancé récemment la French Tech.


C’est un symbole, mais ce n’est pas à la hauteur de ce qu’il faudrait pour rétablir la confiance entre l’État et les entrepreneurs. Ces derniers sont trop mal considérés en France et il faudrait des gestes plus radicaux pour que cela change et rétablir la confiance.

Les objets connectés ont aussi investi le milieu médical. Comment voyez-vous cette évolution ?


Le cœur artificiel est un objet connecté, tout comme les mains artificielles ou la rétine artificielle. On en voit se développer beaucoup. Certaines sociétés françaises ont d’ailleurs de bonnes positions dans ce domaine-là comme la société Withings, dirigée par Éric Carrel. Les objets connectés forment un des secteurs où la France ne se débrouille pas trop mal.

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Les objets connectés ne représentent-ils pas aussi un danger ?


Ces objets peuvent être en danger, en effet. Parmi eux, un certain nombre sont régulés, à distance, par Internet. Notamment les pacemakers, chez les cardiaques. Il a été démontré qu’on pouvait hacker les systèmes, qu’on pouvait modifier les paramètres d’un pacemaker et donc entraîner une crise cardiaque, si nous sommes malintentionnés. Il est clair que plus on a d’objet connectés dans notre corps, plus il y a de risque qu’il y ait des biohackers : des gens malintentionnés qui modifient les paramètres électroniques des dispositifs que nous hébergeons et éventuellement nous tuent.

C’est déjà arrivé concrètement ?

Non, il n’y pas encore eu de gens tués par terrorisme numérique sur les implants médicaux, mais c’est quelque chose de possible.

Mais plus simplement, le vol de données de santé, pour un homme politique, par exemple, pourrait être un danger, non ?

Je pense que quand on est un homme politique,on fait attention à son dossier médical et on ne le laisse pas sur un ordinateur. Donc je ne crois pas que le dossier médical du président Hollande soit accessible sur Internet et puisse être attaqué.

Propos recueillis par Margaux Duquesne, pour le magazine l’Informaticien d’avril 2014.

À lire aussi : "Google et la technologie dans la peau".

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« L’idée que la mort est un problème à résoudre et non une réalité imposée par la Nature ou par la volonté divine va s’imposer ». Partant de ce principe, Laurent Alexandre réfléchit aux dégâts collatéraux que pourraient entraîner les progrès technologiques permettant de "bricoler la vie". Nanotechnologies, biologie, informatique et sciences cognitives vont peu à peu reculer la mort. L’Homme transformé par l’hybridation avec les machines, changera-t-il de nature ?

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Voir en ligne : http://journaleuse.com/2014/05/06/g...

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