Grêle, gel, et manque d’assurance(s).

, par  lapinardotheque , popularité : 1%
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source @vitisphère

Chablis, cognac, saint-bris, fleurie, morgon*… Toutes ces appellations ont la triste particularité commune d’avoir été touchées par la grêle, ces jours derniers. Parfois déjà par le gel, aussi.

Les premiers dégâts visibles sont à la vigne : bourgeons morts, branches cassées, tâches marrons sur le feuillage qui indiquent des nécroses dues à l’impact des grêlons. Certaines parcelles sont déjà vendangées : il ne reste qu’à faire tomber les bourgeons morts. Si la vigne se reprenait, et arrivait à ressortir des bourgeons, beaucoup de chances qu’ils soient non fructifères, ou ne donnent que des grappillons insignifiants, et impropres à vinifier.

Il faut attendre que la vigne fleurisse pour, dans les parcelles touchées avec un peu moins de gravité, là où tout n’est pas dévasté, estimer ce qu’on pourrait récolter (sous réserve qu’un autre épisode de grêle/ gel/ autre ne pointe pas le bout de son museau.)**

Ensuite, ce sera visible à la cave : moins de rendements, ou pas du tout. Impossibilité donc de vendre du vin qui n’existe pas. Et d’honorer les commandes qui sont passées d’années en années.

Oui, c’est bien triste, mais les vignerons sont assurés, non ?

Et bien, non. Seul un vigneron sur cinq possède une assurance. 20% de vignerons assurés. Pour les autres ? Rien. Compter sur le stock, la chance, un peu d’épargne, …

Ce qui n’est pas possible pour tous. Imaginons un jeune vigneron, installé récemment, duraille, puisqu’il a très certainement peu de stocks derrière (et des investissements). Imaginons un autre, qui vient de se prendre sur la gueule une ou deux « mauvaises » années… Ou celui-là, qui vient de changer son pressoir, ou d’investir dans l’achat d’une nouvelle parcelle.

Dans le cas où un stock « tampon » serait disponible : est-il plausible que celui-ci serve à couvrir l’entièreté de la perte d’une récolte ? A moins d’avoir les reins très très solides et de pouvoir se permettre « un perte sèche » de liquide (haha), c’est une situation très dangereuse économiquement. De toute façon, reste le problème de vins « non livrables » une année, et le risque de perte de clients (parce que bizarrement, l’humain ne prend pas toujours le dessus dans les rapports commerciaux, bizness is bizness).

La solution semble toute trouvée : a-ssu-rer.

Pas si vite, mes petits potes.

Comme vu plus haut, les vignerons restent dans leur grande majorité sans assurance. Pourquoi ?

Les raisons sont multiples.

D’abord, décortiquons : quelles sont les possibilités pour un domaine viticole ?

En gros, deux types d’assurance sont proposées : une multi-risques : un contrat qui couvre les raisins de cuve, pour les ravages causés par la grêle, le gel, la tempête, la neige, l’inondation, la sécheresse, le givre… une multi-périls : elle couvre les pertes causées non seulement par les aléas climatiques comme la sécheresse par exemple, mais aussi les ravages des maladies comme l’oïdium et le mildiou (sous réserve que ce soit listé dans le contrat).

Des assurances qui ont évidemment un coût : pour résoudre – en partie – le souci de sous, l’Europe a proposé, dans le PAC (pas de bière, la politique agricole commune) de subventionner en partie ces assurances. En gros, le vigneron doit introduire un dossier de demande d’aide qui permettra d’absorber un peu le montant du. Ce n’est pas sans condition : les viticulteurs y ont droit seulement si le montant des ravages est équivalent à au moins 30 % du capital couvert par parcelle avec une franchise de 25 %.

Dans l’hypothèse où le vigneron est couvert, où son assurance veut bien l’indemniser, où son dossier est complet, qu’est-ce qu’il peut espérer ?

D’abord, il peut se mettre sur l’oreille les 25% (jusque 30 % dans certains cas) de franchise. Ensuite, et là, c’est pernicieux : il faut voir de quelle valeur on parle. La valeur prise en compte – et donc assurée – est celle du raisin. On se base sur le rendement annuel, faisant objet d’une déclaration individuelle du vigneron, renouvelable chaque année et sur les « mercuriales », qui sont une liste des cours ou prix officiels des matières premières, denrées et autres marchandises d’un marché donné, en l’occurrence ici celui du vin. On en déduit donc « la perte » et on indemnise sur cette base. Ce qui est injuste, puisqu’on ne prend pas du tout en compte la valorisation de la mise en bouteilles, et de l’élevage.

En outre, si le vigneron ne rédige pas chaque année son « estimation de rendement », il y a des chances que celui-ci soit sous-évalué. Pas cool, même si l’inverse est possible.

Il est possible de s’assurer sur la valorisation réelle du stock, mais ce n’est pas systématiquement proposé à tous les vignerons.

Parce que soyons clairs, une assurance n’est pas là pour faire œuvre de charité, mais des profits. Avec une successions de millésimes compliqués – et donc autant de contrats à honorer – les assurances rechignent à « donner trop ». Et comme pour toute assurance, y a les bons et les moins bons. Pour peu que tu sois jugé dans un lieu « à problèmes » (couloir de grêle, par exemple), ou ton exploitation trop modeste, tes conditions changeront. Si on veut être un peu cynique : si tu as « les moyens » (soit par la surface, soit par le contrat souscrit) d’intéresser l’assureur, les propositions que fait ce dernier sont plus adaptées !

Isabelle Perraud, vigneronne en beaujolais explique : « Nous on est dans un couloir de grêle, on s’est toujours assuré pour qu’au moins, ça prenne en charge une partie du remboursement de nos emprunts quand on grêle…c’est à dire très souvent. Nous avons bien évidemment une prime très élevée. Que l’on paie rarement (2 fois en 29 ans) car on grêle toujours, même un peu pour payer cette maudite prime.

On ne peut donc pas s’assurer pour s’assurer justement un revenu en cas de grêle. C’est beaucoup trop cher. On n’est pas assuré « parce qu’on a les moyens ». On est assuré parce qu’on n’a pas moyen de ne pas l’être. »

Sébastien Fleuret n’est pas assuré : « l’assurance perte de récolte pour un petit vigneron (2.5 ha pour moi) c’est juste impensable : des tarifs prohibitifs et un montant remboursé en cas de préjudice basé sur la valeur du moût à la récolte, pas du tout sur la valorisation réelle que j’en fais en bouteille. Du coup tout l’investissement pour faire du qualitatif n’est pas couvert et il vaut mieux que j’épargne pour parer aux coups durs en espérant que la catastrophe n’arrive pas avant que j’ai assez de côté car elle arrivera c’est certain, on apprend au lycée qu’on perd tout une fois tous les 7 ans statistiquement. »

Un peu fataliste comme Jacques (pas Chirac, l’autre).

Assurances impayables, stock pas suffisant pour couvrir les pertes… Et si la solution venait de l’état ?

Là encore, c’est compliqué (pour être poli.e).

La grêle n’est pas à proprement parler une « catastrophe naturelle », en tous cas, elle n’est pas reconnue en tant que telle (et on en a gros). Quant bien même, les « aides » débloquées par une reconnaissance par l’état de catastrophe naturelle que réclament certains ne parviennent que très rarement aux vignerons eux-mêmes. Elles se répartissent plutôt en report d’annuités, en aide aux maintiens des cours, en exonérations de taxes sur le foncier : un « effort » pour « soutenir la filière » qui ne se ressent pas directement en cash dans le portefeuille du vigneron.

La solution, serinée depuis un moment déjà, est que plus de vignerons s’assurent, pour effectivement faire baisser le prix des contrats, mais pour ça, il faut encore que ce soit possible. Nombreux sont ceux, qui, de toute façon sont dans l’impossibilité de faire face aux frais de l’assurance, le maintien de leur exploitation étant déjà rendu difficile, ou juste – et à peine – en équilibre.

Alors qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

On picole !

Sans rire, boire du vin, acheter du vin est un acte concret, que nous pouvons poser, à titre individuel, pour soutenir vraiment les vignerons. Pour la vendange 2016, c’est un peu rapé, mais restent des 2015, puis des 2014, etc en stock. Ma conscience écolo-tendance hippie me souffle aussi joyeusement qu’on ferait mieux d’encourager encore plus que jamais tous les efforts pour passer en bio/ maintenir du bio/ consommer mieux/ gaspiller moins, juste histoire d’éviter à nos gosses de subir de plein fouet les changements climatiques qui ne font encore que nous effleurer. Mais ça…

Edit du 1 juin :

*et bergerac, madiran, vouvray, anjou, macon, et tant d’autres… une liste impressionnante

** une vigne touchée par la grêle c’est des dégâts la première année, mais aussi les années suivantes : moins de rendements à cause des ceps endommagés qui doivent se requinquer, et bien évidemment ces pertes là ne sont pas assurables…

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