Hackers : pourquoi tant de mecs ?

, par  les Inrocks , popularité : 1%

Rooney Mara dans "Millenium" (2011).

Cette année, les hackers célèbreront les 10 ans de la mort de leur Sainte Patronne : Jude Milhon, décédée en juillet 2003 d’un cancer. Une sacrée nénette qui dès les années 70 voyait dans les ordinateurs un outil d’empowerment et non de mort, clamait que “les filles ont besoin de modem”, vantait “la joie du sexe hacker” et inventa le mot-valise cypherpunk, un mix entre cyberpunk et cypher, chiffrer en anglais.

Un caractère bien musqué donc et aussi un oiseau rare : le milieu hacker, ces bidouilleurs créatifs, reste désespérément mâle, pour ne pas dire machiste. En 2011, un chercheur et hacker suédois avait réalisé une petite étude empirique sur le milieu. Ses conclusions rejoignaient ce que l’on pressent quand on fréquente un peu la communauté : 89% d’hommes. Au Chaos Computer Club (CCC), le plus prestigieux club de hackers, on compte 15% de femmes, et quand bien même c’est une femme, Constanze Kurz, qui assure le porte-parolat.

Des discussions ont encore eu lieu récemment sur la mailing-list de hackerspaces.org, un site ressource de référence sur le sujet. Des échanges longs, parfois virulents – troll oblige – lancés par Melissa. Elle y exprimait son malaise à travailler dans un lieu envahi par des hommes et déplorait leur capacité à mettre le grappin sur le leadership.

Un peu plus tôt ce mois-ci, une hackeuse a aussi publié un post de blog intitulé “Chère communauté hacker – nous avons besoin de parler”. Asher Wolf affirmait sans ambage : “Oui, bien sûr, il y a des trous du cul dans toutes les communautés. Mais certaines communautés rendent les sexistes, les misogynes, les harceleurs et les trous du cul en général particulièrement importuns. Malheureusement, les progrès de la communauté hacker en matière de relations humaines semblent patauger. “On essaye !” “Oui, je vois, mais c’est insuffisant. De très loin.” Pourtant, des chartes sont parfois mises en place, voir des groupes non mixtes comme Haecksen au CCC. En vain apparemment.

Même Richard Stallman, le gourou du logiciel libre, s’adonne à la blagounette digne des Grosses têtes. En 2009, il a fait une comparaison passée à la postérité lors d’une conférence : il a décrit les “vierges d’Emacs (un éditeur de texte très puissant, outil de hacker par excellence, ndlr) comme “des femmes qui n’avaient jamais utilisé Emacs”, affirmant que c’était un devoir sacré “de les débarrasser de leur virginité.” Classe.

Contraire à leur éthique

En théorie, cette communauté devrait échapper au machisme ambiant de notre petit monde moderne. En effet, l’éthique hacker, telle que le journaliste Steven Levy l’a définie dans son ouvrage de référence Hackers, heroes of the computer revolution, stipule que “les hackers devraient être jugés selon leurs œuvres, et non selon des critères qu’ils jugent factices comme la position, l’âge, la nationalité ou les diplômes.” Et donc le sexe.

Dans la réalité, les hackerspaces sont pour le moment un mouvement qui touche surtout la classe moyenne aisée blanche et diplômée des pays occidentaux. Et a tendance à déconsidérer tout ce qui ne rentre pas dans cette norme. Ce qui est vrai pour les femmes l’est aussi par exemple pour les gays.

De plus, comme le résumait Yves, membres du LOL (Laboratoire Ouvert Lyonnais), “il existe un manque clair d’intérêt dans la population féminine pour le mouvement des hackerspace/makerspace qui reflètent le fait que le monde de la technique est très masculin”.


À titre d’exemple, les femmes représentent 10% des effectifs en école d’informatique.

Même les solutions envisagées fleurent bon le cliché parfois. David, du hackerspace de Baltimore, proposait ainsi aux femmes qui se sentent seules “de faire un cours sur les e-textiles ou n’importe quel sujet qui plait aux femmes. Taclé immédiatement par Philipp, un peu plus finaud : “il incombe à la communauté de s’ouvrir, pas en jouant les chevaliers blancs mais en réexaminant sans cesse ses stéréotypes.”

>> A lire aussi : Pourquoi les jeunes hackers sont-ils dépressifs ?

Bilal Ghalib, un Américain d’origine Irakienne qui a créé une association pour aider le développement des hackerspaces dans les pays en développement, revenait, en toute bonne foi, sur le cas de Lamba Labs, au Liban :

“Le bureau actuel comprend 50% de femmes et les ateliers en drainent beaucoup. Nous avons évité de nombreux obstacles à la mixité grâce à trois points importants :

“1) Un lieu beau, propre, agréable. Le hackerspace est situé dans un ancien appartement de Beyrouth.”

Il notait aussi au passage que ce lieu situé au Moyen-Orient “est aussi le plus neutre en terme de mixité qu’il ait jamais visité”.

Sabrina, présidente du premier club de sécurité d’Algérie

Beyrouth n’est pas un cas isolé. Ainsi en Algérie, le premier club de sécurité informatique du pays a pour présidente une étudiante en informatique de 20 ans, qui souhaite faire carrière dans cette spécialité. Et Sabrina n’est pas un électron isolée : la secrétaire générale, Houda, présente le même profil. En matière de mixité en informatique, l’Algérie peut donner des leçons à bien des pays, une tendance certes récente. Et à nos hackers occidentaux, en matière de (non) gouvernance. Quand on lui demande si ça n’a pas posé de problème d’élire une fille, Sabrine répond de sa voix tranquille :

“Certains auraient voulu que ce soit un mec mais chez les hackers, il n’y a pas de notion de présidente, chacun participe. À partir de là, ça ne pose pas de problème.”

Autre piste, qui nous vient des Etats-Unis cette fois-ci, le hackerspace-crèche. Problème : c’est l’inverse, les hommes s’y sentent mal à l’aise. Décidément, le IRL, c’est pas facile.

Sabine Blanc



Sabine Blanc travaille actuellement sur un web-reportage sur les hackers dans la cité arabe avec la photojournaliste Ophelia Noor. Vous pouvez soutenir leur collecte sur Kiss Kiss Bank Bank.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/3...

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