Ils ont fondé leur propre Etat : l’incroyable histoire des micronations

, par  Kevin Poireault , popularité : 1%
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Projet libertaire lancé en 2015 par le Tchèque Vít Jedlička, le Liberland est l’une des micronations les plus célèbres du monde (Antonio Bronic/Reuters)

Parfois, ils ont voulu singer les régimes existants. D’autres, ils ont eu l’ambition de fonder une nation sous un mode de gouvernement alternatif, utopique même. Bruno Fuligni, spécialiste des personnages les plus fantaisistes de l’histoire politique et auteur de L’Etat c’est moi (éd. de Paris – Max Chaleil, 1997) et de Votez fou ! (éd. Horlay, 2007) revient avec un nouvel essai nous contant les aventures de ces autocrates aux histoires plus truculentes les unes que les autres, sobrement intitulé Royaumes d’aventure. Ils ont fondé leur propre Etat (éd. Les Arènes).

Il nous emmène d’abord sur ces îles lointaines où, dès le XIVe siècle (et peut-être même avant), on trouve des pirates, des flibustiers, des corsaires et autres forbans en tous genres, mais aussi des marrons (esclaves antillais qui ont fui la propriété de leur maître) et un bon lot de gradés occidentaux, qui ont mené à bien, sur quelque microterritoire insulaire, leur rêve d’émancipation et de pouvoir. Comme la petite histoire rencontre souvent la grande, ces autocrates ont croisé la route de la colonisation, des guerres mondiales, de la décolonisation, de la guerre froide mais aussi de l’avènement de l’économie capitaliste, de la corruption et des mafias sévissant dans le monde entier.

D’autres ont même construit des empires éphémères, raconte l’auteur. Or, au fur et à mesure de cette lecture passionnante, on comprend que, outre le fait d’acquérir un titre et d’en décerner – ou d’en vendre – à ses comparses ou à des inconnus, battre sa propre monnaie et émettre ses timbres originaux demeure l’acte performatif par excellence de la création d’un Etat. Ce qui est vrai encore aujourd’hui, d’ailleurs :

“Les timbres ne servent pas seulement à tirer quelques fonds des philatélistes : quand les postes françaises, largement automatisées, affranchissent un courrier timbré aux armes d’une entité lointaine mal connue du facteur, la distribution de cette lettre suffira à démontrer que la France admet l’existence d’un nouveau sujet de droit international.”

La Trinidad, ou la principauté par actions

Justement, la plupart du temps, ces micronations servent moins à acquérir une souveraineté politique qu’à faire parler de soi, de son territoire ou de sa communauté. Petit florilège des histoires les plus incroyables aux quatre coins du monde.

En 1891, le richissime écrivain franco-américain James Harden-Hickey débarque en yacht, avec sa femme, sur l’île de la Trinidad. Il en fait sa principauté et s’attribue le titre de James Ier. Mais, pour attirer les fils de riches Américains sur “son” île, il a une grande idée qui fait entrer “l’univers des robinsonnades dans la modernité”, détaille Bruno Fuligni :

“Son drapeau rouge, chargé d’un triangle d’or, flotte aux frontons de ses bureaux new-yorkais, où les candidats à l’exil peuvent souscrire des actions du nouvel Etat !”

La Gonâve, une dyharchie théocratique vaudou

Oui, la “dyharchie théocratique vaudou”, ça existe !.. ou plutôt ça a existé, entre 1926 et 1929. Issu d’une famille catholique aux origines franco-polonaises, l’Américain Faustin Wirkus s’engage en Haïti avec l’armée de son pays au début du XXe siècle. En 1924, il demande sa mutation sur l’île de la Gonâve, à l’ouest de Port-au-Prince, où, en tant qu’unique Blanc, il aurait pu “entrer en conflit avec les autorités coutumières, les sociétés Congo et leur reine, la prêtresse vaudou Ti Mémène”, narre l’auteur. Mais il se trouve que cet Américain a le même prénom que Faustin Soulouque, l’ancien “empereur de Haïti”. Wirkus est donc couronné “roi de la Gonâve” en 1926 sous le nom de Faustin II et il administre l’île avec la prêtresse jusqu’en 1929, quand le chef de l’Etat haïtien le contraint à l’exil. Il meurt en 1945, loin de “son peuple”.

La Patagonie, pour retrouver une certaine noblesse

Le Royaume d’Araucanie-Patagonie, c’est l’histoire d’Antoine “Orélie” Tounens, un enfant ambitieux né en 1825, neuvième d’une fratrie de dix dont les parents sont paysans dans le Périgord. C’est l’histoire d’un gamin qui a réussi – baccalauréat et études de droit – et qui, bercé par les histoires de cette ancienne famille aristocrate dont les descendants sont “devenus cultivateurs par nécessité”, consacre sa vie à regagner le rang qui lui est dû. En 1857, il obtient de la cour impériale de Bordeaux la restitution de la particule, puis part en Amérique latine sous le nom d’Orllie-Antoine avec “des ambitions de haute politique qu’il mûrit d’abord en secret”. Armé de sacoches avec “des pesos à son effigie”, d’“un sceau” et d’“un projet de constitution en soixante-dix articles”, il s’allie à la cause des Indiens mapuches en Patagonie contre les Espagnols et les Incas. En 1860, sa constitution est promulguée et il se hisse au rang de roi d’Araucanie-Patagonie sous le nom d’Orllie-Antoine Ier. S’il ne reste que deux ans aux commandes de ce territoire mapuche, chassé par le Chili en 1862, son trône compte encore aujourd’hui quelques légitimistes, qui rejettent en bloc ses différents successeurs. Parmi eux, l’écrivain français Jean Raspail, qui a créé le Consulat général de Patagonie. Mais honnêtement, depuis l’exil forcé d’Antoine Tounens en France en 1862, toute cette histoire tient davantage du folklore amérindien que de géopolitique, semble suggérer l’historien.

Christiana, l’expérience sociale

“Expérience sociale”. Voilà un statut peu ordinaire. C’est celui du quartier de Christiana, au coeur de Copenhague, au Danemark. Investi par une communauté de hippies en 1971, cette “ville libre s’autogère tranquillement, si bien que les autorités danoises jugent préférable de négocier” pour lui accorder ce statut incongru deux ans plus tard. Si ses habitants ont fini par accepter que les forces de l’ordre y traquent le trafic de drogues dures, ils n’ont pas cédé au gouvernement de droite qui, en 2006, a voulu déchoir ce quartier copenhaguois de son statut de “ville libre” et continuent de s’auto-administrer encore aujourd’hui.

Le Royaume de Hay, coup de pub pour le commerce des livres anciens

Une monarchie née un 1er avril, ça ne paraît pas très sérieux. Et en effet, ça ne l’est pas : revenu en 1860 à Hay-on-Wye, une bourgade à la frontière entre l’Angleterre et le Pays de Galles où il est né, après ses études à Oxford, Richard Booth souhaite “redynamiser son village par le commerce de livres anciens”. Comment ? “Il suffit que la clientèle urbaine se déplace, ce qui suppose d’appeler son attention.” Ni une ni deux, le Gallois fonde le Royaume de Hay en 1977, qu’il dirige en qualité de Richard Ier, “dit Richard Coeur-de-Livre”. Une vaste opération de com’ pour ce “roi-bouquiniste” facétieux, décoré par le Royaume-Uni pour son action en faveur du livre et du développement local et qui, en 2009, s’engage beaucoup plus sérieusement en politique en rejoignant le Parti socialiste-travailliste gallois.

Sans oublier… l’Etat mormon de Deseret dans l’ouest américain, les 134 communes libres de France telles que Montmartre ou Belleville, les hôtels-Etats, les territoires artificiels comme la fameuse principauté de Sealand ou encore les Etats d’artistes.

Comblant souvent davantage le besoin de rêver que celui de gouverner, bon nombre de micronations créées récemment adhèreraient certainement à cette maxime des habitants de la République franc-comtoise du Saugeais :

“Le Saugeais n’a pas de frontières. Ce sont ses voisins qui sont bornés.”

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Royaumes d’aventure. Ils ont fondé leur propre Etat, Bruno Fuligni, éd. Les Arènes, 24,80€

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/05/2...

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