“Les Stratèges” : un docu-fleuve qui éclaire la campagne présidentielle

, par  Jean-Marie Durand , popularité : 2%

Le nouveau président de la République élu le 6 mai revient de loin, d’un temps et d’un espace où beaucoup l’imaginaient enseveli sous ses propres cendres politiques. Il aura traversé une longue épreuve, dont rien ne pouvait laisser penser il y a quelques mois qu’elle mènerait au triomphe. C’est le mérite du documentaire, en forme d’épopée, de Thomas Legrand (éditorialiste aux Inrocks) et David André, produit par Emmanuel François, Les Stratèges, de restituer sur la durée le chemin parcouru par le Président, le vaincu et les principaux candidats du premier tour.

De la fin de l’été 2011, au moment où débute la primaire au PS, jusqu’au soir du 6 mai, les auteurs ont suivi au plus près les épisodes de la campagne électorale, en filmant ses à-côtés les plus discrets et ses contours les plus tranchants. Plus qu’une chronique classique, le film déplace le récit vers une réflexion en temps réel sur le sens des stratégies politiques et leurs oscillations au cours du temps, variables aussi selon le profil des conseillers de l’ombre. Car, chez François Hollande comme chez Nicolas Sarkozy, il apparaît, au fil des entretiens avec leurs proches, que les chefs n’appliquent pas forcément à la lettre les conseils des stratèges, multiples et parfois opposés entre eux.

Les stratèges, ce sont moins les experts que les chefs eux-mêmes, animés par le sens du combat, solitaires malgré la machinerie collective qui l’encadre. Comme le confesse ici François Hollande, une campagne, “c’est une catalyse” ; intégrant la méthode de Mitterrand en 1981, le candidat socialiste s’est entouré de personnalités différentes, parfois opposées durant la primaire (Morelle, Valls, Sapin…) pour faire lui-même la synthèse des voies dispersées : la sauce hollandaise n’a cessé d’entremêler des parfums et des textures émiettés.

Ce modèle d’un geste soliste et réunificateur trouve une traduction encore plus forte chez Sarkozy, dont les deux mentors – Patrick Buisson et Henri Guaino – incarnèrent durant la campagne deux horizons a priori inconciliables. Sarkozy s’est pourtant reposé sur l’un et l’autre, mettant les idées extrémistes de Buisson (le rejet des immigrés, de “l’assistanat”, les racines chrétiennes de la France, l’éloge des frontières…) dans les mots classiques de Guaino (le patriotisme, la nation, l’identité…)… Et si Guaino – visionnaire ou aveugle ? – confessait en septembre 2011 que “la défaite morale précède toujours la défaite politique” et qu’il serait fou d’opposer des citoyens contre d’autres, il s’accommodera, de fait, des dérives droitières de son président.

Cette tension et cette ambiguïté traversent le film sur toute la durée, pour en faire l’un de ses angles les plus saisissants. Eclairant les enjeux de cette stratégie de Sarkozy, tiraillée entre son versant frontiste et son front républicain, et celle de Hollande, ménageant à part égale les électeurs mélenchonistes et centristes, Les Stratèges dessine un territoire foisonnant de paroles et de sous-entendus. La cohorte de politiques et conseillers, dont le documentaire rapporte les mots par cercles concentriques, dessine les hauts et les bas-reliefs d’une campagne commencée dans un climat de pré-cataclysme (dette, crise de l’euro…).

En dépit des discours affichés et des formules ciselées sur les faiblesses de l’adversaire, le contexte économique a déterminé le cours fébrile d’une campagne hantée par le spectre de la crise. Plus encore que le sens stratégique des politiques, c’est l’essence du combat politique qui transparaît dans le film, comme la trace d’une promesse insensée : maîtriser le cours des choses et des monnaies, donner de l’espérance à ceux qui n’en ont déjà plus.

Les Stratèges de David André et Thomas Legrand. Mercredi 9 mai, Canal+, 21 h

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2012/05/0...

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