2008, l’oracle spectaculaire de MGMT

, par  Pascal Bertin , popularité : 2%
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Qui aurait pu prévoir que du haut de leurs 25 ans et de mélodies juvéniles gravées sur laptop, Andrew VanWyngarden et Benjamin Goldwasser allaient devenir les nouveaux chouchous de l’électro-pop du XXIe siècle, avec un premier album qui s’impose aujourd’hui comme un redoutable mille-feuille de classiques ? Un disque pétri de hits à danser nu sur la plage, formule que ses deux géniteurs allaient pourtant fuir par la suite, comme si l’évidence pop d’Oracular Spectacular allait fournir à Andrew et Ben les moyens de s’offrir une liberté rare. La liberté de s’ouvrir les portes d’une nouvelle perception de la pop et de laisser libre court à un goût prononcé pour les expérimentations aussi fumeuses que goûteuses.

La naissance du groupe

Leur amitié naît vers les dix-huit ans, dès qu’ils font connaissance sur les bancs de la Wesleyan University, fameuse fac d’art privée du Connecticut. Plusieurs artistes, comme les chanteuses Dar Williams et Santigold , sont déjà passés par ce campus de 2.800 étudiants pour des carrières dans la musique indé. En ce début d’années 2000, VanWyngarden joue dans un groupe nommé Irma Vep dont le fait d’armes sera une première partie de The Rapture . « Avec Ben, on partageait la même chambre et la musique a toujours été très importante entre nous. On a commencé à faire des trucs ensemble et Ben avait un laptop avec le logiciel Reason sur lequel la plupart des premières chansons ont été écrites. » Participant à une association qui organise des concerts, Goldwasser est le mieux placé pour y faire jouer MGMT, le duo qu’il a créé avec VanWyngarden. C’est aussi à la Wesleyan qu’ils rencontrent Will Berman qui les rejoindra des années plus tard comme batteur.

Leurs chansons prennent forme en version binaire, squelettes encore branlants qui ne demandent qu’à s’épaissir. « Composer sur ordinateur correspondait juste à une nécessité du moment et à la façon la plus simple pour nous de faire de la musique  ». Pas vraiment conscients d’avoir un groupe entre les mains, les deux expérimentent dans le noise-rock, s’essaient aux limites de l’electronica, et s’accordent sur une formule à base de pop hautement euphorique.

“On ne voulait pas vraiment d’un concept album mais d’un disque cohérent avec une thématique, l’idée d’un truc post-apocalyptique”

Benjamin Goldwasser

Une fois leurs diplômes en poche, ils publient durant l’été 2005 un premier EP 6 titres, Time to Pretend , et embarquent en première partie de la tournée d’Of Montreal , la troupe pop bigarrée d’Athens menée par le fantasque Kevin Barnes. Ils ouvrent alors des yeux comme des billes quand ils reçoivent un coup de téléphone du label Columbia Records qui leur déclare sa flamme. Le contrat avec la major est signé à l’automne 2006. Reste à bâtir le cœur de la cathédrale pop du premier album. « On avait déjà quelques chansons comme Kids, Time to Pretend, Electric Feel… mais il en fallait de nouvelles. On ne voulait pas vraiment d’un concept album mais d’un disque cohérent avec une thématique, l’idée d’un truc post-apocalyptique » explique Ben. « Un studio nous a été mis à disposition à Williamsburg pendant plusieurs mois pour composer ajoute Andrew, et c’est là qu’est née cette idée de bande de jeunes vivant sur la plage après avoir survécu à un drame apocalyptique. Weekend Wars a été la première chanson que nous avons travaillée ». Le choix du producteur sera forcément capital. « Plusieurs sont passés dans notre local de répétition. On leur a joué nos chansons et aucun n’a semblé très impressionné ou n’a manifesté l’envie de travailler avec nous » raconte Ben.

Dave Fridmann, l’évidence

La légende raconte que les deux établissent pour Columbia le top de leurs producteurs de rêve et y placent Prince, Barack Obama, « surtout pas Sheryl Crow  », et Dave Fridmann. « Cette liste n’était évidemment pas très sérieuse. Nous étions totalement inconnus et on ne pensait pas qu’un grand producteur accepterait de travailler avec nous. Y compris Dave qu’on croyait inaccessible mais qu’on avait mis par chance sur notre liste. Il se trouve que c’est tout l’inverse. Dave est un gars toujours excité par les nouveaux sons et les nouvelles façons de travailler. Il a été le premier à trouver nos démos cool. C’était le choix parfait pour nous  » ajoute Andrew. Fridmann a déjà mis sa science du studio au service de plusieurs chouchous de leur discothèque (Mercury Rev, Sparklehorse, Mogwai, Low) et surtout, des Flaming Lips dont ils adorent sa patte, « que ce soit le son de batterie qu’il obtient ou tout ce qu’il a pu faire sur The Soft Bulletin ».

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La relation avec Fridmann s’avère décisive pour transformer les chansons en une œuvre forte. « Nous étions jeunes et manquions encore de confiance. Nos démos étaient mal enregistrées et nous n’avions aucune expérience du studio. Le truc amusant, c’est qu’il semblait les aimer. Nous avions peu de connaissances techniques et ça donnait des sons que nous ne saurions même pas retrouver aujourd’hui. On expérimentait, on faisait un truc de travers et ça donnait un son dingue. On l’enregistrait et Dave kiffait ! Il est vraiment porté sur le mélange entre lo-fi et hi-fi. Il a apporté son expérience pour faire sonner tout ça de façon plus professionnelle ». Le séjour dans le studio Tar Box Road de Fridmann donne lieu à un travail en pleine décontraction. Au milieu de la forêt, l’endroit au calme s’avère propice aux recherches fructueuses.

Le spectaculaire Oracular Spectacular

Oracular Spectacular parait en physique en janvier 2008 et son ambiance contraste furieusement avec la météo du moment. Sur la pochette, les deux se tiennent fièrement debout sur une plage en maillots de bain, peinturlurés comme pour une ultime fiesta avant la rentrée. Ou avant de dire adieu à l’insouciance de l’enfance, plus simplement. « Oracular Spectacular était un moyen pour nous de solder nos années d’université, et c’est pour ça qu’il respire encore la naïveté, la nostalgie… d’un futur inconnu. On y perd clairement notre innocence ». Issues du clip de Time to Pretend qu’a réalisé Ray Tintoti, un vieux copain de la Wesleyan University, les photos de pochette font naître l’imaginaire qui collera aux basques de MGMT, jeunes néo-hippies réunis autour d’un feu de camp. « C’est marrant comme ce clip a donné l’impression d’une vision parfaitement unifiée et planifiée de notre esthétique alors que c’était le premier clip de Ray. Il s’est fait sans aucune règle préétablie, ni expérience préalable ».

« On enregistrait avec ce fantasme de vivre nu autour d’un feu de camp sur la plage alors qu’on écrivait les chansons en plein hiver dans un quartier industriel de Brooklyn »

Andrew VanWyngarden

Les chansons aussi sont emplies d’une mélancolie propre à ce passage à l’âge adulte dans lequel l’album allait les propulser par leur statut de pop-stars. « On enregistrait avec ce fantasme de vivre nu autour d’un feu de camp sur la plage alors qu’on écrivait les chansons en plein hiver dans un quartier industriel de Brooklyn » s’amuse encore Andrew. « C’est drôle de revoir cette pochette des années plus tard ajoute Ben, on ressemble à des bébés. C’est drôle aussi de voir ces déguisements faits pour un tournage qui sont devenus une source d’inspiration pour s’habiller en festival  ».

Ce n’est pas aux Etats-Unis mais en France que l’accueil s’avère le plus chaleureux. « Vous nous avez fait prendre conscience pour la première fois qu’un truc se passait et qu’on nous prenait au sérieux reconnait Ben. Les premiers articles sur nous aux Etats-Unis décrivaient une musique de hippies drogués alors les Français nous comprenaient mieux. C’était bon pour nos egos, à une époque où on manquait encore de confiance en nous ».

Avec l’aide de Fridmann, Andrew et Ben ont réussi à toucher à cette évidence mélodique qui fait de chaque morceau une merveille intemporelle, les pieds dans son époque de synthés et d’ordinateurs, la tête dans les nuages d’un doux space-rock psychédélique qui ne se noie jamais dans le revival, le tout dans pour danser en tongs sur le sable chaud de fin d’été. La suite, c’est une hype justifiée qui se répand comme une traînée de poudre, des hits qui font craquer la planète pop, et les deux anciens étudiants qui se voient propulsés au rang d’éphèbes de l’année. « On s’est rendus compte qu’on avait franchi un cap quand on a commencé à jouer live, à faire des festivals sur des scènes immenses. Ça a créé un vrai élan et une vraie excitation qui ont duré tout 2008 ».

Le succès ne monte pourtant pas à la tête du duo qui ne va surtout pas chercher à s’en faire un ami pour la vie. Quitte à dérouter ses fans mais à en gagner de nouveaux qui succomberont à ses géniales divagations psychédéliques sur Congratulations , son autre chef d’œuvre de deuxième album paru en 2010. Un contre-pied au succès ? Pas vraiment selon les intéressés. « On a juste poursuivi dans une direction déjà prise hors des chansons les plus poppy qui nous paraissaient déjà anciennes  » insiste Andrew. Suivront une collaboration avec l’Anglais Sonic Boom pour Congratulations puis des retrouvailles avec Fridmann pour le troisième album. Les recherches dans leur laboratoire pop ne faisaient que commencer. Toutes nos congratulations pour la géniale et spectaculaire déclaration d’indépendance à la pop américaine que fut Oracular Spectacular.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/06/2...

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