Les artistes squatteurs de l’Elaboratoire contre la loi Loppsi 2

, par  daffyduke , popularité : 2%
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LOPPSI 2 : article 32 ter A stipule qu’en cas d’insalubrité, d’insécurité ou de nuisances de l’ordre publique, les habitats nomades de type yourte, caravane, camion, etc. seront évacués sous 48h minimum, sous avis du préfet, sans passer par un juge. Même lorsque la personne est propriétaire du terrain. Une sanction financière de 3750 euros est prévue en cas de refus et la procédure de destruction de l’habitat peut être accélérée.

Normal_Chap 1web RENCONTRE - Adoptée mardi dernier en seconde lecture à l’Assemblée nationale, la loi Loppsi 2 (Loi d’Orientation et de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure) fait débat. A Rennes, comme dans d’autres villes, une manifestation contre cette loi - ternie par des heurts en fin de défilé (1) - a eu lieu samedi dernier. Libérennes a rencontré Julie et Morgan, deux membres du collectif d’artistes l’Elaboratoire, qui étaient à la manif et reviennent sur les raisons de leur opposition à Loppsi 2, un texte qui remet notamment en cause les habitats nomades. Lire la suite...

L’Elabo, c’est beaucoup de choses à la fois. C’est d’abord une association créée en 1997 qui a pour vocation d’offrir un lieu de travail aux artistes qui n’en disposent pas. Les locaux officiels sont loués à la mairie. C’est aussi un lieu partiellement squatté, ce qui est plus ou moins toléré par la ville. Camions et caravanes permettent aux artistes de vivre sur leur lieu de travail. Mais c’est également un véritable projet de vie de collectivité autogérée, sans hiérarchie, où chaque individu compte.

"Les valeurs que nous partageons sont simples, explique Julie, l’entraide, la solidarité, le respect de l’autre. Ici aucune loi ou décision n’est gravée dans le marbre : elles évoluent au quotidien, par consensus".

Lorsqu’il est arrivé à l’Elabo, Morgan avait déclaré qu’il ne resterait que deux ou trois mois, histoire d’avoir un lieu pour continuer ses activités théâtrales pendant l’hiver. Deux ans plus tard, il est toujours là. Arrivée il y a six mois, Julie a été animatrice à la radio et est devenue secrétaire de l’association. C’est sa première expérience de vie "alternative" et elle ne regrette absolument pas son choix. Les gens et les artistes vont et viennent, partent et reviennent souvent. "l’élabo ne propose pas de vie modèle, soulignent Julie et Morgan, qui vivent dans une caravane. C’est plutôt une solution parmi d’autres. Ca nous convient à nous et ça peut convenir à d’autres : il faut respecter ça".

Difficile pour Morgan et Julie d’accepter la loi Loppsi 2 sans broncher. Une loi qui concerne des domaines aussi divers qu’internet, la vidéosurveillance, les mineurs mais aussi les habitats illicites. Ce dernier point est l’objet de l’article 32 ter A qui stipule qu’en cas d’insalubrité, d’insécurité ou de nuisances de l’ordre publique, les habitats nomades de type yourte, caravane, camion, etc. seront évacués sous 48h minimum, sous avis du préfet, sans passer par un juge. Même lorsque la personne est propriétaire du terrain. Une sanction financière de 3750 euros est prévue en cas de refus et la procédure de destruction de l’habitat peut être accélérée.

Cette mesure concerne directement l’Elabo puisque la majeure partie des locaux sont squattés. Mais, pour ces artistes, cet article va plus loin qu’une question d’habitat : c’est un mode de vie qui est criminalisé. Morgan et Julie pensent aussi aux autres personnes qui pourraient être touchées par la loi : "Ce n’est pas pour nous qu’on s’inquiète de cet article 32 ter A, mais pour les personnes un peu isolées, une famille en yourte par exemple. Eux, ils seront seuls, nous on est 60 personnes ici à l’Elabo  ». C’est aussi la loi Loppsi 2 dans sa globalité qu’ils fustigent, la considérant comme une atteinte aux droits de l’homme.

Samedi dernier à Rennes, deux manifestations se sont rejointes : l’une organisée par des associations telles le DAL ou le MRAP pour réclamer "un logement pour tous", l’autre portée par des personnes qui répondaient individuellement à un appel national contre Loppsi 2. Morgan regrette que les médias se soient davantage intéressés aux incidents en fin de parcours qu’aux motifs du défilé.

"Une poignée de manifestants, en toute fin de la manif, se sont dressés contre les forces de l’ordre, rappelle t-il. Il faut en parler, mais il faut surtout retenir le plus important : il y avait plus de 500 personnes pendant la manifestation, et tout s’est bien déroulé. Pour nous, c’était une réussite, puisque c’était un mouvement autogéré". Avec l’objectif que cette loi ne soit pas passée sous silence.

Après l’Assemblée nationale, le texte sera présenté aux les sénateurs en janvier. Morgan et Julie vont continuer la contestation. Face à la difficulté de véhiculer un message simple pour les médias, un réseau devrait être constitué pour mettre en place une action commune sans pour autant homogénéiser le mouvement : "on ne veut pas de porte parole ni d’étiquette, ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne", souligne Morgan.

Alors que le pays connaît une forte crise du logement et que de plus en plus de personnes sont sans domicile fixe, nombreux sont ceux qui pensent en tout cas qu’il aurait été plus judicieux d’encourager les logements alternatifs plutôt que de vouloir en faire l’objet de délits.

Pour l’heure, l’Elabo attend le texte final et son décret d’application pour être fixé sur son devenir. Mais ce n’est pas son seul souci. "Une autre épée de Damoclès plane au dessus de nous, rappelle Julie, avec le projet de construction d’une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté NDLR) et de logements là où nous habitons, la plaine de Baud." Difficile toutefois pour ceux qui connaissent l’endroit, qui y habitent ou y ont vécu, d’imaginer que l’Elaboratoire puisse disparaître, victime du développement immobilier ou de la loi Loppsi 2.

Julia JETIN

(1) Deux personnes, un homme de 37 ans et une femme de 58 ans, ont porté plainte après avoir été blessés par des tirs attribués à des flashballs. Le premier a été touché en pleine tête et a eu treize points de suture. La seconde aurait été atteinte à la poitrine. Ces deux passants étaient étrangers à la manifestation.

(Photo : chapiteau de la Cie Noom/Adeline Praud)

Cet article est repris du site http://www.liberennes.fr/libe/2010/...

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