2001 : “Discovery”, l’OVNI de Daft Punk

, par  Azzedine Fall , popularité : 1%
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Début des années 2000. Retranchée derrière les visières opaques des avatars élaborés pour incarner le projet, l’identité de Daft Punk se dématérialise en même temps que la consommation de la musique moderne. “C’est avec Discovery que les robots sont nés.” Quinze années ont passé mais Maya Massebœuf garde un souvenir fasciné de l’album de la métamorphose.

Le carton planétaire One More Time

Responsable des musiques électroniques chez Virgin au milieu des années 1990, elle fait partie de l’équipe qui a discuté pendant plus d’un an pour convaincre le groupe de rejoindre une major : “Je les ai contactés après un concert incroyable. Ils jouaient encore à visage découvert et j’étais restée scotchée par l’énergie rock qui transpirait de leur live. On a appris à se connaître pendant une grosse année pour instaurer un climat de confiance.”

“Ils avaient une idée très précise de ce qu’ils voulaient faire. A cette époque, c’était compliqué de développer des artistes de musiques électroniques car ils ne passaient jamais en radio. Le circuit des clubs et des disquaires a donc été très important dans la réussite internationale d’Homework . Avec Discovery, c’était complètement différent : l’échelle est devenue planétaire d’un seul coup, grâce au succès de One More Time.”

Envoyé en “éclaireur” le 13 novembre 2000, le single agit comme le catalyseur d’un disque-aventure incarné par deux fans de musique électronique accompagnés de leurs idoles de jeunesse. Sur Discovery, Thomas et Guy-Man parviennent à embarquer DJ Sneak et Romanthony , deux des fameux “Teachers” énumérés sur le morceau éponyme de 1997, qui listait les influences majeures de Daft Punk.

Le premier se charge d’écrire les paroles de Digital Love autour d’un sample de George Duke , tandis que la voix du second trempe dans l’autotune pour éclabousser les tubes One More Time et Too Long. “Le jour où ils ont rencontré Romanthony, Thomas et Guy-Man étaient comme des gosses. C’était sur un parking de Miami, en début de soirée. Une discussion informelle s’est tenue et ils lui ont proposé de chanter sur l’album. Ils le voulaient absolument  !”, retrace Maya Massebœuf.

Les souvenirs de Todd Edwards

Depuis le décès du chanteur et producteur américain Romanthony en 2013, la voix de Todd Edwards est la seule enregistrée sur l’album capable de témoigner du travail en studio avec les robots. Lui aussi figurait parmi les influences revendiquées par Daft Punk dans Teachers : “Thomas et Guy-Man sont d’abord venus me voir à New York en 1996 pour discuter d’une collaboration sur leur premier disque. Quand j’ai vu Homework sortir, j’ai compris que je ne serais finalement pas dessus (rires)… Je me suis alors procuré un exemplaire et j’ai entendu qu’ils citaient mon nom sur le morceau Teachers. Je me suis dit : OK, c’est cool, ils ne m’ont pas oublié.”

Une paire d’années plus tard, Daft Punk se rappelle au bon souvenir de Todd Edwards : “Après notre première rencontre, ils m’ont rappelé et sont venus me rendre visite dans le New Jersey, où j’avais aménagé un studio dans la maison de mes parents. Quand ils sont entrés, ils se sont arrêtés net avant de se regarder en souriant. Je ne savais pas comment interpréter ce silence…”

“Ils étaient très heureux et excités comme des gamins  !” Todd Edwards

“Je pensais qu’ils étaient déçus par le studio mais ils étaient très heureux et excités comme des gamins  ! Ils m’ont présenté le projet qu’ils voulaient mettre en place pour Discovery et j’ai joué des lignes de basse sur mon Juno-106. Le deuxième jour, je les ai accueillis avec 75 samples spécialement préparés pour eux. Ils m’avaient contacté car j’étais connu pour bien maîtriser cette technique.”

Un faux procès autour des samples

Les dizaines d’échantillons isolés par Todd Edwards sont chargés sur un synthétiseur qui accouche du morceau Face to Face, sur lequel le producteur est invité à poser sa voix. Un sample d’Electric Light Orchestra guide l’intro mais les autres extraits sont tellement découpés que la majeure partie d’entre eux n’ont toujours pas été identifiés par les sites spécialisés. Ce qui est loin d’être le cas des autres pistes de l’album. Sur internet, de nombreuses compilations dénoncent le manque d’originalité de Discovery en confrontant ses samples les plus évidents aux versions originales signées 10cc, Prince, Edwin Birdsong ou Sister Sledge.

Un faux procès, selon Todd Edwards : “Il y a plusieurs façons d’utiliser le sample. Certaines personnes se contentent de répéter la même boucle à l’infini, mais dans le cas de Daft Punk il s’agit d’un véritable travail de décorticage qui donne naissance à une production originale. Il arrive que plusieurs dizaines d’extraits différents soient utilisés sur une même piste. Discovery est un disque très complexe : il n’y a qu’à écouter la façon dont les samples sont altérés et retravaillés.”

Publié à l’origine en 1982, Il Macquillage Lady du groupe disco Sister Sledge fait partie de ces morceaux qui connaissent une seconde vie en ce début d’année 2001. Même si elle n’a découvert l’emprunt que bien plus tard, Joni Sledge ne semble pas tenir rigueur aux Français d’avoir ainsi capitalisé sur son inspiration.

“J’ai composé cette chanson lorsque j’habitais à Paris, au début des années 80. Je n’ai découvert le sample il n’y a que quelques années, lorsqu’un fan de Daft Punk nous a contactées. Il voulait savoir comment on avait osé reprendre Aerodynamic  ! J’ai écouté le morceau en question et je l’ai trouvé très cool. J’étais flattée qu’ils aient pensé à nous.”

Amour de la culture disco et renaissance de la dance-music

A peine voilé dans le titre de l’album et largement confessé par les dizaines de samples d’époque alignés sur la tracklist, l’amour de la culture disco esquisse Discovery comme le prélude électronique du Random Access Memories de 2013. Connu pour son travail de producteur avec des artistes aussi joyeux qu’Ottawan , Gibson Brothers ou La Compagnie Créole, le père de Thomas Bangalter, Daniel, est crédité sur l’album sans que son rôle ne soit clairement établi.

Sur internet, une rumeur persistante le désigne pourtant comme le compositeur secret de More Spell on You, un flop disco enregistré à Paris par Eddie Johns en 1979… et samplé vingt-deux ans plus tard par Daft Punk, pour créer le tube qui a tout changé. “Dès sa sortie, One More Time est devenu un hit impossible à ignorer aux Etats-Unis, se souvient Todd Edwards.

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Le clip de Harder, Better, Faster, Stronger, réalisé par Leiji Matsumoto, père d’Albator

“Grâce à ce single, Daft Punk a réussi à investir le marché de la musique pop américaine. Avant Discovery, la dance music n’était pas populaire ici : on sortait d’une décennie marquée par le grunge et le rap. C’était incroyable qu’une production house puisse toucher autant de gens.”

Avec ce deuxième album, sa demi-douzaine de singles étalés sur trois ans, son film d’animation dessiné par Matsumoto (le papa d’Albator) et sa carte de membre destinée à prolonger l’expérience sur internet, Daft Punk ne se contente pas de publier le parfait contraste des turbulences radicales compilées sur Homework.

Autant de morceaux que de tubes

Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, 26 et 27 ans, imaginent une œuvre totale et (extra)lucide, qui anticipe les réalités artistiques et commerciales qui s’apprêtent à bouleverser l’ensemble de l’industrie du disque. Contrairement à Homework qui pouvait s’écouter en continu tel un disque gravé sur une seule piste, Discovery est un album de séquences qui préfigure le son de la génération French Touch.

“On a écouté l’album chez eux. Enfin, dans la chambre de Thomas, où il avait installé un minuscule studio assez rustique, se remémore Maya Massebœuf. Il n’y avait pas beaucoup de matériel, juste quelques machines et une guitare qui traînait. Ils nous ont fait écouter le disque sur un ghetto blaster. On n’en croyait pas nos oreilles : à chaque morceau, un énorme tube apparaissait.”

Thomas et Guy-Man refusent de se montrer pour assurer la promotion du disque mais ils ont imaginé plusieurs concepts et innovations pour varier leur communication. Alors que la musique se distribue déjà sous les clics de plates-formes semi-légales comme Napster, Daft Punk propose une carte de téléchargement assortie à l’achat du disque.

Daft Card, Daft Club et Daftworld

Malgré quelques bugs (vous ne pouviez pas vous connecter si vous aviez un Mac), la Daft Card ouvre les portes du Daft Club, un portail de téléchargement qui empile remixes inédits, artworks exclusifs et autres plaisirs de fans qui feintent la proximité avec un groupe toujours plus impalpable. Quand il découvre l’album le plus important de sa vie, Djamel n’a pas 20 ans et ne connaît rien à la musique électronique.

“Chaque clip racontait une histoire”

Sur Facebook, il est aujourd’hui suivi par plus de 250 000 personnes sous le nom de Daftworld et n’hésite pas à présenter sa collection de fan-art comme la plus importante dans le monde : “Je ne m’intéressais pas du tout à la musique électronique, ma passion c’était les mangas. Quand je suis tombé sur le clip de One More Time avec la combinaison du chant, de l’electro et du dessin animé de Matsumoto, j’ai halluciné  ! Discovery, c’est le disque du coup de foudre : chaque clip racontait une histoire. Je n’avais jamais entendu parler de Daft Punk avant mais je me suis bien rattrapé  !”

Entre ses tatouages à l’effigie du groupe, le yoyo officiel certifié Daft Punk ou les canettes de Coca bues par ses idoles et conservées religieusement – “Guy-Man boit du light et Thomas préfère le normal” –, Daftworld collectionne tout ce qui se rapporte à son groupe fétiche. Il possède même le premier vinyle jamais enregistré par Bangalter et Christo, à l’époque de Darlin’, leur groupe de rock d’adolescence.

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“Le meilleur moyen de changer la musique de supermarché, c’est d’y entrer”

“Je me suis consacré pendant des années à collectionner tous les vinyles. Le disque de Darlin’, je l’ai payé dans les 80 euros. Je ne sais même pas à combien on peut l’estimer aujourd’hui… C’est leur tout premier enregistrement sonore et ils ont eu la gentillesse de me le dédicacer. Le pire, c’est que je n’ai même pas de platine pour l’écouter…” (rires)

Naturellement, la marée du succès amène son ressac de critiques désenchantées, lesquelles n’hésitent pas à fustiger le cynisme d’un groupe téléporté, en quelques années, de la pénombre des rave parties à la lumière blanche de la grande distribution. Dans une interview accordée au magazine Coda, trois ans avant la consécration populaire de Discovery, Thomas Bangalter apporte une réponse pragmatique et clairvoyante aux orphelins de l’ambiance techno des premières nuits : “On n’est pas contre les titres à succès. Le meilleur moyen de changer la musique de supermarché, c’est d’y entrer.”

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/05/1...

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