Extrait de "Don Jon", de et avec Joseph Gordon-Levitt

Visualisez un de ces films X maladroitement filmé du point de vue de l’acteur. Ajoutez-y une nouvelle technologie qui rappelle beaucoup celle des jeux vidéo. Voilà ce à quoi s’attendent beaucoup de consommateurs de porno quand ils pensent “réalité virtuelle”. Si tout le monde peut éprouver le rush de l’adrénaline en étant encerclé par l’ennemi dans le jeu Halo, pourquoi ne pas ressentir une excitation réelle en cas de face à face virtuel avec un corps de rêve ?

Le procédé n’a cependant rien à voir avec des images de synthèse, puisqu’il est quasiment identique à celui des films en 3D au cinéma. Une même scène filmée simultanément par une paire de caméras est projetée dans le masque sur un écran séparé en deux. Le cerveau reconstruit ensuite le relief à partir de ce que chaque œil voit. L’illusion d’être plongé dans une réalité parallèle est renforcée par l’ajout du son synchronisé, diffusé directement dans les oreilles.

A l’heure actuelle le fabricant le plus avancé dans la production de masques est Oculus Rift, racheté il y a un an par Facebook après avoir collaboré avec le géant coréen Samsung. A noter qu’il suffit d’avoir un bon smartphone pour tenter l’expérience, puisqu’il est relativement simple de fabriquer son propre masque avec quelques matériaux basiques. Google a d’ailleurs mis en ligne un tutoriel de fabrication ainsi qu’une liste de sites où les acheter tout faits pour une vingtaine d’euros seulement.

“Si cela existe, alors il y a du porno à ce sujet”

Bien sûr, cette nouvelle technologie n’a pas échappé à la règle 34 du web : “si cela existe, alors il y a du porno à ce sujet“. L’industrie s’y est intéressée, tentant de produire des films destinés à être visionnés via ces masques. Pour Céline Barbe, directrice de la publication de Hot Vidéo (plus connue sous son ancien pseudo d’actrice : Tabatha Cash – ndlr), ce système “colle parfaitement avec les attentes des spectateurs : voir sous tous les angles pour mieux lever l’excitation, et se mettre à la place des protagonistes“. Stephen Des Aulnois, rédacteur en chef du site Le Tag parfait, a été un des premiers à essayer ce dispositif en France, avant de le prêter à Benoit Le Correde Rue 89. Convaincu, il admet cependant que le “porno immersif” n’en est encore qu’à ses débuts :

“L’écran n’est pas parfait, pour l’instant on ne peut pas voir complètement la scène à 360°, ou évoluer dans l’espace. C’est davantage la suite logique du ‘gonzo’, le genre initié par John Stagliano à la fin des années 80, que ce que l’on pourrait vraiment appeler de la réalité virtuelle.”

L’interview de Virtual Real Porn par Le Tag parfait laisse d’ailleurs entrevoir les difficultés techniques de ce nouveau type de production. Le site américain est pour l’instant le seul à avoir diffusé des essais probants. Soit presque une quarantaine de vidéos dont la qualité s’améliore avec le temps, et les commentaires de leurs clients. Côté Français, on est encore un peu frileux. Dorcel ne se dit pas prêt à communiquer sur le sujet, et le site Jacquie et Michel listent les arguments contre : “les caméras n’existent pas encore. Pour avoir de bons rendus, il faut les bricoler, et les bancs de montage sont assez compliqués à mettre en place.” Ils argumentent aussi, comme Céline Barbe, que la crise qui touche le secteur ne facilitera pas les choses. “Le retour sur investissement est déjà difficile avec la gratuité et le piratage. Seuls quelques producteurs pourront vraiment se permettre de passer le pas“, prédit-elle.

Les Américains eux, semblent parier sur une diminution des coûts de production plus rapide que prévu. Dans le passé, le porno a déjà joué ce rôle d’accélérateur et de démocratisation d’avancées technologiques, rappelle le site Wired : “Si la moitié des cassettes mises en vente aux Etats Unis à la fin des années 70 n’avaient pas été classées X, ça aurait pu prendre plus longtemps au marché de la VHS pour exploser“. De son côté, Stephen Des Aulnois confirme qu’il a entendu parler de plusieurs projets partout dans le monde : “Pour l’instant les films obtenus ne sortent pas parce qu’ils ne sont pas à la hauteur des résultats voulus. Mais la progression est en route, et elle va à une vitesse folle.”

“Tout à réinventer”

Au-delà du manque de fond et d’outils, d’autres obstacles se présentent. “Les producteurs ne peuvent pas juste reprendre les codes du porno habituel et les adapter. Par exemple, à l’heure actuelle, le démarrage avec le teasing au début des vidéos marche très bien. Mais dès qu’on amorce la partie un peu ‘autoroute’ de l’action, on y croit moins. Il y a tout à réinventer, c’est ce qui est à la fois intéressant et très excitant“, s’enthousiasme Stephen Des Aulnois. Angell Summers, ancienne actrice professionnelle aujourd’hui reconvertie en coach intime, est aussi intéressée par l’idée : “Je trouve ça fun, c’est une façon de travailler différente. Si je tournais encore je pense que je l’aurais fait.”

De quoi allécher les consommateurs, dont certains ont déjà pu se frotter à l’expérience. Le magazine en ligne Complex a filmé quelques rappeurs ainsi que des utilisateurs lambdaspour leur premier test. Plusieurs éléments ressortent de leurs témoignages : “C’est complètement dingue”, s’étonne la rappeuse Jean Grae. “Beaucoup de mecs ne vont plus jamais sortir de chez eux“, affirme Action Branson. Quant aux anonymes, une fois la surprise passée, ils ressentent soit un attrait fort, soit un rejet ferme. Une jeune femme parmi les moins enthousiastes s’interroge : “J’ai peur que cela supprime le besoin de véritable interactions sociales”.

Le septième ciel un plus près de ses étoiles

Il n’empêche que la réalité virtuelle répond aux attentes des consommateurs, toujours en quête de plus d’intimité d’après Angell Summers :

“Dans nos communautés de fans, beaucoup d’entre nous ont remarqué que certains souhaitent connaître nos vrais prénoms, voir des photos de notre vie quotidienne sur les réseaux sociaux, nous parler, etc. Avec ce dispositif qui créé l’impression d’une véritable interaction, il est possible que ce phénomène s’accentue”.

Si l’objectif de demain est d’éviter l’écueil d’une proximité illusoire lors d’une pratique solitaire, quelle sera la prochaine étape ? “Ce qui pourrait davantage modifier les habitudes de consommation, ce serait un mélange entre les livecams pour la relation interactive et directe, la réalité virtuelle pour l’immersion et les accessoires connectés pour les sensations … C’est, à mon sens, l’équation de la future révolution pornographique”, imagine Céline Barbe. Jamais les promesses futuristes de la science-fiction n’auront autant été à portée de main.