Affaire Snowden : comment le gouvernement britannique s’attaque à la liberté de la presse

, par  Julie Henches , popularité : 1%

Suzanne Plunkett/Reuters

Le 20 juillet, le Guardian détruit sur étroite supervision du gouvernement sa copie des fichiers de Snowden. Le 18 août, David Miranda, compagnon de Glenn Greenwald, est détenu à la frontière et interrogé pendant neuf heures. Auteur d’une série d’articles fondés sur les révélations du lanceur d’alerte qui expliquent le fonctionnement et l’étendue de la surveillance pratiquée par les Etats (notamment la NSA américaine et le GHCQ britannique), ce dernier est l’interlocuteur privilégié de Snowden.

Retour en quatre actes sur les derniers développements liés à l’affaire Snowden, une histoire à rebondissements impliquant gouvernements, médias et société civile.

Acte I. Premières menaces britanniques

Début juin. Après les publications des premières révélations de Snowden, deux hauts fonctionnaires demandent que le Guardian leur remette le matériel transmis par le lanceur d’alerte.

Mi-juillet, le gouvernement menace le journal d’une action en justice. ”Vous vous êtes bien amusés, maintenant on veut récupérer le matériel”, se serait entendu dire le rédacteur en chef, Alan Rusbridger. Entre le 16 et le 19 juillet, les pressions sur le Guardian s’intensifient. Une action en justice pourrait entraîner un arrêt complet du travail d’analyse et de publication par le journal des “fuites” de Snowden, et pas uniquement au Royaume-Uni. Le journal pourrait aussi se voir forcé de leur remettre les informations. Des négociations s’engagent entre les deux parties pour trouver un compromis.

Acte II. Destruction de la copie londonienne des révélations de Snowden à l’initiative du gouvernement britannique

Samedi 20 juillet. Sous-sol désert des locaux du Guardian à Londres – intérieur jour. Sous le regard attentif d’employés du renseignement britannique, un rédacteur en chef et un expert informatique du journal s’emploient à détruire des disques durs et autres puces mémoires avec des disqueuses et des perceuses. Sur ces supports sont stockées les informations de Snowden. Le résultat fait peine à voir.

photo The Guardian

photo The Guardian

Le rédacteur en chef du journal a préféré céder aux demandes du gouvernement et supprimer la copie des informations Snowden des bureaux du Guardian britannique plutôt que de risquer de compromettre la publication future de révélations par le journal.

“J’ai dit aux autorités britanniques qu’il y avait d’autres copies aux Etats-Unis et au Brésil et que par conséquent ils ne parviendraient à rien. [...] Mais une fois qu’il est devenu évident qu’ils comptaient se rendre devant la justice [si le journal n’obtempérait pas], j’ai préféré détruire notre copie plutôt que de la leur livrer ou de laisser la justice geler notre travail d’investigation”, explique Rusbridger.

Puisqu’il existe d’autres copies ailleurs, l’acte est avant tout symbolique (Rusbridger le qualifie de “légèrement vain“). Le gouvernement britannique a bien compris que cela ne stopperait pas la publication des révélations. Celles-ci continueront de sortir, à la fois à partir du bureau américain du Guardian et du Brésil, où est établi Glenn Greenwald.

Acte III. Le compagnon de Glenn Greenwald est détenu à Londres en vertu de la loi sur le terrorisme

Dimanche 18 août, aéroport d’Heathrow à Londres, tôt dans la matinée. David Miranda, conjoint de Glenn Greenwald, est en transit, de retour d’un voyage à Berlin. Missionné par Greenwald, l’homme a rendu visite à Laura Poitras, réalisatrice de documentaires, collaboratrice de Greenwald et selon ce dernier seule personne (avec lui) à détenir l’intégralité des documents transmis par Snowden.

Même lieu, 8h05. Miranda est arrêté par la police britannique. Il est interrogé par six ou sept agents. Selon son propre témoignage, les questions portent sur “toute sa vie“. Il est informé qu’il est interrogé en vertu de l’annexe 7 de la loi de 2000 sur le terrorisme (Terrorism Act). Cette loi, applicable uniquement dans les aéroports, les ports et les zones frontières autorise la police à fouiller, interroger et détenir des individus sans suspicions préalables. L’homme (de langue maternelle portugaise) n’a pas droit à un interprète, ni à un stylo pour noter les questions qu’on lui pose. Aucune justification pour sa détention n’est donnée.

 ”Ils m’ont fait leur donner les mots de passe de mon ordinateur et de mon téléphone, explique Miranda. Ils ont dit que j’étais obligé de répondre à toutes leurs questions et utilisaient les mots “prison” et “poste de police” en permanence.”

Même lieu, 17h. Miranda est libéré.

Lui sont confisqués : son ordinateur, son téléphone, deux clés USB, deux DVD, une console de jeu, sa montre et un disque dur. Sa détention aura duré juste au dessous de neuf heures, ce qui est la durée maximale légale. C’est une situation extrêmement inhabituelle, puisque seulement 0,06% de ce type d’interrogatoires dépassent les 6 heures.

Acte IV. Réactions

19 août. La détention de Miranda est critiquée un peu partout. On met l’accent le recours à la loi sur le terrorisme. La loi sur le terrorisme précise que ”le but de l’interrogatoire [...] est de déterminer si une personne apparaît être quelqu’un qui a été concerné dans la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme” et qu’il ne devrait pas être utilisé “pour d’autres buts“. Pourtant, beaucoup estiment que la menace terroriste n’est qu’un prétexte pour obtenir les informations divulguées par Snowden ou intimider les journalistes travaillant sur ces “fuites”.

Le Brésil demande des comptes. A la BBC, l’examinateur indépendant de la législation sur le terrorisme presse le cabinet du Premier ministre de justifier cette détention. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International dénoncent une détention “dans un but d’intimidation“, sous couvert d’une “loi abusive“. Le gouvernement britannique n’a pas reconnu en être l’instigateur.

19 août toujours. Drapeau américain, porte-parole en cravate bleue, prise de distance de la Maison Blanche. Les USA se démarquent du gouvernement britannique en confirmant qu’ils ont été avertis avant la détention de Miranda mais que “ce n’était pas quelque chose qu’ils avaient demandé”.

Retour au Royaume-Uni. La secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Theresa May, plus ou moins acculée, confirme qu’elle savait qu’il y aurait détention de Miranda.

20 août. Deuxième drapeau américain, deuxième cravate, deuxième prise de distance de la Maison Blanche. Faisant référence à la destruction des données du Guardian à la demande du gouvernement britannique, le même porte parole explique qu’il “est assez difficile d’imaginer un scénario où cela serait possible ici“.

Sous la menace d’une action en justice de Miranda (soutenue par le Guardian), alors que les protestations du parti travailliste, d’ONG (comme Index on Censorship), de journalistes et de citoyens et même des Russes (!) se font entendre et prennent de l’ampleur, la balle est maintenant dans le camp du gouvernement britannique.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/08/2...

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