Arman Méliès – IV

, par  Isatagada , popularité : 2%

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La cohérence du titre avec le contenu est bien là. Qui préfère l’ordre à la rêverie. Le concret à l’imaginaire. Les synthés aux guitares. Le gris et le noir à ces couleurs chaudes et passées. La machinerie précise aux bricolages.

On l’attendait, ce disque. Nourrissant son impatience de ses collaborations avec Bashung, Thiéfaine ou Julien Doré, rongeant son frein à l’écoute de ses projets annexes Gran Volcano et Basquiat’s Black Kingdom (avec Darko Fitzgerald). Vaguement inquiet en mai 2012 lors de la sortie du clip de Mes chers amis, alors qu’un comédien disait le texte de l’allocution présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007, sur un ton de robot et une musique synthétique qui ne ressemblait en rien à celle de l’auteur du splendide Néons Blancs et Asphaltine.

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Pour ce premier disque, sorti en 2004, l’objet en lui-même était une merveille. Il y poussait des fleurs, tandis que les illustrations de Julien Pacaud transcendaient les cartons mobiles sur lesquels s’étalaient des paroles inoubliables, dont celles de Un Pont Sur La Mer, sans doute sa plus belle chanson à ce jour : “J’habite un pont / Sur la mer / Qui relie mes gestes /A mes rêves / Et j’y bavarde / A mon aise / Avec des anges / Aux masques obscènes / Moi qui ne parle qu’aux mouettes”. Arman Méliès avait cette fragilité, ce mal d’aller vers l’autre, cette voix qui touchait infiniment, portée par les boucles d’une guitare dont il avait seul le secret. Arman Méliès incarnait (de incarner, prendre chair) la mélancolie à lui seul, comme s’il s’en faisait le champion. Précurseur sur les réseaux sociaux, il s’affirmait en 2006 sur MySpace ”adepte de la mélancolie douce, comme on dit folie douce ; je trouve curieux que la mélancolie, le vague à l’âme, soient tenus pour négatifs, inutiles et malsains.” Avant d’ajouter : “Le Livre de l’intranquillité m’enchante, Patrick Sébastien me terrifie.” Le spleen semblait avoir été inventé pour lui et sa désespérance était contagieuse ; on l’aurait suivi comme les rats le joueur de flûte, sans résistance, hypnotisé. N’importe qui d’un peu malheureux pouvait se reconnaître en cet artiste là. Il était nu, accessible, sans défense, familier.

Néons Blancs et Asphaltine n’aurait jamais pu s’appeler « I ». Sûrement pas.

Pourtant, et bien qu’il fut précédé de ce qu’il avait déjà accompli avec son premier groupe eNola, il s’agissait bien là du début de quelque chose, même s’il fallut attendre l’effet Bashung, peut-être, et l’album Casino (le « III »), pour que l’artiste se décomplexe réellement, qu’il se sente enfin légitime. Dans le même temps il s’éloigne, paradoxalement, malgré ses mots d’une poésie rare ; à cause de cette production si sûre d’elle, un peu plus froide, déjà. Pour ceux qui ont tendu l’oreille, Casino – avec Diva, surtout – posait bien les prémices de IV.

Après l’immense effet de distanciation crée par Mes chers amis, les premières notes de L’art perdu du secret surprennent. Car en retrouvant cette guitare folk qui jadis habillait ses mots, Arman Méliès revient quelques instants à ses premières amours avant d’opérer un virage à 180 degrés, vers un monde où les synthétiseurs règnent en maître. On y croise alors Kavinsky (Dans la cendrée), Vangelis (Pompéi), Thom Yorke – et même Sébastien Tellier (Fern Insel) - avec des expérimentations sonores qui, si elles n’ont plus rien de chaud à l’oreille, restent le fruit d’un certain art. L’image du doux rêveur, de cet homme dont on se sentait proche, en prend un sérieux coup. Glaciale, la protection des machines est totale, tandis que les photos le représentant crâne à demi rasé, une hache à la main, repousse encore davantage l’auditeur historique. Celui-là même qui, au temps des débuts, s’était laissé aller à une certaine identification, en sera pour ses frais. Pour tout dire, c’est même un peu violent ; il faut lutter un peu avant d’y retourner.

arman méliès hache

Du reste, le champ lexical n’en finit pas de reprendre ce que les arrangements annonçaient déjà en fanfare. Avec la glace, c’est en effet le feu qui ravage ou qui meurt, sous toutes ses formes et dans chacun des textes ou presque. Ainsi des « fumées clandestines » de L’art perdu du secret, des « milliers d’incendies » de Pompéi, des « braises » de Rose Poussière, du « brasier » qu’il « [se] tue à retrouver » dans Mon plus bel Incendie, des « lumières » de l’Arlésienne, ou encore des dahlias semés qui ne peuvent pousser Dans la cendrée. Le feu a détruit, s’est éteint et en définitive, laisse en bouche un goût de désert.

Les constats, sous couvert de cette poésie parfois surréaliste dont Arman Méliès a le secret, sont sans appel. Internet est montré du doigt (« Oh ces arcades / Ces brèches dans les écluses / C’est la fin / Pas un mot qui ne soit nu / Oh ces tunnels / Ces passages dérobés / Les confidents virtuels / Les délits supposés / Oui tout est là / Et j’ignore l’art perdu du secret / Rien n’est caché / Et j’ignore l’art perdu du secret »), à l’instar des sirènes consuméristes et du pouvoir de l’Avoir (« L’art du néant / L’or des falaises / La rive argent / Comptant / Et le vide au dessous / Attend » – très beau texte de Vitrine ) ou du Paraître sur l’Être, thèmes récurents chez Arman Méliès. L’amour, qui naît parfois pour de mauvaises raisons (« Si je me glisse écouter / Vos complices artifices » – Arlésienne) semble sans espoir, au bout du compte depuis Mon plus bel incendie jusqu’au magnifique Rose Poussière (« Le rose poussière de ta chair / Et ma raison en miettes », géniale association).

Pour dire les choses les plus banales comme les plus élevées, Arman Méliès aime toujours autant se faire comprendre à demi-mot, écrire en vers, créer des images, mais aussi multiplier les références de l’érudit, amoureux de littérature et d’art en général, son pseudonyme en étendard. Ici on retrouvera, de façon plus ou moins explicite, William Blake, Nietzsche, ou encore Vermeer, mais aussi toute une culture à base géographique, entre histoire et philosophie. De quoi, comme il le disait en interview pour Télérama en 2008, se trouver davantage « d’accointances artistiques » avec Dominique A qu’avec les chanteurs de variété dits « populaires ».

Alors, si le parti pris musical autant que graphique refroidit incontestablement, on ne peut qu’être impressionné par cette production nouvelle de l’artiste, un peu comme on reconnaîtrait sans aucun doute possible la grandeur d’une œuvre art résolument moderne sans pour autant la comprendre tout à fait ni surtout, l’aimer vraiment.

Arman Méliès, pour autant, reste grandiose (parfois). En atteste ce Silvaplana épique en trois parties, mêlant à la fois la signature musicale immédiate et synthés vintages qui ramènent au générique de fin des émissions d’Antenne 2, si loin qu’ils semblent surgir d’une autre vie. Son talent y explose, dessinant le film d’une course effrénée, de la prise de vitesse à l’envol, jusqu’au silence enfin, comme pour un ange égaré trop haut et aspiré par la géante, les ailes brûlées au soleil.

Bien qu’on s’en détache, un artiste intelligent et passionnant.

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