Beyoncé : nouvelle icône féministe ?

, par  Carole Boinet , popularité : 2%

Beyoncé dans le clip de "Run the World (Girls)" (capture d’écran)

On se demandait il y a quelques semaines si Beyoncé se prenait pour Jésus. On se demande désormais si Queen Bey n’aurait pas remplacé les Femen au rayon des nouvelles féministes. Deux raisons à cela : dans le morceau ****Flawless, présent sur son “album-visuel” sorti le 13 décembre, la chanteuse américaine reprend des passages d’un discours intitulé “Nous devrions tous êtes féministes” prononcé en 2011 lors d’une conférence Ted par l’écrivaine nigériane féministe Chimamanda Ngozi Adichie, qui contient des pensées du type “Mais pourquoi apprend-on aux filles à aspirer au mariage et ne fait-on pas la même chose pour les garçons ?”

Deuxième raison : la présence d’un texte très court (et pas très original) signé Beyoncé, au sein du Shriver Report consacré à l’égalité des genres et piloté par Maria Shriver – ex-épouse d’Arnold Schwarzenegger. La chanteuse y écrit :

“L’égalité ne sera accomplie que lorsque les hommes et les femmes auront droit aux mêmes salaires et au même respect (…). Nous devons enseigner à nos garçons les règles de l’égalité et du respect afin qu’en grandissant, l’égalité entre les genres devienne un mode de vie naturel. Et nous devons apprendre à nos filles qu’elles peuvent aller aussi haut qu’il est humainement possible de le faire. (…). Les femmes représentent plus de 50% de la population et plus de 50% des électeurs. Nous devons réclamer de toutes pouvoir accéder à 100% des opportunités.”

“Te faire photographier en sous-vêtements n’aide pas le féminisme”

Il n’en fallait pas plus pour diviser les féministes américaines. D’un côté, celles qui s’appuient sur la sensualité exacerbée des clips et des concerts de Beyoncé pour démontrer son anti-féminisme. Contactée par Les Inrocks, Tanya Steele, cinéaste et auteur d’un texte sur Beyoncé publié sur le site IndieWire, assure ainsi que Beyoncé “représente celles qui croient que le corps des femmes est leur plus grand atout. A moins qu’elle ne consacre la même attention à son développement intellectuel qu’à son développement corporel, elle continuera à embrouiller les filles et les femmes”. Un argument développé par une chroniqueuse du Guardian en janvier 2013 dans une tribune résumée par son titre : “Beyoncé : te faire photographier en sous-vêtements n’aide pas le féminisme”. Pour elle, le fait que la star se soit exposée en petite tenue sur la couv’ de GQ en janvier 2013 annule son discours féministe.

Tanya Steele pousse l’argumentaire en assurant que la violence exercée contre les femmes “se produit parce qu’elles sont chosifiées, vues et traitées comme des objets pour le plaisir et les caprices d’un tiers”. Une référence à la controverse entourant le morceau Drunk in Love qui contient une allusion très claire à la relation violente d’Ike et Tina Turner.

Rappées par Jay-Z, les paroles “I’m Ike Turner, turn up/ Baby know I don’t play, now eat the cake, Anna Mae/Said ‘Eat the cake, Anna Mae !’” renvoient à un passage du biopic Tina (1993) dans lequel Ike force violemment Tina à manger un gâteau avant de frapper son amie qui tentait de s’interposer. Précisons qu’Anna Mae est le vrai nom de Tina Turner. Le couplet, pour le moins étrange, est accusé sur certains blogs de faire l’apologie de la violence domestique.

“Beyoncé n’a pas peur d’exprimer ses désirs”

A l’opposé du spectre : celles qui défendent Beyoncé bec et ongles, arguant que la chanteuse a commencé dans un groupe de femmes, les Destiny’s Child, et a toujours placé la cause féminine au centre de ses albums. Citons pour exemple le morceau If I Were A Boy, dans lequel elle explore la notion de “double standard”. Dans un article publié sur Salon, le journaliste Daniel D’Addario assure ainsi que “Beyoncé a toujours été féministe”  :

“Pour quelqu’un qui a une vision traditionnellement conservatrice du mariage, Beyoncé n’a pas peur d’exprimer ses désirs – voir les paroles plutôt explicites de Drunk in Love. Et sa façon d’assimiler son succès avec son apparence au réveil [voir le morceau ****Flawless, qui veut dire ’sans défaut’ ndlr] ou avec sa richesse matérielle n’est pas anti-féministe – c’est de la vantardise, comme ce que font tout le temps les artistes masculins sans que cela soit relevé.”

Pour d’autres, la polémique entourant le statut féministe de Beyoncé prend son origine dans une vision blanche du féminisme. Dans un article consacré à cette question publié sur Salon, Tamara Winfrey Harris, journaliste au magazine américain féministe Bitch, met en parallèle Madonna, érigée à une époque comme figure féministe en dépit de (ou grâce à) sa sensualité exacerbée, et Beyoncé, dont “l’utilisation de son corps est perçue comme irréfléchie et sans but à part celui d’exciter les hommes”. Pour elle, ce parallèle fournit “un exemple moderne de l’opposition raciste de la sexualité noire animale et de la sexualité blanche, civilisée, intentionnelle et contrôlée“.

Beyoncé et le féminisme pop

Au-delà de ses récentes allusions féministes, Beyoncé incarne, depuis le morceau Run The World (Girls), une Amazone moderne, une féministe guerrière qui utilise sa sensualité comme arme (rappelant Madonna et ses seins coniques).

Dès lors, la chanteuse semble s’inscrire dans la troisième vague féministe, dont l’existence est discutée mais dont on situe habituellement la naissance à la fin des années 80-début des années 90 et que l’on peut définir par une volonté de prendre en compte la diversité des femmes (notamment leur appartenance à des minorités) et d’embrasser les questions ethno-culturelles et LGBT. Reposant sur l’image (happening, actions-choc, utilisation des médias…) voire s’appropriant les codes de la publicité, la troisième vague est souvent associée à l’adjectif “pop”. Autres “amazones modernes”, les Femen ont souvent été définies, à tort ou à raison, comme appartenant à cette troisième vague féministe. De là à les comparer à Beyoncé il n’y a qu’un pas, ou plutôt un clip : celui de Run The World (Girls).

Rien d’étonnant donc à ce que Tamara Winfrey Harris compare le féminisme dont se revendique Beyoncé à celui de “SlutWalk [Marche des salopes visant à affirmer le droit des femmes à s’habiller comme bon leur semble, ndlr] des mouvements ant-viol qui proclament qu’une jupe très courte ne traduit pas le désir d’attirer le regard des hommes ou une disponibilité sexuelle“. Voir ici notre analyse de la notion de slut shaming.

Contactée par Les Inrocks, Anna Holmes, fondatrice du site d’informations féministe américain Jezebel, préfère parler de “quatrième vague féministe” concernant Beyoncé. Née dans les années 2000, la quatrième vague féministe – dont l’existence est elle aussi controversée- se définie à travers l’importance prise par les réseaux sociaux au sein de l’activisme et la prégnance de sujets comme l’identité sexuelle ou la discrimination des femmes rondes. Elle pourrait s’incarner, par exemple, dans la série Girls et sa créatrice Lena Dunham.

Le féminisme, un outil marketing ?

Mais penser que Beyoncé serait la nouvelle incarnation d’un féminisme pop, post-moderne et post-colonial reviendrait à oublier qu’elle est avant tout une chanteuse à la carrière interplanétaire qui, au 9 janvier, avait déjà vendu 1,43 million de copies de son dernier album. Un succès dû à sa sortie surprise (uniquement sur iTunes, dans la nuit du 13 au 14 décembre, sans aucune pub autre que sur les réseaux sociaux) mais, peut-être, aussi à son aura féministe. Se dessine ainsi derrière l’album-visuel un féminisme pensé comme outil marketing, voire un féminisme devenu in, dont il faudrait se revendiquer pour faire partie du (rap/pop/rock) game.

La sortie, à la même période, du single Roar de Katy Perry (dans lequel elle raconte la transformation d’une femme passive, dépendante des hommes en femme active et puissante) et du Hard Out Here de Lily Allen (qui y dénonce la chosification des femmes et le sexisme inhérent à l’industrie musicale) n’aurait donc rien d’une coïncidence et abonde dans ce sens.

“Beyoncé reflète un bouleversement dans la société”

Ce n’est pourtant pas ce que pense Kaila Adia Story, responsable du département consacré aux études de genres à l’université de Louisville et spécialiste des questions de féminisme noir, qui nous rappelle par mail que “Beyoncé est une artiste multi-millionnaire qui a navigué dans l’industrie musicale, dirigée par les hommes. En tant qu’artiste femme et noire, elle a acquis grâce à son expérience une connaissance sur les façons dont le genre est négocié et navigue dans cet espace.” Pour elle, Beyoncé a permis de remettre le féminisme au centre de l’attention :

“La visibilité de Beyoncé en tant qu’artiste et icône pop a certainement ouvert un énorme dialogue sur le féminisme, et son dernier album a soulevé des questions au sein des réseaux féministes : qui peut être féministe ? Comment définit-on une féministe ? Est-ce anti-féministe de dire que quelqu’un ne peut se revendiquer du féminisme ?”

Anna Holmes ajoute : “Beyoncé reflète un bouleversement dans la société, à savoir l’apparition de conversations mainstream autour du féminisme et d’une acceptation sans crainte des idées féministes et du mot ‘féministe’ lui-même“.

En définitive, que l’on soit pro ou anti-Beyoncé, les prises de position féministes de la chanteuse (comme celles de Katy Perry, Lily Allen voire Miley Cyrus) ont permis de remettre les problématiques d’égalité des genres et de sexisme au cœur des conversations.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2014/01/2...

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