Bikini de Reims : “Il faut arrêter de sauter sur chaque fait divers pour l’instrumentaliser”

, par  Fanny Marlier , popularité : 2%
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Rassemblement de soutien suite à l’affaire du maillot de bain au parc Paul Lagrange à Reims organisé par SOS Racisme le dimanche 26 juillet 2015 (Photo : Capture d’écran Dailymotion)

La violence de la scène, personne ne la conteste. Son instrumentalisation ? C’est plus discutable… Dans un article publié samedi 25 juillet , L’Union de Reims (Marne) affirme que le mercredi précédent, une jeune femme de 21 ans a été lynchée par cinq autres, âgées de 16 à 24 ans tenant un discours “aux relents de police religieuse”.

Le quotidien a déclenché une tempêté médiatique récupérée par la droite, l’extrême droite et une partie de la fachosphère. Seulement voilà, dès le lendemain L’Union met discrètement à jour son article (en précisant l’avoir publié la veille), en souligne que “ni la victime, ni les auteurs des coups n’ont fait état lors des auditions d’un mobile religieux ou moral”.

Dérapage médiatique

“Mercredi après-midi, une Rémoise de 21 ans accompagnée de deux amies se prélasse en maillot de bain au parc Léo-Lagrange. Cinq jeunes filles originaires de différents quartiers de la ville passent à proximité”, peut-on lire au début de l’article publié samedi par L’Union à propos de l’altercation entre les jeunes filles dans le parc municipal de Reims. Avant de poursuivre :

“L’une d’elles se détache du groupe. Voir cette femme qui bronze au soleil, allongée dans l’herbe, semble contraire à sa morale et sa conception des bonnes mœurs car elle vient lui reprocher sa tenue légère jugée indécente en pareil endroit. Effarée par un tel discours aux relents de police religieuse, la jeune femme se rebiffe en rétorquant qu’on n’a pas à lui dicter sa façon de se vêtir”.

La scène dérape, et la jeune femme en bikini est rouée de coups. Transportée au CHU de Reims, elle se voit prescrire quatre jours d’ITT (incapacité totale de travail). Les réactions sur la toile s’enchaînent.

Instrumentalisation politique

Le maire Les Républicains de Reims, Arnaud Robinet partage l’article de l’Union sur son compte Twitter, assorti d’un commentaire : “Intolérable sur notre territoire. Je condamne fermement cette agression”. Le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti fustigent une attaque de “notre mode de vie”.

Intolérable sur notre territoire. Je condamne fermement cette agression. http://t.co/xigw84sLd8

— Arnaud Robinet (@ArnaudRobinet) 25 Juillet 2015

Agression inacceptable par laquelle on veut nous imposer un mode de vie qui n’est pas le notre. Intransigeance ! https://t.co/OG57jhBesD — Eric Ciotti ن (@ECiotti) 25 Juillet 2015

Florian Philippot (FN) estime que la jeune femme a été lynchée pour sa façon de vivre “à la française”. Et que les agresseuses n’ont qu’a “se baigner sur la plage saoudienne de Vallauris”.

Les agresseuses de la femme en maillot de bain n’ont qu’à se baigner sur la plage saoudienne de Vallauris. Là-bas l’Etat les chouchoutera…

— Florian Philippot (@f_philippot) 26 Juillet 2015

Au sein de la “fachosphère”, le ton est à peu près le même. Karim Ouchkih, patron du SIEL (Souveraineté, Indépendance et Libertés), parle du “laboratoire de la charia”.

Tandis que SOS Racisme Reims a organisé dimanche après-midi un rassemblement en maillot de bain dans le parc Léo Lagrange. L’association, contactée par Les Inrocks, se défend de toute récupération :

“Nous avons organisé cette manifestation pour rappeler que nous sommes libres, libre d’être en maillot de bain dans un parc comme celui de Léo Lagrange. Le combat féministe n’a jamais été le cheval de bataille du FN ou de l’extrême droite. Donc à partir de là, nous n’avons aucune leçon à recevoir d’eux, et nous condamnons fermement ces propos qui sont antimusulmans, anti-citoyens, qui ne font pas avancer notre cause et les valeurs républicaines à l’intérieur de ce pays”, souligne Tiguda Diaby, responsable des comités région de SOS Racisme.

“Je suis musulmane oui, mais tolérante”

Contactée par BuzzFeed France , une des cinq filles mises en cause a donné sa version des faits : “J’étais en effet avec trois amies et ma petite sœur mercredi vers 16h30, quand nous sommes allées au parc Léo Lagrange. Nous sommes passées devant trois filles en maillot de bain et j’ai juste dit à ma copine que si c’était moi, je n’oserais pas me mettre dans cette tenue. Mais j’ai dit ça car je suis complexée, absolument pas pour des questions religieuses ou morales. Je suis musulmane oui, mais tolérante”.

Avant d’ajouter  : “Les journalistes ne se rendent pas comptent de ce qu’ils font. Oui, elles n’auraient pas dû se battre mais eux, auraient dû vérifier les informations. Depuis qu’ils ont laissé entendre que notre motif était religieux, c’est horrible. Ma famille ne veut plus me parler. Je dois dormir chez ma tante là. Je lis tous ces commentaires racistes sur nous. Franchement, nous sommes faibles, moi je suis faible, j’ai des idées noires”.

“A chaque fois que quelque chose ne va pas, c’est la faute des musulmans, déplore Esther Benbassa, sénatrice Europe Ecologie les Verts (EELV) du Val de Marne, contactée par Les Inrocks. Je pense que M. Ciotti devrait lire des livres d’histoire et surtout ceux des années 1930 pour voir les retombées éventuelles du genre de discours qu’il tient, et les dégâts que cela peut produire. Il faut arrêter de sauter sur chaque fait divers pour l’instrumentaliser.”

Marche arrière

Mais le lendemain, L’Union corrige ses propos de la veille , “oubliant” le “discours aux relents de police religieuse”… :

“Les réseaux sociaux n’en finissent plus de se passionner pour l’agression de cette jeune femme qui bronzait en maillot de bain au parc Léo-Lagrange de Reims ce mercredi. Sans connaître les motivations précises de l’agression – on ignore quels sont les propos tenus par les jeunes filles qui ont molesté la victime – les commentaires pleuvent et fournissent toutes sortes d’explications”.

Le journal local ne s’arrête pas là. Dans son édito du lundi 27 juillet , “Le bikini gate”, la journaliste de L’Union Carole Bouillé, reconnaît que l’expression “police religieuse”était probablement maladroite ou hâtive”. Elle continue :

“Ce que montre ce bikini gate, c’est la fragilité d’une France à fleur de peau, sur les nerfs, où chacun regarde l’autre avec méfiance. Les musulmans se sentent stigmatisés, les laïcs menacés, les catholiques mis en danger, les juifs en péril. Nous avons rarement cohabité aussi difficilement dans notre pays. Si les réseaux sociaux se sont emparés de ce fait divers, c’est parce que chacun y a lu ce qu’il voulait bien lire, que chacun a compris, ce qu’il voulait bien comprendre. Loin de vouloir attiser le feu, notre rédaction a avant tout cherché à informé, expliquer, enquêter sans jamais vouloir ni diviser ni stigmatiser.”

Les trois filles majeures seront jugées pour “violences en réunion” le 24 septembre devant le tribunal correctionnel. La plus jeune des mises en cause, 16 ans, a fait l’objet d’une convocation devant le délégué du procureur tandis que l’autre mineure, 17 ans, a été sous le statut de témoin assisté.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/07/2...

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