Breton : la longue interview

, par  Ondine Benetier , popularité : 2%

© Robin François

Comment as-tu vécu la perte du Lab, la banque désaffectée où vous aviez vécu et enregistré votre premier album, Other People’s Problems, àLondres ?


Un peu comme la fin d’une ère. Je crois qu’un groupe doit fonctionner comme une histoire, avec plusieurs chapitres et perdre le Lab était la fin d’un chapitre. C’est ça que je trouve intéressant dans l’idée de faire des albums, d’écrire et de réaliser des films : pas de faire un album ou un film parfait, mais de voir se dérouler une histoire, avec un premier, puis un second chapitre. Quand ensuite tu regardes en arrière, au lieu de voir dix tentatives de faire la chanson parfaite, tu vois une partie de ton histoire, comment tu te sentais àl’époque… Le Lab fait partie de cette histoire. On l’a trouvé par accident. On s’est tous rencontré par accident. C’est le chaos qui a créé ce groupe, pas une suite de décisions ou une stratégie marketing. On ne savait pas où on allait quand on a commencé Breton, puis le Lab est apparu comme une opportunité de donner un sens ànotre groupe àun moment donné. Et puis il a disparu. C’était dur de le perdre, mais on est simplement des victimes du chaos qui nous a créés. On n’a aucun contrôle dessus, tout comme personne n’a de contrôle sur sa propre naissance. Ça a été une étape compliquée de tourner cette page, mais ça nous a obligé àne pas continuer d’être le même groupe pour le second album.

Le Lab, c’était aussi vos propres îles Galápagos comme tu le disais il y a deux ans, un endroit où vous pouviez vous couper du reste du monde ?


C’était un endroit où on pouvait se planquer bien sà»r, mais aussi un lieu où on pouvait se couper de l’influence extérieure. Il y a des millions de groupes en Angleterre qui ont fait des albums géniaux. On n’avait aucune envie d’essayer de refaire des choses que d’autres groupes ont déjàfait mieux que nous. Le Lab nous permettait de nous enfermer et de ne pas subir cette influence, de continuer àfaire ce qu’on voulait, la musique qu’on aimait, sans se soucier de tout cela.

C’est pour ça que vous avez cherché un autre endroit àBerlin et trouvé le Funkhaus Studios, qui ressemble quand même beaucoup au Lab ?


On ne cherchait pas forcément un autre endroit comme celui-là, mais quand on a perdu le Lab et qu’on a essayé d’aller dans un studio normal pour enregistrer comme un groupe normal – tu écris une chanson, tu vas au studio le matin, tu t’installes, tu enregistres, tu ranges ton matos et tu t’en vas –, on s’est vite rendu compte que ça ne fonctionnait pas. C’est un processus trop clinique, et ce n’est surtout pas quelque chose de très excitant. Partir àBerlin était la façon la plus violente et brutale qu’on ait trouvé de dire “si on doit créer une dizaine de chansons pour le prochain album, ça arrivera pendant les trois semaines où on va s’enfermer ensemble dans ce vieux bâtiment et où on ne va vivre qu’àtravers ces chansons-là.†On a voulu se couper de ce sentiment un peu naïf que tout ce qu’on avait créé avant était venu grâce au Lab et grâce au Lab seulement, et se prouver que pour que quelque chose se passe, la première condition était de s’enfermer ensemble, peu importe où.

L’autre raison pour laquelle on est parti àBerlin, c’est que les chansons d’Other People’s Problems étaient des titres électro qui sont passés du studio directement àun format album, avant qu’on passe ensuite un an àessayer de les jouer en live. Au bout d’un an, elles étaient complètement différentes et on a un peu regretté de ne pas avoir eu la possibilité d’enregistrer Other People’s Problems après un an de tournée – c’était impossible puisque c’était notre premier album. Pour War Room Stories, on s’est demandé comment simuler une tournée avant même de l’enregistrer et aller au Funkhaus àBerlin nous a paru être une des solutions. On est partis là-bas, dans un autre pays, sans connaître qui que ce soit. Tous les matins, on prenait nos vélos jusqu’au studio, on jouait et on s’immergeait dans les nouveaux titres. Partir loin déplace tes problèmes, ou en tous cas, te coupe de tes problèmes quotidiens. C’est un peu comme quand tu pars en vacances et que tes soucis se résument à“merde, j’aurais dà» prendre une autre serviette de plage†ou “où est-ce que je peux acheter du pain ici ?†. On a voulu se couper de nos problèmes quotidiens pour s’obliger àêtre dans un autre état d’esprit et ne vivre que dans nos futures chansons. Quand tu es dans un autre état d’esprit et que tu commences àfaire attention àdes choses auxquelles tu ne faisais pas attention avant, c’est làque tes chansons commencent àsonner différemment.

Vous aviez peur d’être parasités par l’extérieur ?


Non, je crois que le pire, c’est quand tu deviens parano et que tu t’empêches de faire certaines choses parce que tu as peur que cela sonne comme tel groupe ou telle chanson. Quand tu commences àte dire “on ne devrait pas mettre cette chanson dans l’album parce qu’elle fait trop penser àtel titre de ce groupe†ou “on devrait couper cette partie parce que le piano sonne comme tel album†, c’est làque les choses s’écroulent. Quand tu réfléchis trop, c’est pire que d’avoir essayé de faire un truc marketé je pense. Tu peux toujours analyser ta chanson une fois qu’elle est faite, te demander pourquoi tu l’as faite ainsi, mais il ne faut pas trop réfléchir pendant que tu la créés sinon, tu ne vas nulle part.

C’est hyper prétentieux de dire ça, mais il y a deux citations que j’essaie de garder toujours en tête. La première est de Picasso et dit qu’il faut toujours faire de l’art comme si tu étais un enfant. Après, en grandissant, tu apprends des choses sur l’histoire de l’art, sur ce qu’il s’est fait avant, mais quand tu commences àcréer quelque chose, il faut créer simplement pour le sentiment que cela te procure, comme quand tu jouais petit, peindre juste parce que tu aimes la texture de la peinture sur tes doigts, la satisfaction d’un tracé sur le papier. C’est une façon très pure et honnête de créer.

La deuxième – je ne me rappelle plus de qui elle est – s’appelle la Helsinki Bus Station Theory. C’est une métaphore sur l’art qui compare la première année àla fac d’art àun départ de la station de bus d’Helsinki où tous les bus suivent, pendant quelques temps, le même itinéraire jusqu’àsortir complètement de la ville et partir chacun dans une direction différente pour aller vers leurs destinations respectives. Pendant ta première année de fac, tu bosses sur ta première expo par exemple et au bout d’un moment, tu penses avoir atteint quelque chose et on te dit “c’est cool ce que tu fais, mais ça ressemble beaucoup àJackson Pollock†. Alors, tu reprends tout depuis le début – tu reprends le bus dans l’autre sens pour revenir àla station de bus d’Helsinki en somme – pour trouver une route plus originale que personne n’a jamais prise et quand présentes de nouveau ton travail, on te dit “ah mais là, ça ressemble àtel autre artiste†qui a lui aussi suivi ce chemin-là. Ce que suggère le mec qui a conceptualisé cette idée, c’est qu’il vaut mieux continuer ta route, rester dans le bus, sans te soucier de ce qu’on pense de ce que tu es en train de créer si tu veux arriver àdestination, parce qu’àla fin, tous les bus prennent leurs propres itinéraires et si tu n’as pas été freiné, tu vas peut-être réussir àcréer quelque chose de bien àtoi.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2014/02/0...

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