Christiane Taubira sort de son silence pour sauver la gauche

, par  Amélie Quentel , popularité : 2%
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Mathias et Irène Théry, Christiane Taubira, Etienne Chaillou, Elisabeth Quin au MK2 Quai de Seine. Photo : Amélie Quentel

Devant le cinéma MK2 Quai de Seine, l’excitation est palpable. Il est 19h30 et une longue file s’est déjà formée devant les portes. Il paraît que les 300 places pour l’événement se sont écoulées en à peine 24 heures. Les journalistes ont eux aussi fait le déplacement, en nombre. Attend-on une rockstar ? Robert de Niro ? Barack Obama ? C’est en fait la venue de Christiane Taubira qui suscite cette ferveur.

L’ancienne garde des Sceaux est l’invitée d’un débat organisé autour de l’excellent documentaire La Sociologue et l’Ourson (toujours à l’affiche et chroniqué par Les Inrocks ). Réalisé par Etienne Chaillou et Mathias Théry, il revient sur les mois pendant lesquels son projet de loi sur le mariage pour tous a “enflammé la France”. C’était entre 2012 et 2013 et, trois ans plus tard, le sujet intéresse toujours autant : si le mariage entre couples de mêmes sexes est légal ainsi que l’adoption homoparentale depuis le 18 mai 2013, les questions relatives à la procréation médicalement assistée (PMA) et de gestation pour autrui (GPA) sont toujours en suspens. Alors, forcément, Christiane Taubira est très attendue sur ces enjeux.

La bataille et l’infirmerie

“J’ai envie de l’entendre sur ces thématiques”, assure avant le début de la projection un membre de l’Association des familles homoparentales (ADFH), venu avec son compagnon. Pour lui, depuis l’adoption de la loi, les choses n’ont pas trop changé et il fait part de son “sentiment de stagnation”.

A défaut de pouvoir recourir à la GPA dans leur pays – cette pratique étant illégale en France – ils projettent de se rendre aux Etats-Unis, en 2017. Ils veulent avoir des enfants et aimeraient qu’ils soient reconnus français, même si, “ça sera pas le combat de notre vie, l’important étant avant tout que les enfants soient acceptés dans la société.”

Concernant la reconnaissance de la nationalité française, ils n’ont normalement pas trop de souci à se faire : http://www.rfi.fr/france/20150703-f... depuis une décision de la Cour de cassation de juillet 2015, les enfants nés d’une GPA à l’étranger peuvent à présent être inscrits à l’état civil français.

Pas le temps de converser plus longuement : celle que tout le monde attend arrive. Accompagnée de son service de sécurité, elle s’installe au milieu de la salle de cinéma. Ici, elle est en terrain conquis : tout le monde l’acclame.

A la projection spéciale de La sociologue et l’ourson, standing ovation à l’arrivée de C. Taubira pic.twitter.com/Yk4iPF6NsU

— Amélie Quentel (@ameliequentel) April 13, 2016

“Bravo”, “merci”, “bravo encore” : l’émotion et la reconnaissance sont palpables. Mathias Théry prend la parole pour dire “l’honneur” que représente sa présence ce soir : “Madame Taubira, vous avez été dans une bataille mais, avec vos mots, vous avez été aussi à l’infirmerie.” Il fait référence aux discours enflammés et incarnés de la ministre en faveur du projet de loi, que l’on retrouve à de nombreuses reprises dans le film. D’ailleurs, il commence : pendant la petite heure et demie de projection, l’hilarité, les applaudissements mais aussi les “pfff” de dépit face aux paroles de certains politiques sont au rendez-vous.

“Où est la gauche ?”

Pendant tout le générique final, les gens applaudissent, on se croirait à Cannes. Christiane Taubira est appelée sur scène, en compagnie des réalisateurs et d’Irène Théry, sociologue, mère du réalisateur et personnage principal du film. Le débat, qui durera finalement 1h30, est animé par la journaliste Elisabeth Quin.

Le Taubira show commence. 45 minutes de débat sont prévues @LaSocio_LOurson pic.twitter.com/RgyBG5VGfM

— Amélie Quentel (@ameliequentel) April 13, 2016

Interrogée sur les raisons expliquant les réticences, en 2013, à accepter le Mariage pour tous, elle s’interroge : “Je me suis demandé : ‘Où est là gauche et pourquoi la droite et l’extrême-droite sont-elles si à l’aise pour dire qu’on peut accepter les inégalités ?’ C’est un vrai problème.”

Mais le mariage et l’adoption sont maintenant légalisés : ce que veulent savoir les gens, c’est quelles évolutions ils peuvent attendre concernant la PMA, la GPA, mais aussi la situation des personnes transexuelles. Irène Théry s’en fait le porte-parole : “On a eu le mariage pour tous. Etait-ce si difficile d’aller plus loin ?” Taubira ne s’en cache pas, elle est elle-même favorable à la PMA pour les couples de femmes.

Taubira : "Ma position perso : je trouve parfaitement légitime la demande de PMA pour les couples de femmes" @LaSocio_LOurson

— Amélie Quentel (@ameliequentel) April 13, 2016

Elle rappelle au passage que cette procédure est remboursée pour les couples hétérosexuels victimes d’infertilité pathologique. Pour Taubira, tant que les communautés scientifiques et médicales n’auront pas tranché en ce qui concerne les couples de même sexe – faire ou non un autre régime de PMA pour ces couples étant donné qu’ils ne sont pas forcément infertiles ? –, le politique n’évoluera pas sur le sujet. Reste qu’elle se désole de ne “pas avoir réussi à poser la totalité du sujet”. Mais tacle tout de même, au passage, le gouvernement, rappelant que c’était via la Loi famille, censée être étudiée par le Comité consultatif national d’éthique en octobre 2013 , que la question de la PMA devait être traitée. “Je ne viens pas pour jouer la comédie devant vous… On est en 2016 !”

Le combat continue

Aussi, Christiane Taubira ne faisant plus partie du gouvernement, qui pour incarner à gauche ce combat ? La question est posée par le président de l’ADFH, qui souligne au passage “le grand courage” de l’ex-ministre de la Justice. Dans la salle, les rires ironiques fusent : ici, plus personne ne croit vraiment en la majorité en place. Taubira met du temps à répondre, soulignant d’abord le “travail collectif” qu’il a fallu mettre en place pour arriver à la promulgation de la loi sur le Mariage pour tous. Elle finit par lâcher : “La gauche a reculé dans sa combativité, indéniablement. Mais plutôt que de chercher qui au gouvernement pourrait porter cette lutte, faisons en sorte que, dans la société, nos idéaux de gauche soient portés et défendus !”

Le débat continue, avec des interventions de membres de SOS Homophobie à propos du récent scandale à propos de l’expression “PD” (pas considérée comme une insulte par les prud’hommes de Paris) ou bien celle de la porte-parole de l’Inter-LGBT sur la difficile situation des personnes transsexuelles. A ce propos, Christiane Taubira se veut positive : “Je sais que toutes ces situations sont douloureuses. Mais les choses avancent, avec notamment la proposition de loi relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil” . Portée entre autres par les socialistes Bruno Le Roux, Pascale Crozon ou encore Erwann Binet, cette proposition prévoit que “toute personne majeure dont la mention relative à son sexe à l’état civil ne correspond pas à l’expérience intime de son identité et au sexe dans lequel elle est perçue par la société peut en demander la modification” – procédure très difficile à mettre en place actuellement.

Les questions dévient un peu, quelques uns s’intéressant aux éventuelles velléités présidentielles de Christiane Taubira – “Ne me cherchez pas d’histoires ce soir !”, balaie la principale intéressée (qui n’a donc pas dit non). On lui demande finalement si la gauche s’intéresse encore aux minorités. Réponse : “Vous avez raison, il faut être exigeant vis-à-vis de la gauche. Mais être exigeant ce n’est pas l’abandonner. C’est la forcer à être de gauche.”

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/04/1...

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