Comment Tinder transforme la société indienne et le système des castes

, par  Ingrid Therwath , popularité : 2%
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Capture d’écran d’un reportage de CNN sur le succès de Tinder en Inde.

Il faut quelques secondes pour télécharger Tinder. Quelques secondes pour se soustraire aux regards inquisiteurs des voisins, aux sollicitudes des proches et à la bienveillance toute patriarcale des parents qui essaient de caser leur progéniture avant le grand âge de 25 ans pour les femmes, et un peu plus pour les hommes. En Inde, les mariages arrangés restent la norme, on attend des filles qu’elles restent vierges jusqu’au mariage et la sexualité – hétéro ou homo – est un sujet tabou.

Une croissance des inscrits de 1% par jour

Et voilà, qu’il y a un peu plus d’un an, le site américain Tinder, qui se targe d’avoir plus de 10 millions de membres dans 15 pays, débarque dans le deuxième pays le plus peuplé du monde et sans contexte un des plus conservateurs et des plus jeunes en même temps. Le succès a été immédiat dans les grandes villes comme Delhi, Bombay et Bangalore. Depuis le lancement en octobre 2013, le nombre de membres croît de 1% par jour, et selon un représentant l’entreprise, l’Inde est “un marché prioritaire“.

L’application a tout de suite séduit la classe moyenne et supérieure, éduquée, anglophone, rompue aux technologies de l’information, et qui utilise depuis des années des sites matrimoniaux made in India. Selon Nishant Shah, professeur de culture et esthétique des nouveaux médias à l’université de Lüneburg et cofondateur de Centre pour l’étude d’Internet basé à Bangalore,

“Pour la première fois, les jeunes vivent en dehors des communautés, familles, castes et classes dans lesquelles ils sont nés. Les sites de rencontre et les algorithmes prévisionnels pour trouver l’âme sœur ont remplacé les vieilles structures communautaires et familiales qui définissaient comment les hommes et les femmes devaient interagir et se faire la cour.”

Mais, pour les jeunes urbains souvent ultra-libéraux et fascinés par la société de consommation, le pragmatisme reste une vertu, même en matière d’amour et de sexe. Avec Tinder, ils se géolocalisent et passent par leur réseau d’amis Facebook, ce qui crée un climat de confiance puisqu’on se contacte en fonction de connaissances et de pages likées communes et après s’être mutuellement approuvés.

Une impression de sécurité

Si Tinder marche si bien en Inde, c’est justement grâce à l’impression de sécurité que l’application offre et qui tranche si nettement avec les conditions de vie réelles, notamment pour les femmes. Delhi, la capitale politique, est surnommée par les médias “la capitale des viols”. Les scandales se succèdent et les habitantes ont souvent renoncé à se déplacer seules une fois la nuit tombée, vers 18h.

Vedika est dans ce cas. Cette ingénieure de 26 ans n’est pas mariée. Après des études prestigieuses à Ahmedabad, où vit le reste de sa famille, elle a trouvé du travail dans une multinationale de Delhi. Quelques mois après son arrivée, elle s’est inscrite sur Tinder.

“Au début, je ne savais pas trop comment faire pour rencontrer des gens. La plupart de mes collègues sont mariés. Et puis, sur Tinder, j’ai commencé à discuter avec des amis d’amis, le cousin d’un ancien camarade de promo. C’est quand même rassurant. J’en ai vu quelques uns, on s’est donné rendez-vous dans une chaîne de cafés. Finalement, j’ai eu deux aventures. Ce qui est génial, c’est qu’on n’a pas besoin de faire comme si on allait se marier. Ce n’est pas un site matrimonial traditionnel où on compare nos thèmes astraux ! Franchement, c’est libérateur. Et pour les femmes indiennes, c’est nouveau. Avant, le sexe avant le mariage, c’était très mal vu. Mais si on couchait sans aucune intention d’avoir une relation suivie et que ça se savait, alors là, on se faisait traiter de pute ! Ca pouvait même avoir des conséquences graves”.

Une application libératrice pour la communauté LGBT

Il n’y a pas que pour les femmes hétérosexuelles que Tinder fait bouger les choses. La communauté LGBT, très stigmatisée et souvent harcelée par la police, l’application est souvent libératrice. L’homosexualité est un crime passible de peines de prison allant jusqu’à la perpétuité et l’homophobie est courante. Pas facile dans ces conditions d’aller draguer des parfait(e)s inconnu(e)s dans un bar.

La police n’a aucune idée de ce que sont les nouvelles applis, donc il n’y a aucun risque !“, explique Kunal Majumder, un jeune journaliste ouvertement gay, qui vit à Delhi. Il a laissé tomber les applications de rencontre s’adressant uniquement aux gays et il préfère Tinder, comme beaucoup d’autres gays.

“J’aime le fait que Tinder soit un espace ouvert à tous quelle que soit l’orientation sexuelle. Et parce que ce n’est pas une application exclusivement gay, il n’y a pas de danger, en plus on a l’impression d’appartenir au mainstream. Pour moi, c’est un grand pas de pouvoir appartenir au mainstream. On se sent normaux, pas dans un ghetto ou un harem tourné uniquement vers le sexe”.

Depuis quelques mois, des applis 100% indiennes, ont fleuri pour proposer des alternatives plus locales à Tinder. En tout cas, la parole s’est libérée en Inde, du moins dans les grandes villes et chez les gens aisés. Le sexe hors mariage et hors schémas conventionnels n’est plus toujours tabou. L’individu peut faire ses propres choix. La révolution sexuelle est-elle en marche ? En tout cas, c’est sûr, elle est en ligne.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2014/12/1...

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