Dix disques pour refaire l’Europe

, par  Louis-Julien Nicolaou , popularité : 2%
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Elina Duni ((c) Andrin Winteler)

Angélique Ionatos

Reste la lumière. ΜΕΝΕΙ ΤΟ ΦΩΣ

Comme Virgile menait Dante sur le chemin des Enfers, Angélique Ionatos guide son auditeur au cœur des ténèbres, lentement, résolument, avec toute la profondeur tragique qui l’habite. Là passent bien des fantômes, d’abord celui de cette Grèce matricielle dont nous avons perdu l’idée, fragile porte de l’Europe abandonnée où s’échoue notre humanité. Grèce mère qui craque et tangue comme un bateau fou, Grèce de Perséphone, de sœurs sorcières et d’Orient, Grèce de lumière pour finir, car la poésie ici, retrouve sa mission première et ne dit que le vrai en regardant toujours le soleil en face. C’est un grand beau disque, terrible et courageux à l’image de l’artiste d’exception qui l’a conçu.

Nicola Sergio

Migrants

Migrants, réfugiés, déplacés, exilés… Contre cette terminologie qui ne sait pas ou ne veut plus dire la catastrophe en cours, Nicola Sergio édifie un long poème musical, le langage sobre de son piano, la mélodie née d’une réflexion sur ce que vivent et souffrent les personnes en errance à travers une Europe à nouveau tentée par les barbelés sinistres, les murs impitoyables et les postes de douanes. Sa propre expérience du déracinement l’a poussé à mettre le drame contemporain en résonance avec les migrations anciennes des Européens vers l’Amérique. Il en résulte un album cinématographique, meilleur indicateur de l’état du monde que bien des flots d’images télévisuelles.

Francesco Bearzatti Tinissima 4et

This Machine Kills Fascists

Parce qu’il nous faut résister au chaos et prévenir davantage de désastres, le vieux slogan inscrit par Woody Guthrie sur sa guitare, “This Machine Kills Fascists”, doit se rappeler à nous. Le saxophoniste italien Francesco Bearzatti le réactive à sa manière, par un mélange très entraînant de jazz, de blues et de folk, sans mots, juste avec cette ferveur que le chanteur protestataire savait communiquer à son auditoire. Sa déambulation dans l’imaginaire de Guthrie passe par les errances champêtres du hobo, la vapeur et le boucan des trains d’antan et le souvenir poignant de Sacco et Vanzetti, avant de se conclure dans une dernière adresse au peuple : This Land is Your Land.

Ricardo Tesi

Bella Ciao

Chant des partisans pendant la Seconde Guerre mondiale, Bella Ciao devint en 1964 le nom d’un spectacle édifié autour de plusieurs chansons populaires. Le succès de cette entreprise fut tel qu’il engendra un intérêt nouveau pour le folk en Italie. A travers ces refrains d’ouvriers, de filandières et de charbonniers, de résistants et d’anarchistes, ce sont tous les espoirs et peines de l’ancien peuple que Ricardo Tesi et ses camarades font revivre. Tandis que les discours et actes de guerre se multiplient, écouter cette “leçon de démocratie qui naît du bas”, selon les mots de Tesi, nous renvoie à la première des nécessités : la paix.

Alan Stivell

AMzer

Discrètement, sans dogmatiser, Alan Stivell continue d’offrir ce qui manque tant à l’Europe dénaturée d’aujourd’hui : un onirisme sans retour, une magie d’irréalité baignée de chants d’oiseaux et d’accords de harpe, d’odes à la nature, aux saisons et au temps qui passe. On ne comprend pas le breton, encore moins le japonais qui s’invite ici pour dire des haïkus, qu’importe, ne pas comprendre peut aussi faire partie de ce rêve de sons et d’impressions dont l’intention première est la renaissance de l’esprit de poésie.

Dorantes & Renaud Garcia-Fons

Paseo a dos

Attaché pour toujours à un territoire, l’Andalousie, et à une communauté, les Gitans, le flamenco n’en est pas moins un langage universel dont tout instrument peut s’emparer, pourvu que soit respectées les règles du compás (métrique et pulsation). Contrebassiste virtuose et voyageur, Renaud Garcia-Fons les connaît assez pour savoir tirer de leur application sa propre liberté, son propre cante. Sa rencontre avec le pianiste Dorantes , neveu du cantaor El Lebrijano élevé dans la tradition de Lebrija donne naissance à un disque plein de splendeurs (sublime malagueña), gorgé d’un flamenco au lyrisme bouleversant.

Mísia

Para Amália

Pour toute fadista, Amália Rodrigues demeure la grande, l’inconsolable Reine, la référence monumentale vers laquelle il faut nécessairement, un jour ou l’autre, porter son regard. Connue pour ses goûts modernistes, Mísia a opté pour une instrumentation minimale, le piano seulement par endroits, les guitares portugaises en d’autres, afin de restituer, en un double-album, l’essence de cet au-delà de tristesse, de cette noire tendresse, de cette délicate obscurité qui hantait Amália. Avec courage, elle s’en remet à sa voix, et c’est une magnifique mise à nu, un éblouissement pour l’auditeur, qui (re)découvre soudain quatorze de ses titres, auxquels s’ajoutent quatre pièces nouvelles.

Sirba Octet

Tantz !

Venus du classique, les musiciens du Sirba Octet ont envoyé valser pupitres et partitions pour se jeter dans un tourbillon de danses et de fêtes balkaniques, sans pour autant se défaire de de leurs manières policées. Et c’est justement ce qui fait le charme de Tantz ! Les cavalcades du cymbalum tzigane, les hoquets de la clarinette ashkénaze, les éclats de rire des violons et le gros bourdon dégingandé de la contrebasse y sont interprétés comme musique de chambre, fantaisie de salon, distraction où passe l’intense folie irrémédiablement nostalgique de l’Europe de l’Est.

Randi Tytingvåg

Steady-going

Comme Kristin Asbjørnsen et Solveig Slettahjell,Randi Tytingvåg ne craint pas de s’écarter du folk norvégien pour prendre le large dans les grands espaces américains, accompagnée seulement de deux cow-boys scandinaves. Au reste, la langue et les lieux comptent peu dans ce Steady-going si joliment épuré : Randi peut chanter Friedrich Hollaender en allemand, reprendre des rengaines comme Que sera sera ou se confronter à Joni Mitchell et Gillian Welch – à qui on pense si souvent en l’entendant –, elle garde toujours la même aisance modeste, la même assurance. C’est un album qui tient chaud, enregistré live dans une pièce qui, à l’évidence, devait sentir bon le bois tendre.

Elina Duni Quartet

Dallëndyshe

Si Dallëndyshe (“hirondelle” en albanais) désigne un des airs repris par Elena Duni , il pourrait aussi bien l’évoquer elle-même, chanteuse aérienne et migratrice établie en Suisse mais qui a arpenté de nombreuses fois les Balkans pour se mettre à l’écoute de leurs traditions musicales. Qu’elles viennent du Kosovo ou d’Albanie, aient été conçues par des Arvanites ou des Arbëresh, les mélodies ici mêlées à un jazz délivré de la pesanteur sont d’une beauté à la fois populaire et religieuse, intemporelles et contemporaines, très pures et sensuelles.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2015/11/2...

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