“Django unchained” : Tarantino, toujours déchaîné

, par  Jacky Goldberg , popularité : 2%

Leonardo DiCaprio dans "Django Unchained" de Quentin Tarantino (sortie en salle le 16 janvier)

Leonardo DiCaprio dans "Django Unchained" de Quentin Tarantino (sortie en salle le 16 janvier)

Inglourious Basterds, le précédent film de Quentin Tarantino sorti en 2009, se terminait sur ces mots du lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt), mâchoire saillante et sourcil satisfait, filmé en contre-plongée depuis le point de vue d’un nazi, sur le front duquel il venait de dessiner une croix gammée au couteau : “Je crois que je viens de faire mon chef-d’oeuvre.” Il fallait être sourd pour ne pas entendre que le commentaire valait pour le film dans son entier, projet très ambitieux que le plus cinéphile des cinéastes traînait depuis dix ans et dont il se libérait enfin. Seulement, que faire après son chef-d’oeuvre autoproclamé ?

Il aurait pu, comme d’autres, craquer sous la pression, réaliser une petite commande, se noyer dans les bloody mary ou se mettre à la méditation transcendantale : il a préféré faire un film, aussi beau, aussi fort, aussi surprenant que le précédent. Django Unchained, son huitième long métrage, au titre comme toujours bipartite, est ainsi, à nouveau, un vaste et retors “mexican stand-off” entre l’histoire (en l’occurrence, celle de l’esclavage, deux ans avant la guerre de Sécession) et un tas de petites histoires nourries à la cinéphilie (le western, mais pas seulement), à la littérature populaire (un détour inattendu par Alexandre Dumas), au hip-hop (Ricky Rozay dans la place) et à la mythologie allemande (pourquoi pas). C’est aussi, bien entendu, un film de vengeance filmé comme un interminable coït à éjaculation retardée, une partouze pop où les mots font bang et les balles splash.

Sans même évoquer ses quasiment trois heures – qui n’ont rien de rédhibitoire pour certaines catégories de films, comme ceux de superhéros ou les prestige movies à oscars –, Django Unchained a par ailleurs suscité, pendant ses deux années de gestation, une infinité de rumeurs catastrophistes : dépassements de budget (qui reste inconnu à ce jour), plateau incontrôlable, casting changeant et valse de stars (Joseph Gordon-Levitt, Sacha Baron Cohen, Kurt Russell et Kevin Costner ont tous été embarqués à un moment ou un autre, avant d’être débarqués)… Pourtant, Harvey Weinstein, réputé sanglant, semble avoir passé tous ses caprices à son cher Quentin et, jusqu’à preuve du contraire, le film est tel que ce dernier l’a voulu. En haut de la pyramide hollywoodienne, il se permet tout, absolument tout, avec une impétuosité qui jamais ne vire à l’arrogance. Il n’hésite pas par exemple à placer cent-dix fois – on a compté – le mot “nigger”, furieusement tabou aux États-Unis, comme pour signifier à Spike Lee, qui lui avait cherché des noises sur le sujet à la sortie de Jackie Brown, qu’il n’a pas besoin d’être noir pour en filmer. Pas plus qu’il n’avait besoin d’être une femme pour réaliser ce grand film féministe qu’est Boulevard de la mort…

Par quel miracle ses films-monstres adviennent-ils sur nos écrans, sans éraflures autres que celles de la pellicule, avec laquelle cet adversaire du numérique parvient encore à tourner ? Le miracle tient d’abord, c’est une évidence, à la rentabilité de la plupart de ses films. Inglourious Basterds, par exemple, a coûté 70 millions de dollars et en a rapporté 320. Cela n’explique cependant pas tout. Tarantino, à bien y regarder, n’a jamais connu l’échec, si ce n’est avec Boulevard de la mort (mais cela tient sans doute à sa distribution expérimentale – le fameux double programme Grindhouse – et le film est vénéré par toute une frange de la cinéphilie). Dès Reservoir Dogs, Tarantino était culte ; avec Pulp Fiction, il fut l’un des plus jeunes cinéastes palmés de l’histoire ; Jackie Brown fut accueilli comme un film de la maturité et les deux Kill Bill ont fortement marqué l’imaginaire cinéphile des années 2000. Considéré d’emblée comme un prodige, et jouissant, avec les Weinstein, d’un foyer protecteur, il n’a donc pas eu à se battre pour s’imposer. Or, cette situation qui aurait pu créer chez lui un sentiment d’impunité et une paresse croissante n’a au contraire jamais freiné sa créativité.

Pour combien de temps encore ? Participant à une table ronde organisée par le Hollywood Reporter, Tarantino avouait récemment qu’il pourrait sans problème arrêter sa carrière dans un avenir proche, si le désir s’émoussait ou, plus étrangement, si la pellicule venait à manquer. Autrement dit, si le monde numérique venait à recouvrir définitivement le vieux monde, analogique, pour lequel il dit “avoir signé”. S’avance là, au-delà de la posture dandy, une vérité sur son cinéma, un cinéma qui, du haut de la grande histoire ou par l’oeilleton de la toute petite, n’a jamais eu d’autre ambition que de venger les damnés, faire gagner les perdants : genres méprisés, acteurs et actrices oubliés, populations meurtries. Et aujourd’hui, donc, une petite bande sombre et translucide de 35 mm de large, menacée par une armée innombrable de 0 et de 1. On imagine déjà le titre du film qu’il réalisera (en deux mots, évidemment) : Celluloid Burn.

en salle le 16 janvier

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/0...

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