Droit d’auteur, quel héritage ?

, par  jerelibre , popularité : 1%

Jérémie Nestel évoque le droit d’auteur et son héritage, la privatisation de la connaissance, la responsabilité de l’auteur, la différence entre matériel et immatériel, les brevets sur les semences et sur les médicaments, etc.

NdM : Initialement paru chez LibreAccès, le texte publié en seconde partie de cette dépêche est placé sous licence Art Libre et est écrit par Jérémie Nestel. Il est repris ici avec quelques corrections.

Est-ce que la connaissance peut être privatisée ? La connaissance appartient-elle à l’humanité ou à un homme en particulier ? Quelle est la responsabilité de l’auteur ? À ces questions, il n’y a pas de réponses universelles, il y a des choix de civilisation.

Le statut de l’artiste, de l’auteur, sa place dans la société n’ont jamais été de soi.

Le droit d’auteur est une construction juridique, un imaginaire, conçu au XVIIIe siècle. Il a pris des voies différentes en Europe, en France, en Angleterre et en Allemagne.

En France, la question du droit moral et patrimonial a dès sa création fait débat. Dès 1776 Nicolas de Condorcet affirmait que ce n’est pas un véritable droit mais un privilège qui pouvait nuire au progrès des lumières : « Tout privilège est donc une gène imposée à la liberté, une restriction mise aux droits des autres citoyens ; dans ce genre il est nuisible non seulement aux droits des autres qui veulent copier, mais aux droits de tous ceux qui veulent avoir des copies, et pour qui ce qui en augmente le prix est une injustice. L’intérêt public exige-t-il que les hommes fassent ce sacrifice ? »

Condorcet remarquait : « Quand bien même il n’existerait pas de privilèges en librairie, Bacon n’en eût pas moins enseigné la route de la vérité dans les sciences ; Képler, Galilée, Huyghens, Descartes, n’en eussent pas moins fait leurs découvertes ; Newton n’en eût pas moins trouvé le système du monde ; M. D’Alembert n’en eût pas moins résolu le problème de la précession des équinoxes. » (Oeuvres de Condorcet. Tome 11 / publiées par A. Condorcet O’ Conor,... et M. F. Arago (F. Génin et Isambert)).

Beaucoup d’auteurs, tels Victor Hugo, ont partagé par la suite les inquiétudes de Condorcet considérant les droits du public comme supérieurs aux leurs.

Un auteur reste un citoyen comme un autre, il ne peut mettre son individualité au-dessus de l’humanité. Du moins, il serait souhaitable que chaque auteur prenne à nouveau position.

Dernièrement, le site d’information Rue89 relatait les problèmes d’exploitation d’un texte d’Ernst Ingmar Bergman : « Une affaire d’âme ». Les droits exclusifs du texte sur le territoire français avaient été vendus pour une durée de deux ans par la Fondation Bergman à une société de production et à Bénédicte Acolas. Des droits non exclusifs du texte avaient également été accordés à une metteuse en scène belge Myriam Saduis pour le faire jouer en Belgique.

Le travail de Myriam Saduis rencontre un franc succès en Belgique, le festival d’Avignon décide alors de l’inviter… sauf que les droits exclusifs ayant été vendus, la compagnie de Myriam Saduis n’a pas le droit de venir jouer le texte en France. On est loin de l’affirmation de Victor Hugo : « Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. » (Discours d’ouverture du Congrès littéraire international, 7 juin 1878).

Un auteur peut-il accepter de son vivant que son texte défendu avec talent ne puisse être joué quand il est mort car ses descendants ont vendu ses droits ?

Le savoir est devenu un moyen de domination économique. La plupart des grandes entreprises françaises ne sont plus riches de leur production mais des droits, des brevets qu’elles possèdent. Nous sommes passés d’une économie de production à une économie de rente. La rareté du travail en Europe est corrélative de cet état de fait. Les armées des États servent maintenant à protéger les « territoires intellectuels » conquis par les multinationales. L’imposition du code de la propriété intellectuelle vise à créer artificiellement de la rareté sur le monde des idées.

Les idées n’étant pas des biens matériels, il est aisément compréhensible que lorsque je partage une idée avec un ami, nous sommes deux à la posséder ; ce qui n’est pas le cas des biens matériels où, lorsque je partage une baguette en deux, je me dépossède de sa moitié.

La protection des droits d’auteur est défendue avec vigueur par les majors de l’édition. L’auteur pourra-t-il longtemps cautionner pour sa rémunération et celle de ses ayant-droits cette privation de la connaissance ? Acceptera-t-il d’en être l’alibi essentiel ? Peut-il cautionner que les brevets pharmaceutiques coûtent plus cher que la production des médicaments, laissant des populations entières mourir, pour préserver les brevets détenus par des firmes pharmaceutiques ?

Peut-il fermer les yeux sur l’alliance des multinationales de l’agroalimentaire et de la distribution alimentaire qui sont en train d’annihiler le monde agricole ? Les lois récentes visant à interdire aux paysans le droit de copie de ses graines pour l’obliger à acheter les graines brevetées des semenciers est l’exemple le plus flagrant d’un hold-up fait à l’humanité sur ses biens (voir la vidéo interview de Jean Pierre Berlan).

Peut-il accepter que les peines de prison pour des copies illégales de fichiers soient punies plus sévèrement que des agressions physiques ? L’auteur doit choisir quel héritage civilisateur il veut léguer ? Celle du partage de la connaissance ou de sa privatisation ?

La constitution du droit de la propriété intellectuelle amalgamant les droits des brevets, des marques, des droits d’auteurs etc. ont enfermé l’auteur dans un imaginaire qu’il se doit de défaire. La révolution numérique a profondément changé les paradigmes de nos sociétés, l’auteur peut y inventer des imaginaires préservant cet équilibre entre les droits du public et les droits d’auteur.

Il appartient à l’auteur d’incarner avec passion son rôle « d’inventeur », en invitant l’humanité dans un monde où la création et le partage de la connaissance sont possibles. Certains diront que cette proposition d’un nouvel imaginaire du partage de l’art, est peut-être incarné par les artistes ayant fait le choix du Copyleft en utilisant la licence Art Libre ?

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Cet article est repris du site http://linuxfr.org/news/droit-d-aut...

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