“En 1976, j’ai découvert le virus Ebola. Maintenant, je crains une tragédie inimaginable”

, par  Fanny Hubert , popularité : 2%
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A Monrovia (Liberia), des infirmiers priant avant d’entamer leur journée de travail. (Christopher Black/OMS/Handout/ Reuters)

C’est en 1976 qu’un pilote de la Sabena Airlines apporte aux chercheurs d’un laboratoire d’Anvers l’échantillon du sang d’une religieuse belge tombée malade à Yambuku, petit village du Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo(RDC). Peter Piot est l’un de ces chercheurs. Il raconte la découverte d’Ebola dans une interview au Guardian. A cette époque, son équipe est chargée de vérifier si le virus qu’a contracté la nonne est celui de la fièvre jaune. Les chercheurs se mettent au travail sans protection particulière, juste des blouses blanches et des gants. Il n’y avait pas encore de laboratoire hautement sécurisé en Belgique à cette date.

Un virus pas comme les autres

Les chercheurs se rendent vite compte qu’ils n’ont pas affaire à un virus connu. Les tests de la fièvre jaune, de la typhoïde et de la fièvre de Lassa (fièvre hémorragique) se révèlent tous négatifs. Pour en savoir plus, les chercheurs injectent le virus à des souris. Au début, aucune réaction puis les rongeurs meurent les uns après les autres. Le virus s’avère plus dangereux que ce qu’ils pensaient.

Pendant leurs recherches, la nonne décède. Les chercheurs reçoivent d’autres échantillons de son sang. L’OMS leur demande de les envoyer dans un autre laboratoire hautement sécurisé en Angleterre. Mais le chef de Peter Piot veut aller jusqu’au bout et découvrir quel est ce mystérieux virus. Au moment de l’examiner, ses mains tremblent et la fiole qui le contient se brise sur les chaussures d’un chercheur. L’équipe se désinfecte soigneusement et heureusement personne n’est contaminé.

Une image du virus est créée. Il est “très gros, très long et ressemble à un ver”. Le virus fait penser à celui de Marburg, très dangereux, causant des fièvres hémorragiques qui ont tué plusieurs chercheurs en Allemagne. Mais il ne s’agit pas de ce virus et les chercheurs apprennent que des centaines de personnes en Afrique ont déjà succombé au futur Ebola.

“Bien sûr, il était évident que nous avions affaire à l’une des maladies infectieuses les plus mortelles que le monde ait jamais vues, et nous ne savions pas qu’elle était transmise par les fluides corporels !”, raconte au Guardian Peter Piot.

Le laboratoire d’Anvers organise une mission à Yambuku. Peter Piot, alors âgé de 27 ans, se rend au Zaïre. Il raconte s’être protégé comme il le pouvait en utilisant des lunettes de protection de motard, une combinaison et des gants en latex. Les patients sont autant étonnés de son apparence que de leur souffrance. Au cours de la mission, Piot développe des symptômes du virus : diarrhée, maux de tête et forte fièvre. Mais il ne s’agit finalement que d’une banale gastro-entérite.

Le baptème d’Ebola

Un soir, Peter Piot et son équipe sont réunis. Il leur faut trouver un nom pour le virus. Le chef de l’équipe suggère lui donner celui de la rivière la plus proche, qui s’appelle Ebola. Mais la carte n’était pas tout à fait exacte et les chercheurs réalisent après que ce n’était pas la rivière la plus proche. Mais selon Piot, “Ebola est un nom sympa, n’est-ce pas ?”

Après avoir baptisé le virus, les chercheurs se rendent compte que les religieuses belges ont participé à sa propagation en pratiquant des injections de vitamines à des femmes enceintes à l’aide des seringues non stérilisées. C’est comme cela que de nombreuses femmes se sont retrouvées infectées. Les cliniques qui n’ont pas suivi les règles d’hygiène ont également aggravé le développement de l’infection : “Dans l’épidémie actuelle d’Ebola en Afrique de l’Ouest, les hôpitaux ont également participé à la contamination”. Piot ne pensait pas qu’Ebola puisse revenir de façon aussi meurtrière. Les épidémies restaient surtout locales. C’est en juin qu’il a compris que cet épisode était différent des autres.

L’OMS a mis du temps à réagir car, selon Piot, leur bureau en Afrique n’a pas les employés les mieux formés et l’organisation a subi de sévères coupes budgétaires. La procédure standard en cas d’Ebola, isoler les malades et vérifier scrupuleusement ceux qui ont été en contact avec eux, n’a pas été immédiatement appliquée. Les pays touchés sortent de longues guerres civiles qui avaient fait fuir les médecins et le système de santé est plus que défaillant : “Au Liberia, par exemple, il n’y avait que 51 docteurs en 2010 et la plupart d’entre eux sont morts depuis à cause du virus.”

Une catastrophe humanitaire

“Il faut que cela soit clair pour tout le monde : Ce n’est plus une épidémie. C’est une catastrophe humanitaire”, raconte Peter Piot.

Dans l’interview au Guardian, Peter Piot se montre très inquiet surtout si le virus touche de grandes métropoles. Il invite l’Allemagne et la Belgique à faire beaucoup plus d’efforts. Selon lui, il faut tout essayer, tenter de nouvelles stratégies continuellement et surtout apprendre à la population à se protéger. Parmi certaines mesures, la Sierra Leone a par exemple imposé un couvre-feu de trois jours pour endiguer la contamination. Des médicaments sont testés mais ils arriveront sûrement trop tard pour ceux déjà touchés. Il faut donc continuer à chercher des solutions.

Pour Piot, si le virus arrivait en Europe ou en Amérique du Nord, il n’aurait pas vraiment le temps de se répandre. Il est plus alarmé par la situation en Afrique, qui ne dispose pas des mêmes conditions pour soigner en respectant les règles d’hygiène. Le virus est en train de muter et pourrait se répandre plus vite mais la manière dont il va se transformer n’est encore qu’une hypothèse. Peter Piot pense qu’il est très improbable que le virus puisse dans l’avenir se répandre via l’air mais il n’exclut aucune possibilité.

En conclusion de l’interview, Peter Piot rappelle qu’Ebola n’est pas le seul virus à persister et à causer autant de dégâts. Le sida est toujours bien présent, et de plus en plus de bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques. L’impuissance face aux maladies de ce genre invite Piot à vouloir se battre encore plus : “J’aime la vie. C’est pourquoi je fais tout ce que je peux pour convaincre les puissants de ce monde à envoyer suffisamment d’aide en Afrique de l’Ouest. Maintenant !”

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2014/10/0...

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