Entretien avec Quentin Tarantino : “Django Unchained est un récit d’aventure féroce avec des passages marrants.”

, par  Olivier Joyard , popularité : 2%

Quentin Tarantino à New York le 17 décembre 2012 (REUTERS/Carlo Allegri)

Quentin Tarantino à New York le 17 décembre 2012 (REUTERS/Carlo Allegri)

Comment est né Django Unchained ?

Quentin Tarantino – J’ai toujours voulu réaliser un western. C’est un de mes genres préférés. J’aime tous les types de westerns et les westerns-spaghettis me plaisent encore plus que les autres. J’adore leur caractère surréel et opératique, leur brutalité et leur humour désespéré. Je pense en particulier à ceux de Sergio Corbucci. J’avais envie d’aller dans cette direction. Tous les grands réalisateurs de westerns ont développé leur vision personnelle de l’Ouest. Anthony Mann a sa version, Sam Peckinpah a la sienne, chacune est très singulière… Pour moi, l’Ouest vu par Corbucci est le plus fort de tous. Il dépeint un monde sans pitié, gangrené par la violence, tout en restant drôle. Je ne sais pas si Corbucci dirait cela de ses films, mais en tant que critique de cinéma passionné par le sous-texte, c’est ce que j’en ai retiré ! (rires) Je tournais autour du pot depuis un moment, en écrivant les bribes d’un scénario, puis je me suis convaincu de m’y mettre sérieusement. J’ai réfléchi à la meilleure manière de retrouver la touche de Corbucci. J’ai pensé que l’existence d’un homme noir dans le Sud des États-Unis d’avant la guerre de Sécession était une situation parfaite pour l’atmosphère explosive propre au cinéaste. Et pour cause. Si on considère ce qui se passait en Amérique durant l’esclavage, on ne peut jamais être trop brutal car c’est ainsi qu’étaient les choses ! Et puis, je n’avais jamais vu cette question vraiment traitée dans ce type de cinéma. Quelques films se sont intéressés à l’esclavage, assez peu. Réaliser un western, avec les conventions du genre, dans ce territoire fictionnel complètement inédit, me semblait intéressant.

Est-ce un drame ou une comédie ?

Ce n’est pas une comédie. Mais ce que je fais est plutôt drôle, en général (rires). Je dirais que Django Unchained est un récit d’aventure féroce avec des passages marrants. À Cannes, quand Inglourious Basterds a été sélectionné, les gens pensaient que j’avais réalisé mon film de guerre sérieux. C’était le cas, mais une part de comédie s’était glissée à l’intérieur. Le public se demandait quoi faire avec ce film si différent sur la Seconde Guerre mondiale. Django Unchained navigue sur la même ligne de flottaison incertaine.

Au coeur du film, il y a une histoire d’amour et de vengeance, un thème récurrent chez vous.

Django est un esclave qui se venge du mal qui lui a été fait, c’est vrai. Ce n’est pas anodin. Cela peut procurer un certain plaisir au public de voir un esclave saisir un fouet face à son maître. Bien introduit, cela peut même se révéler cathartique, voir orgasmique. Mais la vengeance n’est pas le plus important à mes yeux. Django Unchained raconte d’abord l’histoire d’un personnage qui entame un voyage pour devenir un homme, un héros, et sauver celle qu’il aime. S’il se foutait de sa femme, une fois libéré de ses chaînes, il aurait mené la vie la plus tranquille possible. Mais il choisit plutôt d’aller se confronter au diable.

Django Unchained repose, comme tous vos films, sur de longues scènes dialoguées. Comment travaillez-vous vos scénarios ?

Les premières versions de mes scénarios sont écrites sur des impulsions. Elles ressemblent à des oeuvres à tendance littéraire un peu trop fouillées pour n’importe quels films, y compris les miens. Sur le plateau, je passe mon temps à raboter, préciser, ajouter. Au départ, il y a trop de pages, et finalement tout rentre dans l’ordre. C’est un peu comme si j’essayais tous les jours de transformer un roman en film.

Quelles sont vos relations avec Harvey Weinstein, votre producteur ? Des rumeurs circulent selon lesquelles il vous avait demandé de réduire Inglourious Basterds…

C’est complètement faux ! Harvey est important pour mes films, mais son intervention ne consiste vraiment pas à s’assoir en salle de montage pour exiger des coupes. Il y a plein de choses sur lesquelles je suis en désaccord avec Harvey. Il lui arrive de bloquer sur des détails dont tout le monde se fout. Mais je pense que de tous ses pairs, il est le producteur qui a le meilleur goût. J’ai confiance en ce qu’il dit sur mes films, son avis m’importe. J’ai envie qu’il soit content. Quand Harvey est content, tout le monde est content !

Parlez-nous du choix des acteurs, notamment Jamie Foxx…

J’ai rencontré plusieurs acteurs noirs importants et j’étais prêt à les mettre en concurrence. Mais quand j’ai croisé la route de Jamie Foxx, j’ai su assez vite que j’avais trouvé le bon. Non seulement Jamie a compris ce que je voulais faire de ce personnage d’esclave qui se transforme, mais en plus, il avait assez d’expériences personnelles à partager, car il vient du Texas. Et c’est un cow-boy, un vrai. Il possède son propre cheval, qu’il a pu monter dans le film. Je pouvais l’imaginer dans un western, avec son chapeau, son canasson, sans que cela ne fasse rétro ou “cool”.

Et DiCaprio ?

S’agissant de Leo DiCaprio, le personnage qu’il incarne, un patron de plantation, devait être beaucoup plus âgé. Mais Leonardo m’a contacté parce qu’il avait lu le scénario et voulait jouer ce personnage. Je suis allé chez lui, nous sommes voisins. Il avait à la fois envie de travailler avec moi et de participer à un film qui évoque l’esclavage, sujet toujours brûlant en Amérique. J’ai reformaté le rôle tout en restant fidèle à ce qui m’intéressait concernant ces propriétaires de plantations esclavagistes. En fait, ils se prenaient pour des aristos européens. Ils avaient cette image en tête et l’adaptaient un peu n’importe comment à la réalité du Sud des États-Unis. Certaines plantations atteignaient quarante kilomètres de long et leurs propriétaires étaient en quelque sorte des rois, régnant sur une terre et sur des sujets. En voyant Leo, j’ai tout de suite pensé à Louis XIV, qui a accédé au trône de France très jeune. J’ai fait de lui un genre de roi qui a hérité d’une tradition familiale et s’ennuie tellement qu’il ne pense qu’au plaisir.

Après Inglourious Basterds, qui évoquait le nazisme, Django Unchained parle de l’esclavage. Il s’agit du deuxième film consécutif que vous réalisez sur un sujet historique majeur…

C’est vrai, je deviens peut-être un cinéaste à grands sujets ! Mais il y a aussi une autre manière de voir mon parcours : on peut l’envisager comme un chemin à travers les genres cinématographiques. J’ai fait un film de guerre, maintenant je réalise un western. Mais c’est vrai, avec ces sujets, je dois développer un regard plus dense que si je réalisais des films plus contemporains. Cela concerne aussi les conditions de tournage. Django Unchained est le film que j’ai réalisé qui contient le plus de décors naturels. Il faut s’adapter en permanence pour trouver la bonne lumière. Franchement, ce serait sympa pour moi de refaire un film où les personnages peuvent prendre leur bagnole et mettre la radio (rires) !

Déjà une idée pour votre prochain film ?

Une vague idée. Un film plus “petit” que Django Unchained, dans la veine de Jackie Brown.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/0...

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