Hitchcock ou l’invention du film d’horreur

, par  Romain Blondeau , popularité : 2%

"Psychose" d’Alfred Hitchcock

Toutes ces femmes innocentes massacrées sous leur douche ? C’est Hitchcock. Les psychopathes masqués, gantés, sexuellement détraqués décimant leur proie à l’arme blanche ? Hitchcock. Les bêtes géantes et les monstres sousmarins, requins, Kraken, piranhas qui menacent l’espèce humaine ? Encore Hitchcock. On pourrait ainsi décliner à l’infini les figures du cinéma d’horreur inspirées par l’auteur britannique – qui n’a pourtant réalisé que deux films directement liés au genre –, recenser toutes les citations de son oeuvre dans la production bis, mais on ne trouverait rien de plus juste pour signifier son influence que la prophétie de la critique du New York Daily News, Wanda Hale, qui écrivait en 1960 à propos de Psychose : “L’épouvante va désormais changer de visage.”

Norman Bates, un serial killer trop humain

Lorsque ce film adapté d’un roman de Robert Bloch sort aux États-Unis en 1960, les industries prospères du bis américain (dominées par les studios RKO et Universal) sont encore sous l’emprise des vieilles mythologies de la littérature gothique, ces folklores forains et monstres fantastiques que Psychose va brusquement frapper d’obsolescence. En s’inspirant du tueur en série Ed Gein* pour son personnage de Norman Bates, Hitchcock dépoussiérait le genre et inventait, plus de trente ans après son “Vengeur” des Cheveux d’or (The Lodger, 1927) et M le maudit de Fritz Lang (1931), l’un des premiers serial killers de l’histoire du cinéma : non plus un monstre imaginaire tel que les Frankenstein ou Dracula de l’époque, mais un homme doté d’affects et de désirs réprimés. Un homme double, mû par des pulsions qui le poussent à assassiner des femmes au comportement sexuel transgressif, et dont le modus operandi et le profil psychologique allaient profondément marquer le cinéma d’horreur (du Maniac de William Lustig au tueur de La Dernière Séance de Laurent Achard).

Le boogeyman (“croquemitaine”) était donc né, et avec lui un genre, le slasher, dont Psychose imposa le style et l’ensemble des codes : une progression inspirée des whodunit, une fin ouverte et un récit articulé autour de climax horrifiques (une scène de douche, un meurtre dans les escaliers), ces suspensions du temps narratif distinguées par leur propre montage et leur propre musique (les stridences de Bernard Herrmann), censées provoquer l’effroi et infuser le reste du film de leur souvenir macabre.

De ces climax à la fin ouverte, du serial killer à la scream queen, tout était donc déjà là en germe pour inaugurer un renouveau du cinéma d’horreur, jusque dans la campagne de marketing agressive de la Paramount qui accompagnait la sortie du film (“Personne, absolument personne ne sera admis dans le cinéma après le début d’une séance de Psychose” prévenaient des affiches publicitaires pour conserver l’effet de mystère). Mais à l’exception d’une tentative isolée de Francis Ford Coppola en 1963 (Dementia 13), il faudra attendre encore un peu pour que l’industrie du bis américain ne prenne la pleine mesure de la révolution Psychose, dont les premiers échos se firent sentir loin d’Hollywood, en Italie.

La vogue du slasher

Là où Mario Bava inaugurait un autre sous-genre de l’horreur moderne, le giallo, né sous les influences des romans policiers, de l’opéra, du Grand-Guignol et, donc, d’Alfred Hitchcock (l’acte fondateur du mouvement est La fille qui en savait trop de Bava en 1963). En développant leur propre style, sanglant, lyrique et baroque, les gialli vont ainsi appliquer le modèle de slasher de Psychose à leur propre imagerie et piocher librement dans la grammaire de son auteur quelques figures clés : le tueur aux troubles sexuels de Six Femmes pour l’assassin de Bava, l’exploitation d’un MacGuffin dans Le Chat à neuf queues plus toute une série de visions mentales chez Dario Argento (baptisé l’Hitchcock italien).

Aux États-Unis, il faudra attendre 1978 pour qu’un jeune réalisateur érudit décide de prendre la suite de Psychose (tout en enregistrant les mutations d’une décennie de giallo) : ce sera Halloween, la nuit des masques de John Carpenter, celui par qui le slasher devint un phénomène commercial. Précédant les travaux de Brian De Palma, il se livrait à une relecture romantique de son modèle (jusqu’à offrir le premier rôle à la fille de Janet Leigh, Jamie Lee Curtis), dont il simplifiait et purifiait le concept dans un geste quasi expérimental : une succession violente de climax déliée de tout alibi narratif, où le tueur n’avait plus aucune motivation psychologique. De cette forme de slasher minimale, facilement reproductible allaient naître des déclinaisons passionnantes (Vendredi 13, Les Griffes de la nuit, Alien, le huitième passager, plus tard le reboot Scream), mais aussi d’innombrables suites et franchises Z comme autant d’avatars dévoyés de Psychose. Ce qui était alors en 1960 une révolution culturelle et l’acte de naissance d’un cinéma d’horreur moderne devint au fil du temps une pure formule d’exploitation, déclinée par des studios en manque de nouveaux concepts.

La revanche de la nature

Mais Hitchcock ne marqua pas que le slasher de son empreinte indélébile : il contribua aussi deux ans après Psychose à renouveler un autre sous-genre du cinéma d’horreur, à la postérité encore moins noble, le film de monstres terrestres ou de “revanche de la nature”. Un sous-genre quelque peu confidentiel, qui avait connu son heure de gloire en plein âge atomique (Des monstres attaquent la ville, Tarantula…) et dont Hitchcock allait réinventer les codes avec Les Oiseaux en 1963. Adapté d’un roman de Daphné Du Maurier, le film avait ceci d’inédit qu’il dépouillait son histoire d’invasion de tout contexte rationnel ou fantastique, refusant de livrer la moindre information sur la revanche de la nature qu’il orchestrait. L’horreur, suspendue en toute fin par une conclusion amère, n’était plus alors qu’une manifestation étrangère de dérèglements intimes (en l’occurrence sexuels) vue à travers les yeux du personnage glacial de Tippi Hedren.

Mais à l’exception notable des Dents de la mer de Spielberg (qui empruntait au film d’Hitchcock la même mécanique progressive de l’angoisse et les mêmes échos entre l’intériorité de personnages ambivalents et la catastrophe), ce ne sont que les exploits technologiques et le spectaculaire des Oiseaux que retinrent les studios bis, qui n’allaient pas tarder à piller la formule. Version abeilles (Essaim mortel), fourmis (L’Empire des fourmis géantes), rats (Willard) ou lapins (Les Rongeurs de l’apocalypse), ce sont des dizaines d’invasions monstrueuses dégénérées qui polluaient les écrans des années 1970. Hitchcock ne retoucha plus jamais à l’horreur.

Romain Blondeau

Article extrait de notre hors série Hitchcock vu d’aujourd’hui, disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne.

couvhitchcock

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/02/1...

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