Inauguration du nouvel auditorium de Radio France : une soirée musicale et politique

, par  Jean-Marie Durand , popularité : 2%
JPEG

(Photo : Jean-Marie Durand)

Loin des Parquets Courts et des Palma Violets qui chantaient et dansaient à la Cigale, une autre scène se jouait à la même heure dans Paris : l’inauguration du nouvel auditorium de la Maison de la Radio. Un autre événement culturel de poids pour la capitale. Autre enjeu, autre ambiance, autres gens, autre excitation. Quoique… La ministre de la Culture Fleur Pellerin, aperçue au concert de Damon Albarn mercredi soir au Casino, était aussi présente hier soir au premier rang, tout aussi attentive aux magistrales directions des deux ensembles – celui de l’Orchestre national de France, dirigé par Daniele Gatti et l’Orchestre Philarmonique de Radio France dirigé par le délicat Myung-Whun Chung – qu’aux éclats de la brit pop de l’ex-chanteur de Blur. La ministre tapa simplement moins dans ses mains hier soir. Mais intérieurement, elle vibra probablement autant, à l’unisson de la salle, saisie par la beauté du lieu et par la magie des deux concerts.

Architecture monumentale et intime

Le programme était alléchant : Henri Dutilleux, Richard Wagner, Richard Strauss, Mozart, Serge Prokofiev (incroyable Roméo et Juliette) et surtout Maurice Ravel, convoqué deux fois : Gatti s’attaqua à son Boléro, magnifiquement interprété (respect au percussionniste solo qui répète 169 fois le célèbre ostinato sur sa caisse claire !), et Chung orchestra avec une maîtrise subtile un Daphnis et Chloé bouleversant.

L’architecture de l’auditorium, à la fois monumentale et intime, semblait conçue pour accueillir Maurice Ravel. Compacte, la salle offre un écrin idéal à la musique. Conçue par “Architecture Studio”, la salle, au centre de laquelle se situe la scène, a une capacité de 1461 places. Construite en bois (bouleau, hêtre), haute de 19 mètres, elle permet au public de se retrouver au plus près de l’orchestre.

JPEG

Les spectateurs enveloppent presque les musiciens par la disposition des balcons fragmentés en corbeilles distinctes, qui entourent la scène. Voir quasiment de face les micro-mouvements de Myung-Whun Chung en train de diriger son orchestre est une expérience qui densifie l’écoute, qui la conduit vers d’autres horizons sensibles. Comme si l’observer sous cet angle frontal permettait de mieux mesurer le lien secret qu’il édifie avec ses musiciens.

Une transe absolue mais policée

L’acoustique, confiée au studio japonais Nagata Acoustics, a été pensée et travaillée pour cultiver cet effet de proximité et cette chaleur sonore. Le plancher de bois, très souple, peut par exemple vibrer sous l’action des violoncelles et contrebasses. On le sentait dans la salle. Qu’est-ce qu’ils ont vibré hier soir les violoncelles ! Et les flûtes, les clarinettes, les cors, les hautbois, les trompettes, les timbales, qui de Ravel à Prokoviev emportèrent la salle dans une transe absolue mais policée ! Une transe, dont les codes de la musique classique invitent évidemment à neutraliser les effets extérieurs. Chacun, du premier ministre Manuel Valls, en forme apparente (à quoi pensait-il à l’écoute de Tannhaüser de Wagner ?) à Fleur Pellerin, doit intérioriser (comme en politique) les traces de ses affects. Il faut savoir les dissimuler dans les tréfonds de sa conscience secrète, même quand elle est extatique.

JPEG

On devinait d’ailleurs le plaisir feint de toutes les personnalités publiques qui s’étaient déplacées pour l’occasion. Le paysage des invités se distinguait sensiblement de ceux qui quinze jours plus tôt étaient venus fêter les 30 ans de Canal + au Palais de Tokyo. L’inauguration de l’auditorium de la Maison de la Radio restait marquée du sceau de “l’esprit public”, de la haute fonction publique élevée au goût de la distinction : la présence de ces serviteurs de l’Etat et des acteurs des politiques culturelles des trente dernières années formait en tout cas le symptôme de l’importance de l’événement.

Un paysage saisissant de la noblesse d’Etat du champ culturel

Quatre ex-ministres de la Culture – Jack Lang, Jacques Toubon, Renaud Donnedieu de Vabres, Frédéric Mitterrand – se retrouvaient assis au même rang. Mitterrand et Lang semblaient s’ignorer, préférant parler avec ceux qui les entouraient : d’autres ministres comme Najat Vallaud-Belkacem ou Harlem Désir, la maire de Paris, Anne Hidalgo, son maire-adjoint chargé de la culture Bruno Julliard, le président du CSA Olivier Schrameck, discutant avec tout le monde, sauf avec Rémy Pflimlin, patron de France Télévision, assis quinze sièges plus loin au même rang (mais pas sur la même position), Elisabeth Guigou, assise à côté de Pierre Joxe, grand avocat de la musique autant que des libertés publiques, le sénateur David Assouline… ; d’ex-patrons de Radio France, comme Jean-Luc Hees, collé à son éternel ami Philippe Val, Michel Boyon, des grands commis de l’Etat culturel comme Jean-Noël Jeanneney ou Jérôme Clément… formaient ce soir-là, par leur rassemblement circonstancié, un paysage saisissant de la noblesse d’Etat du champ culturel.

Le premier ministre Manuel Valls, accompagné de Madame, aux anges à l’écoute des sanglots longs des violons de l’automne de l’auditorium naissant, semblait écouter attentivement le concert, assis à côté du jeune patron de Radio France Mathieu Gallet, fier de recevoir autant de beau monde que d’exposer enfin l’antre nouveau des mélomanes parisiens, en attendant l’inauguration dans quelques mois de la Philarmonie de Paris.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2014/11/1...

Publications Derniers articles publiés

Sites favoris Tous les sites

84 sites référencés dans ce secteur