Kathryn Bigelow : “Zero Dark Thirty est une fiction”

, par  Jacky Goldberg , popularité : 2%

Kathryn Bigelow pendant le tournage de "Zero Dark Thirty"

Depuis vingt-cinq ans, Kathryn Bigelow a beaucoup vagabondé dans le paysage hollywoodien. Forte d’une image arty (critique de cinéma, plasticienne, élève de Susan Sontag), elle a imposé son style, tout en froideur conceptuelle, à des genres aussi divers que le film de vampire (Aux frontières de l’aube), le film de surf sexy (Point Break), la SF sophistiquée (le très beau Strange Days). Un peu égarée dans les années 2000, le succès de Démineurs la catapulte en 2009 au premier plan et l’Académie des oscars lui offre même la satisfaction de souffler les principales statuettes à l’Avatar de son ex, James Cameron. Habituée à changer de registre à chaque film, Bigelow ajoute pourtant un second volet à son étude des activités militaires américaines au Moyen-Orient. Mais à l’excellent accueil de Démineurs succèdent de vives attaques, issues de tous les camps politiques US. La cinéaste répond.

Votre personnage principal, Maya, a très peu de background psychologique. Nous ne connaissons ni son passé, ni sa famille, ni ses motivations. Elle est une pure abstraction. Pourquoi ce choix ?

Kathryn Bigelow - Le film est sur la traque en elle-même et sur les gens qui la conduisent – pas sur eux en tant que personnes, mais sur leurs sacrifices et leur dévouement. On en apprend sur quelqu’un autant par ses actions que par ses paroles, par la façon dont il les énonce. À la fin du film, je crois qu’on a une idée assez précise de qui est Maya.

Était-il envisageable pour vous de raconter cette histoire d’un autre point de vue que celui d’une femme ? Et ce personnage, Maya, est-il proche de la personne dont elle s’inspire ou avez-vous dû la façonner selon vos propres critères fictionnels ?

Je dois reconnaître que si le personnage central avait été un homme, j’aurais eu tout aussi envie de raconter cette histoire. Ce qui importait à mes yeux était d’avoir un personnage très fort, pas d’entrer dans des considérations de genre. Maya n’est pas définie par un homme. Elle n’est pas définie par une relation sentimentale. Elle est définie par ses actions.

Comment avez-vous relevé le défi d’écrire sans recul historique, pratiquement en direct ?

Mark Boal, qui est au départ un journaliste d’investigation, a écrit le scénario. Il a toujours fait état de situations qui se déroulaient à mesure qu’il les décrivait, comme celle qui lui a servi de base pour Démineurs. Ce qui est intéressant avec l’histoire de Zero Dark Thirty, c’est précisément qu’elle se révélait, lentement, alors qu’on l’écrivait. À moins de réaliser un documentaire, à un moment ou à un autre, vous allez devoir changer votre casquette de journaliste pour celle d’écrivain, du moins si vous voulez que votre film tienne la route. Et c’est ce qu’on a fait : Zero Dark Thirty est une fiction. Quand vous détaillez une traque de dix ans et comprimez tout ça dans un film de deux heures et quelques, vous vous efforcez de raconter votre histoire aussi honnêtement que possible, avec l’espoir qu’il passera l’épreuve du temps.

La grande scène d’action finale est l’une des plus abstraites, sombres et terrifiantes que l’on ait vues récemment. Comment l’avez-vous conçue ?

Il était très important pour moi, et ce dès le script, de donner aux spectateurs le sentiment d’être présents, d’être là au moment où tout ceci se déroulait. Autrement dit, il s’agissait de dévoiler petit à petit les enjeux de la traque, comme un rideau que l’on ouvre tout doucement, afin de donner au spectateur une idée de ce que c’est que de chercher une aiguille dans une botte de foin. Comme si vous y étiez. Et l’immersion se devait d’être particulièrement forte lors du raid. Avec un maximum de caméras subjectives, très peu de lumière, et une impression de promiscuité dans l’hélicoptère… Afin que l’on se sente vraiment dans la peau d’un soldat.

Durant l’assaut, il n’y a aucun contrechamp, aucun point de vue des assaillis, uniquement des assaillants. C’est un choix très fort et très significatif.

Tout le film adopte le point de vue de ceux qui conduisent la traque, qu’ils soient dans un bureau à Washington ou dans un avant-poste au Moyen-Orient. Il en va logiquement de même pour ceux qui conduisent le raid. Notre intention était donc depuis le début de montrer l’action, ainsi que la procédure qui l’a précédée, exactement comme elles se sont déroulées.

Le fait d’avoir reçu l’oscar de meilleure réalisatrice pour Démineurs change-t-il quelque chose pour vous, et dans la façon dont les gens au sein de l’industrie vous traitent ?

Gagner cet oscar fut incroyablement gratifiant. Ça m’a ouvert des portes qui peut-être seraient restées fermées autrement. C’est un cadeau magnifique mais aussi une expérience de l’humilité. Car en fin de compte, il faut toujours avoir envie de s’intéresser à la matière qu’on a devant soi, disponible, et aucune récompense ne peut y changer quoi que ce soit.

Il y a un an, les républicains vous accusaient de vouloir faire de la propagande électorale pour Barack Obama. Désormais, c’est surtout le camp démocrate que le film semble gêner. Le regard sur Obama est plutôt critique, par exemple lorsqu’on aperçoit des agents de la CIA se lamentant devant un discours de ce dernier. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces débats ?

Je ne suis pas d’accord : Barack Obama n’est pas spécialement critiqué. Pas plus que n’importe quel politicien. Le point de vue contenu dans le film est celui des agents qui mènent la traque. Quant à ces débats, ils durent depuis un certain temps, et continueraient même si le film n’existait pas.

La neutralité est-elle possible face à un sujet comme la torture ? Comment avez-vous résolu le problème moral lié au fait de montrer des images de torture parfois très violentes ?

L’idée était d’immerger complètement les spectateurs dans cette ambiance, pas de lancer un débat politique. Était-ce difficile à filmer ? Oui. Est-ce que j’aurais préféré que la torture ne fasse pas partie de cette histoire ? Oui. Mais ce n’est pas le cas.

Pourquoi ne pas montrer le visage de Ben Laden à la fin ?

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/01/2...

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