Katsuni rencontre Orelsan : « Le porno est une forme d’art »

, par  Katsuni , popularité : 2%

Je me suis intéressée aux chansons d’Orelsan il y a quelques mois seulement. Interpellée par la violence de certains textes, je suis d’abord restée perplexe. C’est en écoutant Double vie que je me suis dit : « Jamais je ne pourrais sortir avec quelqu’un qui écrit de telles paroles ! » Au moment où je me fais cette réflexion, je sors alors avec un hardeur dont la notoriété repose pourtant sur la figure du mâle dominant, tout puissant, celui qui n’appartient à aucune, mais prend possession de toutes. Je suis moi-même actrice porno, mon métier consiste à jouer le plaisir à travers la performance sexuelle, à travers aussi, souvent, une autre forme de violence même si celle-ci est consentie. Je réalise soudain tout le paradoxe de mon jugement. Je viens de moralement condamner un homme pour l’image qu’il donne à travers ses textes, alors que je suis moi-même jugée pour celle que je renvoie dans mes films. Il n’en faut pas plus pour piquer ma curiosité. Je veux savoir qui se cache derrière les paroles trash. Quel est l’homme que les féministes traquent, que les Victoires de la Musique récompensent. Orelsan est-il un macho, un provocateur, un simple agitateur ?

Le rock, le rap et la pornographie ont cette particularité d’être (initialement) des mouvements artistiques contestataires nés de la frustration, de la colère, du désir de dire ou montrer les choses sans concession, de bousculer une société étriquée, embourbée dans un système de tabous et de non-dits. Mais le succès a lui aussi ses vices, et une démarche au départ engagée peut à son tour se retrouver piégée dans une spirale où l’art devient industrie, où il faut vendre quitte à ne plus « dire », où il faut surenchérir pour mieux marketer. Être un artiste à part entière exige une rare qualité : être intègre. Et la véritable provocation à mon sens ne consiste pas à tant à choquer, mais surtout à éveiller les consciences. C’est avec cette réflexion que j’ai décidé de rencontrer le chanteur-compositeur Orelsan.

Tu as développé une image trash au travers des paroles de tes chansons mais le second degré semble flagrant quand on écoute l’ensemble de tes albums. Au final, que veux-tu qu’on retienne de ta musique ?

Pour moi, le message, ça serait sans doute de la modération, prendre du recul, se permettre d’aller dans l’extrême pour ensuite aller dans l’autre sens. Ce n’est pas parce que j’écris Suicide social que je le pense. Je parle de clichés. C’est partir dans l’extrême pour mieux montrer les tares.

Ça me rappelle les films Tueurs nés. A l’époque, je voyais mon entourage s’enthousiasmer en disant que ce film était génial car ultra-violent mais j’y voyais au contraire, au-delà du divertissement, une dénonciation de la violence montrée comme systématique et grotesque.

Exactement, c’est comme Scarface, Tony il est relou, c’est pas un mec cool ! Dans Sale pute, c’est pareil. Je veux montrer qu’avec l’alcool et la jalousie tu peux te transformer en monstre et être extrêmement ridicule. Je déteste qu’on dise que c’est une attitude de misogyne. Le vrai problème, c’est d’être un connard !

Oui mais en disant « je » tu te mets en danger. On peut penser que tu encourages au lieu de dénoncer. Tu prends le risque que le « je » du personnage du « connard » comme tu dis, se confonde avec toi en tant qu’artiste, mais aussi en tant qu’homme.

J’utilise le « je » parce que c’est la manière la plus crédible de mettre en scène. Et j’aime bien cette limite qui pousse à se poser des questions. Je cherche à choquer, oui, mais pour provoquer des émotions. Et il faut aussi bien contextualiser les choses. Quand j’ai écrit Double vie par exemple, j’ai consulté ma petite amie. J’avais commencé à écrire cette chanson avant qu’on se rencontre ; et si j’utilise mon expérience personnelle, je parle aussi de ce que je vois autour de moi. Mais en fait il n’y a pas tant de personnes qui prennent les choses au pied de la lettre. Si on devait toujours tout expliquer, ça niquerait l’art : « Oui attention, je vais être méchant ». Après, en interview, ce n’est pas pareil.

Comment vis-tu les attaques violentes de certaines féministes depuis ta chanson Sale pute ? On rappelle que tu es actuellement en procès d’ailleurs.

Oui, j’ai deux procès en cours : un avec Ni putes, ni soumises pour « provocation au meurtre des femmes » et le deuxième avec plusieurs associations pour « insultes publiques » lors d’un concert. Vis-à-vis des féministes, le combat qu’elles mènent est un bon combat mais elles se trompent de cible. Je parle de sujets qui ont toujours existé : ici c’est l’infidélité. On me répond qu’en faisant ça je n’améliore rien. Sauf que ce n’est pas mon rôle. Je pense que ça permet quand même de contribuer à améliorer les choses parce qu’on en parle et il vaut mieux en parler. Les refouler c’est pire que tout.

Si comme tu le dis tu n’es pas là pour améliorer les choses, comment définis-tu ton rôle ?

Mon rôle est de divertir, de créer des émotions. C’est aussi pour ça que j’ai toujours refusé de parler politique. C’est là où on retrouve le pont avec le porno, c’est la même chose.

« J’aime voir l’amour dans les yeux d’une fille avant que mes spermatozoïdes cherchent à féconder sa pupille. » J’avoue avoir ri et avoir eu un peu honte d’avoir ri parce qu’à ce moment-là je me dis : « C’est mal mais c’est tellement abusé, c’est drôle ». User d’un humour subversif donne de l’impact à tes chansons. C’est aussi ta signature.

Bien sûr et la ligne est fine entre le mauvais goût et l’humour. Personne n’est juge du bon goût. Par exemple j’essaie d’expliquer aux gens plus âgés qu’il peut y avoir des balles dans la tête trop marrantes. Dans C’est arrivé près de chez vous par exemple la scène de viol est horrible mais c’est marrant.

On accuse les acteurs/ices porno de donner le mauvais exemple en particulier aux ados alors qu’au départ les films X sont excitants justement parce qu’ils mettent en scène des fantasmes, touchent des tabous et sont destinés à un public averti. Je ressens la même attaque vis-à-vis de certains artistes et en particulier contre des rappeurs. Toi aussi tu as un public jeune, te sens-tu responsable vis-à-vis des gens qui t’écoutent ?

Oui, je me sens responsable et je fixe mes responsabilités où je veux… La vraie responsabilité, pour moi, c’est l’éducation qui se fait à l’école et par les parents. S’ils veulent interdire mes chansons aux moins de seize ans, ok. C’est comme le porno, il sert de référence pour l’ éducation sexuelle, même si ce n’est pas censé être le cas. Le porno ne contribue pas à la paix dans le monde mais ne fait pas l’inverse non plus. Je me fixe mes propres limites et dans le porno c’est pareil. Le problème vient souvent du problème de communication surtout. Je ne suis pas pour les interdictions.

OK mais imaginons l’ado de quatorze ans fan de toi qui connaît tes chansons par coeur. Il n’y a pas un moment où tu penses qu’il manquera d’expérience pour comprendre le second degré et que le personnage du « connard » que tu peux jouer dans tes chansons puisse devenir un modèle pour lui ? De la même manière que moi, actrice porno, je peux en influencer certains/aines par mes pratiques sexuelles ?

C’est possible, mais c’est prendre les jeunes pour des cons. Moi j’ai toujours regardé des films violents, j’ai regardé Orange mécanique très jeune , c’est pas pour autant que je vais tabasser des clochards. Après il y en a qui sont sensibles, influençables. Mais mettre des mots sur des trucs négatifs ça aide à se comprendre soi-même. Je pense qu’en faisant ça, un ado peut mieux se connaître. Et nos grand-parents interdisaient aussi à nos parents d’écouter du rock.

Considères-tu que le porno a influencé ta sexualité ?

Je ne me rends pas compte, je n’ai pas assez de recul, ça a dû m’influencer un peu. Mais est-ce que c’est grave ?

Comment définis-tu une déviance ; ? Toi-même, te poses-tu des limites dans l’écriture, les thèmes abordés ? A partir de quand est-ce que tu te dis que « c’est trop » ?

Desproges disait : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. » Les limites n’ont pas être fixées dans l’art mais par rapport à ce que chacun peut assumer, et c’est tous les jours. La liberté de création et d’expression ce n’est pas la même chose. Si un mec dit un truc raciste, je ne suis pas d’accord avec lui mais il a quand même le droit. Parce qu’il a le droit d’être un connard. En fait pour faire le truc à fond il faut être en paix avec soi-même. J’aime les mecs écorchés mais je ne veux pas être comme eux. Et c’est comme dans le porno, il n’y a plus de limite une fois que tu commences à assumer. C’est une question d’acceptation de soi.

Par exemple moi je sais que je n’assumerais pas de faire du porno : par rapport à mon éducation, ma famille… après il y aussi la volonté de te battre pour le faire. Il faut aussi avoir la fibre. Est-ce que ça me tenterait de le faire ? Je ne pense pas, honnêtement je ne pense pas pouvoir le faire. Je cogite trop.

Quel est ton rapport au porno aujourd’hui ?

J’ai beaucoup démystifié le porno par rapport à mes dix-sept/dix-huit ans. C’est un peu comme la musique, c’est pas un métier facile. Il y a beaucoup de travail derrière. La page blanche c’est la non-érection. Certains arrivent défoncés sur scène, moi je ne peux pas, j’ai trop de paroles à me rappeler. Ceux qui durent sont ceux qui sont les plus sains.

Que penses-tu de la critique systématique selon laquelle le porno dégrade l’image de la femme ?

Ça dépend de ce que tu regardes ! Et je suis désolé, voir un mec qui crie pendant son éjac et se laisse aller à ses instincts primaires ça me fait marrer, c’est pas forcément valorisant. Certains acteurs arrivent à avoir un peu de classe mais les films de destruction de meufs ça ne m’intéresse pas.

Quand tu parles de ces films très hardcore, est-ce qu’il t’est déjà arrivé de penser qu’ils étaient comparables à tes chansons ? Qu’ils pouvaient jouer eux-aussi sur la surenchère, la caricature ?

Bien sûr. D’ailleurs quand je regarde des films très hardcore avec des potes, on se marre. C’est le comique par l’absurde. On sait que ce ne sont que des films, avec des acteurs, des caméras…

Qu’est-ce qui te choque le plus ?

Pas grand chose. La stupidité dans la vie de tous les jours, les gens mesquins. Dans l’art ? Rien, à part le mauvais goût, la nullité.

Es-tu d’accord avec le fait qu’il faudrait renouveler le porno ?

Carrément. Avant, je regardais les films en entier. Plus maintenant. J’aimais bien les grosses productions comme Private ou Dorcel, avec une recherche esthétique. Moi je cherche des trucs crédibles ou alors il faut que la fille joue vraiment bien. Après, ça dépend de la mise en scène. Je regarde beaucoup de hentaï. J’aime bien qu’on me fasse rêver.

Est-ce qu’on peut évoquer ta vie sentimentale actuelle ? Est-ce que tu t’en inspires directement pour tes chansons ?

J’ai une petite amie depuis plus de trois ans. On en discute, je m’inspire de ce que je vois autour de moi mais j’essaie un peu de la préserver. Mes textes ne sont pas forcément la vérité, c’est de la fiction mais inspirée de choses réelles. J’ai de la chance d’avoir trouvé quelqu’un qui comprenne ça. Je ne pourrais pas être avec une fille qui me pose des questions sur mes textes. Ma copine n’est pas une groupie.

De quel métier rêvais-tu quand tu étais enfant ?

Chanteur. Quand je voyais Michael Jackson ou Freddy Mercury, je rêvais d’être un jour sur scène.

Quelle est la plus grande satisfaction que t’apporte ton métier ?

Quand j’ai fini ma chanson. J’aime aussi quand les gens se reconnaissent dans ce que j’écris, et bien sûr la scène.

Quelle est ta plus grande peur ?

J’ai vu une interview de Dick Rivers une fois qui disait « J’en ai marre de ce perso faussement américain dans lequel je me suis enfermé ». Merde, c’est flippant ! Il ne faut pas s’enfermer dans sa connerie.

Tu n’as pas peur d’arriver un jour à une certaine limite ?

Non, parce que je ne me construis pas en opposition. Il y a toujours une bonne histoire à raconter. Si mon grand-père voulait rapper, ça serait sans doute conservateur mais il aurait peut-être une bonne chanson à raconter ! Je pense que le porno est une forme d’art. A partir du moment où ça communique des émotions on peut dire que c’est de l’art. Sans vouloir jouer jouer les philosophes…

Tu as déjà écrit une histoire d’amour pour ta copine ?

Non ! Mais je suis fan des Beatles, et ils en ont écrit beaucoup. J’aimerais bien en écrire une un jour mais là c’est trop tôt. Je veux faire des trucs crédibles.

Si tu devais choisir une chanson qui te définisse vraiment, ce serait laquelle ?

Aucune et toutes. Il faut écouter tous les albums et lire entre les lignes.

Merci Orelsan. Je continuerai donc de lire entre les lignes. Je pense en effet que rap et porno ont beaucoup d’affinités et sont perçus de manière péjorative pour de bonnes raisons parfois, mais souvent aussi parce que beaucoup oublient que nous proposons un divertissement. Dans les deux cas, nous jonglons avec les clichés, les interdits, alternant un goût pour le trash avec un certain sens de l’humour. Nous pouvons pratiquer notre métier sérieusement sans pour autant nous prendre au sérieux. Si à mon sens beaucoup de films X sont plus des produits de consommations que de véritables œuvres artistiques, je pense en revanche que tout comme une chanson, ils sont respectables pour leur capacité à éveiller des sensations, des émotions et parfois, à un certain degré, des réflexions.

Voir en ligne : http://blogs-tmp.lesinrocks.com/kat...

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