“L’affiche anticommuniste est un marqueur identitaire pour la droite”

, par  David Doucet , popularité : 2%

Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent dans l’histoire graphique des affiches anticommunistes ?

Les dessins ont souvent une certaine fluidité stylistique car les anticommunistes ne pouvaient reprendre le trait « réaliste » devenu typique du graphisme stalinien. Ceci dit il faut se méfier des comparaisons d’affiches : si l’ouvrier est représenté comme une créature prométhéenne aussi bien dans les affiches d’extrême droite que du Parti Communiste Français cela ne signifie nullement une proximité idéologique populiste, mais cela souligne plutôt que le prolétariat constitue alors la base sociologique de l’économie et du corps électoral, et il faut donc intégrer positivement cette donnée. Ce qui traverse le plus les temps et les courants politiques c’est la publicité comparative : il y a tant à manger en Occident par rapport à la situation en URSS, il y a telle liberté en Occident et telle contrainte en Union soviétique, etc.

De l’anarchisme à l’extrême droite radicale, qu’est-ce qui rassemble les anticommunistes du point de vue idéologique et dans leur production iconographique ?

Des décennies durant, l’anti-stalinisme est une question essentielle pour bien des champs politiques. Le « pays du socialisme » offre un modèle de révolution intégrale : économique, politique, culturelle. On ne parle du « totalitarisme » que d’une manière disqualifiante, mais il faut bien voir qu’une telle offre idéologique totale avait une force certaine. Cela implique bien sûr autant de facettes différentes qui peuvent être rejetées pour des raisons divergentes. Ce ne sont pas les mêmes raisons qui font que des libertaires ou des fascistes font une affiche attaquant le PCF, et donc il y a des traditions esthétiques politiques diverses. Néanmoins, l’affiche cherche à parler aux masses. Elle doit donc croiser la tradition esthético-politique propre de son émetteur, et les tendances qui, au moment où elle est faite, peuvent « parler » à celui qui la regarde. Par exemple, dans les réutilisations de la bande dessinée, je pense à une affiche conservatrice de l’entre-deux-guerres qui utilise une forme typique de la bédé franco-belge de l’époque, et à une d’ultra-gauche des années 1970 qui s’inspire de la bédé underground étasunienne. Les segments politiques et esthétiques correspondent (dans le premier cas c’est un récit naïf, dans l’autre un visuel transgressif) tout en renvoyant aux transformations de l’univers iconographique.

Quelle est la spécialité des productions des nationalistes et en particulier celles du FN dans cette lutte graphique ?

L’extrême droite est marquée par l’obsession de la rétorsion de ce qui se fait à gauche, en particulier l’extrême droite radicale. Sur les plans idéologiques et techniques, le fascisme est ainsi en 1919 amplement une volonté d’acclimater dans la droite radicale les leçons du léninisme. Cela se retrouve dans l’univers visuel, et au long cours. Dans les années 1970 les affiches d’extrême droite continuent longtemps à singer le style de celles de la gauche soixante-huitarde. Le Front National a quant à lui hésiter. A cette époque, il adapte souvent des modèles du Movimento Sociale Italiano (MSI), le parti néofasciste italien. Mais, au début des années 1980, sous l’influence de Jean-Pierre Stirbois, il choisit une iconographie beaucoup plus neutre, afin que ses visuels ne puissent plus évoquer l’extrême droite radicale. Finalement, après la chute du Mur, ses documents anti-communistes ne servent plus qu’à évoquer les millions de mort du communisme, afin de tenter de diaboliser l’ensemble des gauches, dans une tentative quelque peu parallèle à ce qui lui est fait par celles-ci, le renvoyant régulièrement à Vichy et au IIIe Reich.

Quels sont les symboles (ou images) fréquemment employés pour diaboliser le Parti communiste ?

Bien longtemps après que le PCF ait appris à ne plus évoquer Staline, les anti-communistes aiment à le dessiner. On comprend pourquoi. Le marteau et la faucille deviennent souvent des objets de violence. Le goulag est bien sûr un sujet important. En face, l’une des images les plus récurrentes est celle de Marianne. Celle-ci est utilisée par tout le monde, y compris l’extrême droite radicale. Elle permet de signifier qu’il y a du côté de l’anticommunisme le peuple et la nation, du côté du PCF la trahison par une clique au service d’un impérialisme totalitaire étranger.

Dans votre livre, on apprend notamment que l’expression « l’homme aux couteaux entre les dents » provient d’une affiche de 1919. Quelle en est l’histoire ?

C’est une affiche qui a été diffusée de manière massive. Elle a été produite grâce aux fonds patronaux, alors même que le PCF n’existe pas encore, mais qu’à l’évidence la révolution russe a bouleversé les esprits. Son slogan est mauvais, car peu clair, mais le visuel a marqué les esprits par cette façon de présenter la revendication politico-sociale comme le simple surgissement d’une horde de Huns prête au massacre et au pillage. En-soi, culturellement, c’est une affiche de guerre civile.

Comme la fameuse scène de Tintin aux pays des soviets, une grande part des affiches anticommunistes insiste sur le miroir aux alouettes que représente l’Union soviétique. Ces affiches ont-elles joué un rôle dans la déconstruction du rêve communiste auprès de l’opinion publique ?

C’est toujours très délicat de mesurer ce type d’impact. Les Renseignements Généraux font régulièrement des rapports exposant ce qui se dit dans l’opinion publique, ce qui la travaille. Mais, ils n’évoquent pas l’influence de telle ou telle affiche qui ferait jaser. Quand on regarde parallèlement les affiches anti-communistes et communistes (c’est pourquoi Mort aux Bolchos est le pendant de l’excellent Vive les Soviets qu’a publié Romain Ducoulombier en septembre) on voit bien qu’il y a des ripostes et des contre-ripostes sur certaines affiches. Un dessin d’une affiche est repris et détourné pour déconstruire le message de l’adversaire. Cela se trouve surtout dans les années 1950, lorsque le PCF et l’officine anticommuniste Paix et Liberté s’affrontent ainsi à coups d’affiches. On peut en déduire qu’eux ressentent les thèmes dangereux pour leur propagande, quand ils décident de contrer ainsi un document de leur adversaire. On voit d’ailleurs qu’un des thèmes qui provoquent le plus de ces allers-retours entre affiches est le statut à octroyer à la nouvelle Allemagne. Il s’agit d’essayer d’entraîner dans l’un des camps de la Guerre froide en jouant sur la blessure encore ouverte de la Seconde guerre mondiale.

Lors des élections cantonales de 2011, l’UMP a réutilisé les codes graphiques de la propagande soviétique pour dénoncer les « mensonges de la gauche ». Cette iconographie est-elle encore susceptible de sensibiliser l’opinion ? L’affiche anti-communiste a t-elle encore un avenir ?

C’est un marqueur identitaire pour la droite. Cela fait près de 40 ans que le PCF a renoncé officiellement à l’établissement de la dictature du prolétariat, il a participé à des gouvernements fort peu bolcheviques… Mais entre deux gestions municipales de père de famille, il continue lui-même à jouer avec des marqueurs discursifs ou visuels de radicalité. C’est une sorte de « gentlemen’s agreement » en France que de ne pas s’avouer les uns aux autres qu’au fond le PCF est de longue date un parti réformiste.

Propos recueillis par David Doucet

Nicolas Lebourg, Mort aux bolchos, Les échappés, novembvre 2012, Paris.

NB : En septembre 2012, l’historien Romain Ducoulombier avait sorti le premier volet de ce diptyque avec Vive les soviets, un ouvrage consacré aux affiches communistes.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2012/11/2...

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