L’épopée de son de Laurent de Wilde

, par  Stéphane Deschamps , popularité : 3%
JPEG

Dans la salle de musique de Laurent de Wilde – un ancien garage au rez-de-chaussée d’un immeuble parisien –, deux grands pianos se tournent le dos, à touche-touche. Ils ne sont pas fâchés, bien au contraire. Quand on lui rend visite, Laurent de Wilde vient de passer la journée derrière l’un, pendant que Ray Lema jouait sur l’autre. Le double clavier, Laurent de Wilde connaît. Celui du piano bien sûr, qu’il fréquente depuis l’enfance. “J’ai deux grandes sœurs qui en ont joué un peu, puis il a fini dans ma chambre quand j’avais 7 ans, et c’est devenu mon meilleur ami”, dit-il. Un ami pour la vie qu’il a d’abord fréquenté en amateur puis étudié aux Etats-Unis (où il est né), et dont il est devenu un virtuose reconnu et primé dans la catégorie jazz.

“Une nouvelle langue”

De Wilde sort son premier album en 1987. Une quinzaine suivront jusqu’à aujourd’hui, avec, en l’an 2000, le bien nommé Time 4 Change : il y délaisse alors le bon vieux piano acoustique et commence à explorer la musique électronique.

“A la fin des années 90, ça tournait bien pour moi, mais j’avais l’impression de m’encroûter. La musique électronique poussait de partout, à Londres, Berlin, Paris. Une nouvelle langue dans laquelle je reconnaissais le vocabulaire du jazz. Je m’étais toujours intéressé à la technologie : j’avais un Farfisa à 12 ans, j’ai eu les premiers Mac, les claviers Yamaha DX-7 et Roland D-50 quand ils sont sortis. J’ai compris que le son et la musique étaient les deux faces de la même pièce, et j’ai réappris la musique par cette voie.”

Curieux de nature et doté d’une solide formation littéraire (il est passé par Normale sup), Laurent de Wilde aime aussi jouer de l’Azerty pour écrire des livres. Son premier, Monk (Gallimard), date d’il y a vingt ans. Une courte mais intense biographie littéraire du pianiste Thelonious Monk, et un vrai best-seller.

“J’ai eu beaucoup de bons retours sur ce livre, il a eu une aura positive et durable dans ma vie. Bien sûr, tout le monde me demandait quand j’allais écrire le deuxième. J’avais quelques idées, des choses à gratter.”

Un très gros bébé de 560 pages

En avril 2012, invité à un festival littéraire en tant que musicien, il discute avec l’érudit mélomane Bertrand Dicale qui le convainc de creuser sa piste des inventeurs de claviers au XXe siècle. Et c’est ainsi que naquît Les Fous du son, un très gros bébé de 560 pages qui déborde le XXe siècle… et même son sujet. C’est un livre qui commence ainsi : “Tout pourrait commencer avec Edison. Déjà, dans son nom, il y a son. Et si on le prononce à l’américaine, ça sonne. Et dissone.” Un bon début, presque aussi vif et musical que l’incipit du Lolita de Nabokov. Au clavier d’écrivain, Laurent de Wilde ne manque pas d’inspiration.

Ce livre est donc une odyssée documentaire et littéraire à travers plus d’un siècle d’invention : on y croise les pionniers de la transmission électrique du son, les inventeurs de claviers, puis ceux de l’électronique. Martenot, Theremin, Hammond, Mellotron, Wurlitzer, Roland, Yamaha : tous ces noms, tous ces sons que l’on avait croisés sur des disques et des notes de pochette prennent vie à travers l’histoire et les péripéties de leurs inventeurs. C’est aussi une histoire du progrès technologique, du capitalisme, du monde industriel, de la compétition, bref, du XXe siècle.

JPEG

Ces noms-là, ce sont les plus connus. Laurent de Wilde a aussi la bonté de nous présenter les cocus de l’histoire, les anecdotiques édifiants, ceux qui se sont fait piquer les brevets, qui sont morts de passion dans leur garage avec leurs étranges machines. La force de ce livre, c’est la passion et l’émerveillement contagieux qui ont servi de carburant à son écriture. Dans la salle de musique de Laurent de Wilde, il y a un thérémine et un magnifique Fender Rhodes.

“J’ai mis les mains sur une bonne partie des machines dont parle le livre. L’aspect sensible est important pour un musicien, la clé est souvent là.”

Ce gros bouquin idéal pour apprendre en s’amusant, c’est aussi l’histoire de la vie à facettes de Laurent de Wilde – né aux Etats-Unis et de culture française, musicien et écrivain, dans le jazz et dans l’electro. Il rêve maintenant, tout éveillé, d’une déclinaison sur disque et sur scène de ses Fous du son, qui serait “la convergence de tout ce que j’ai en moi”. Il rêve aussi, depuis longtemps, d’écrire un jour le livre le plus drôle du monde. Et on l’en croit capable.

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/06/1...

Publications Derniers articles publiés

Sites favoris Tous les sites

84 sites référencés dans ce secteur