L’incroyable histoire du “kiosquier de Charlie”, braqué par les frères Kouachi

, par  Julien Rebucci , popularité : 3%
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((c)DMITRY KOSTYUKOV/The New York Times-REDUX-REA)

“Je devais trouver un angle original. Je me suis alors souvenue d’un petit article paru dans Le Parisien qui racontait cette histoire du marchand de journaux de Cabu et Wolinski qui avait été braqué par les frères Kouachi. J’avais trouvé la coïncidence incroyable et j’ai eu cette intuition que Patrick pouvait porter ce livre.” Patrick, kiosquier parisien de 68 ans est le héros du livre sorti aujourd’hui 7 janvier, Le Kiosquier de Charlie, écrit par Anaïs Ginori, la correspondante parisienne du quotidien italien La Repubblica.

Son kiosque, situé dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, entre les mythiques Flore et Deux Magots, était fréquenté quotidiennement par Cabu et Wolinski, avec lesquels il aimait toujours discuter de l’actualité, alors que souvent comme le note Anaïs Ginori, “personne ne s’intéresse aux kiosquiers. J’en ai été témoin : ces gens qui ne disent pas bonjour, demandent des informations et partent sans dire merci”.

Le 7 janvier 2015, après sa matinée de travail, il monte dans sa Clio grise pour rejoindre son logement au nord de Paris, de l’autre côté de la Seine. Au même moment, deux terroristes, Saïd et Chérif Kouachi sèment la mort dans les locaux de Charlie Hebdo, dans le XIe arrondissement. Parmi les 12 victimes à l’intérieur de la rédaction se trouvent deux de ses fidèles clients, les plus célèbres dessinateurs de la presse satirique française.

“Descends, on a besoin de ta voiture”

Aux alentours de midi, les frères Kouachi quittent le XIe arrondissement et tentent de fuir Paris par le nord, à bord d’une C3 noire. Dans le XIXe arrondissement, ils décident de changer de voiture, abîmée par la course-poursuite. C’est alors qu’ils croisent la route de Patrick. “Descends, on a besoin de ta voiture”, ordonnent, mais de manière très calme, les deux terroristes. Patrick, tout aussi calme, s’exécute. Mais la vieille Clio cale, offrant un laps de temps inespéré au kiosquier pour ouvrir la porte arrière et y récupérer son chien Gabin.

Une maîtrise de soi qui ne surprend pas Anaïs Ginori : “En le fréquentant, j’ai découvert qu’il était comme ça dans la vie de tous les jours. D’ailleurs, il n’a pas souhaité relire mon travail, il me faisait confiance. Je le vois beaucoup ces jours-ci pour la promotion. Nous sommes devenus amis. C’est une belle rencontre.”

“J’avais cette envie, comme une nécessité de faire autre chose”

Anaïs Ginori, correspondante à Paris depuis deux ans et demi pour le quotidien La Repubblica a été l’une des premières journalistes à se rendre devant les locaux du journal satirique et se retrouver devant “cette scène de guerre qui l’a marquée à jamais.” Son livre, Le kiosquier de Charlie, est un témoignage poignant et subjectif, sobre sans tomber dans le racoleur d’une semaine qui a marqué la France à jamais.

“J’ai écrit de nombreux articles sur ces attentats pour La Repubblica mais j’avais cette envie, comme une nécessité d’écrire autre chose. Il me restait quelque chose dans ma plume”, explique la journaliste de 40 ans qui a posé ses bagages à Paris depuis deux ans et demi pour, ironie du sort, ne pas se retrouver sur des territoires en guerre.

Il est vrai que, parmi la kyrielle de livres parue pour ce triste premier anniversaire, le livre d’Anaïs Ginori détonne. Pas d’explication sociologique, d’enquête sur le profil des terroristes ou de luttes sur l’héritage de Charlie Hebdo ; à travers Patrick le kiosquier, la journaliste a voulu prendre le contre-pied des livres d’”experts”. Le résultat est probant, juste sans en faire trop, à l’heure où les commémorations se multiplient et où la crainte du sensationnalisme se fait sentir.

Surtout, outre les attentats, outre Patrick, Anaïs Ginori nous raconte une belle et émouvante histoire de la presse papier. Pour ce récit, elle est allée à la rencontre de Michel Catalano, le patron de l’imprimerie CTD de Dammartin-en-Goële où les deux terroristes ont terminé leur fuite le 9 janvier, ou encore Ali Akbar, le dernier vendeur de journaux à la criée de la capitale. “Les rencontrer représentait un fil rouge très important pour raconter l’histoire de la presse de la crise qu’elle traverse et que je vis moi-même comme journaliste. Un journal apparaissait autrefois beaucoup plus comme une œuvre collective qu’aujourd’hui, déplore cette amoureuse du support papier, avant de conclure par cette touche d’espoir : Je suis convaincue que la culture permet un partage d’humanité et d’échange entre les personnes.”

Julien Rebucci

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Le Kiosquier de Charlie, par Anaïs Ginori, éd. Equateurs, en libraire le 7 janvier, 15€

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2016/01/0...

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