Le milieu electro est-il sexiste ?

, par  Louis-Julien Nicolaou , popularité : 2%

Nina Kraviz dans le documentaire "Between the Beats"

Des filles vantées comme “hot” avant de l’être comme DJ, Spinnin’ Records postant sur Twitter la photo d’une platine-plaque de gaz spécialement conçue pour ramener les femmes DJ à la cuisine, un fol émoi autour de quelques secondes de film présentant Nina Kraviz plongée dans un bain moussant, et partout sur le net, des photos de femmes DJ se faisant des mamours entre elles ou jouant des platines les sein à l’air… force est de reconnaître qu’aujourd’hui encore, prise au premier degré ou parodique, la représentation de la femme DJ reste largement, au mieux fortement sexualisée, au pire franchement sexiste.

Si personne n’osera parler de ségrégation entre les hommes et les femmes qui y évoluent, il n’en reste pas moins beaucoup plus difficile pour les femmes de s’affirmer dans le milieu electro, surtout s’il leur prend l’envie de sortir des stéréotypes construits par la fantasmatique masculine. D’ailleurs, les chiffres – ou leur absence – parlent d’eux-mêmes. Récemment, le magazine économique Forbes a publié un recensement des 12 DJ les mieux payés au monde (sur une période allant de juin 2012 à juin 2013) : pas une fille à l’horizon. Dans les programmations des grands festivals, idem, la domination masculine est écrasante.

Prisonnières des clichés machos dans les clips et l’imagerie promotionnelle, les femmes de l’electro seraient-elles également négligées en tant que musiciennes à part entière ?

“Les femmes DJ existent, nous explique Alice Cornélus, présidente de WMN ! (Women Multimedia Network), mais on les voit peu. Il y a un potentiel créatif qui n’est pas du tout utilisé.”

Clichés sexistes

En fondant WMN !, Alice a voulu œuvrer à la représentation et à la diffusion d’artistes féminines dans le domaine de la musique électronique et des arts numériques. Un vaste chantier : “Les filles qui accèdent à la notoriété bénéficient souvent d’un réseau de relations ou d’un parrainage. D’autres jouent de leur physique, adoptent les codes de la fête et prennent les poses de ces filles déshabillées que l’on voit faire le show à Ibiza… Cela jette le doute sur certaines carrières. Nina Kraviz s’est ainsi vue critiquée par des femmes DJ qui ont posé la question : ‘Pourquoi elle et pas nous ?’ et n’ont trouvé comme éléments de réponse qu’une jolie plastique et un sens très sûr des affaires.”

Sexe et pognon : le stéréotype de la “bitch” popularisé par le gangsta rap n’est pas loin et même les plus talentueuses DJ ou productrices en pâtissent. Quand The Drone s’intéresse à Xosar, il ne manque pas d’insister sur “sa plastique de top-model slovène”. L’expression se veut humoristique, mais le cliché reste actif et masque la réalité, à savoir que de nombreuses femmes, belles ou non, participent depuis longtemps au mouvement electro.

“Des femmes comme Ellen Allien ou Anja Schneider ne doivent leur réussite qu’à leur pugnacité. Elles ne sont jamais tombées dans les clichés sexistes. Mais ce sont des cas encore trop rares. Pourquoi ne parle-t-on jamais des pionnières de la musique électronique, comme par exemple Stacey Hotwaxx qui, sans avoir une carrière comparable à celles de Derrick May ou Kevin Saunderson, est une figure importante de la scène de Détroit ?”

“Ce n’est pas une question de genre, c’est une question de visibilité”

L’organisation en collectifs de filles DJ est d’abord née de ce manque. Si elle assume son féminisme, Alice se tient toutefois à distance du militantisme lesbien (qui a permis l’éclosion de DJ comme Chloé et Jennifer Cardini, aventurières du Pulp aux côtés de Sextoy), essentiellement par souci de ne pas cloisonner l’electro en différentes minorités. “Ce n’est pas une question de genre, c’est une question de visibilité”, martèle-t-elle. Et de citer l’exemple de la DJ autrichienne Electric Indigo, initiatrice du collectif “Female Pressure” et du festival berlinois du même nom, dont la programmation exclusivement féminine répond non pas à une revendication identitaire mais à la nécessité d’amener à la lumière le travail de DJ encore trop méconnues. Suivant ce modèle, l’objectif de WMN !, auquel adhère de plus en plus de jeunes DJ, est de donner à l’electro une plus grande diversité et de lui rendre une qualité que sa récupération partielle par le mainstream a quelque peu entamée.

“Moins reconnues, les femmes ont souvent une démarche plus artistique. Elles sont plus proches de leur public et aident au renouvellement de l’underground. Et puis, on entend une musique d’une telle qualité dans les festivals féminins…” La jeune femme en perd ses mots. Car c’est bien de cela qu’il s’agit d’abord et avant tout : la musique comme passion universelle, indifférente aux genres. L’avenir de l’electro pourrait bien être féminin. Encore faudra-t-il admettre que si les femmes DJ sont terriblement excitantes, ce n’est pas en premier lieu une question de corps. Beaucoup sont simplement d’excellentes musiciennes.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/11/0...

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