Manger bio n’est pas un choix

, par  lapinardotheque , popularité : 2%
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J’ai tapé « bouffe » dans google <3

*du moins pas au sens premier

Cet article ne va pas spécialement parler de vin, mais de bouffe, de cuisine, et de tous ces trucs de bonnes femmes (sarcasme inside).

Hier, je lisais dans un papier que si environ 80% des français soutiennent les agriculteurs en colère contre la pression sur les prix, 80% des français continuent à fréquenter les grandes surfaces. Cherchez l’erreur : avec un raisonnement simpliste, on pourrait se dire « il suffirait de ne plus acheter pour que ça ne se vende plus ».

Sauf que on ne peut juste pas raisonner en ces termes : s’il y a bien une frange de population qui va en grande surface par paresse (oui, ça existe), les raisons qui poussent les gens à fréquenter les linéaires sont multiples. Avant d’engueuler les gens, il serait bon de faire son propre examen de conscience.

C’est ce que je me suis dit en lisant Gâteaux et révolte, le nouveau blog cuisine qui en a dans le gras (excuse my french).

Une journée tranquille dans la vie d’une femme, pas plus malheureuse ni pauvre qu’une autre. 4 personnes à nourrir, 2500 € de salaire à deux, 99 € d’allocations familiales, 800 € de loyer, les assurances, les impôts locaux, internet, le téléphone, l’électricité, le fuel dans cette maison mal isolée (2000 litres par an), l’eau, l’essence pour aller bosser, la bouffe, les fournitures courantes. On ne va pas au restau, on ne part pas en vacances mais on s’en tape, c’est pas important pour nous, ça ne l’a jamais été.

Lisez, vraiment, prêtez-y attention. Parce ce qu’elle raconte, c’est le quotidien de plein de gens, plus qu’on ne le pense certainement.

Elle me pousse à m’interroger sur mes propres pratiques :

Depuis plusieurs mois maintenant, je suis – enfin (sentez comme il sonne comme un soulagement ce « enfin ») passée aux paniers de la ferme. Pour ceux qui ne connaitraient pas : il s’agit d’une sorte de centralisation de commandes que tu passes à plusieurs fermes chaque semaine, que tu règles par avance, et que tu vas chercher une fois par semaine dans ton point de collecte. Pour moi, c’est hypra-pratique : l’offre est fournie, variée, les légumes sont bios et bons (avec les avantages et inconvénients dont je vais parler plus tard), les produits laitiers (yaourt, beurre, lait, oeufs) sont bios et sans conservateurs, même les pots qui contiennent le yaourt sont biodégradables. Sans être zéro déchet, on y est presque : les sacs de transports réduits au minimum sont en papier, les légumes ne sont pas sur-emballés de plastique, et pour l’empreinte carbone on est sur du pas grand chose puisque c’est local et que la ferme la plus éloignée du groupement est à max 20 kilomètres.

Je ne changerai ça pour rien au monde : j’ai retrouvé un goût, le putain de goût des carottes – que je ne mangeais plus jamais crues depuis des lustres, parce que sans goût- celui de plein de légumes connus et inconnus. J’avoue, je ne connaissais pas le persil tubéreux, et mal la betterave, je n’avais jamais cuisiné de tétragone, ou de courge spaghetti.

Je me suis aussi sentie de perplexe à complètement concon parfois avec certains légumes : comment ça se nettoie/ cuisine ça ?

J’ai fait des recherches, appris des trucs, repenser ma façon de cuisiner.

Tout ça, c’est le positif.

En revanche : nettoyer des légumes pas calibrés, biscornus, plein de terre, c’est chiant. Et ça prend masse de temps. Recevoir deux kilos de haricot parce que le panier est calibré comme ça, c’est chiant quand t’aurais besoin de 600 grammes. Alors on portionne, on blanchit, on congèle et ça sert de dépannage les soirs pressés. On s’en sort, on s’organise. Perso, je sais que le mardi soir, je prévois un repas « rapide » car j’ai au moins trois bon quart d’heure de nettoyage/ portionnage/ conditionnement de légumes devant moi hors préparation du diner : je fais des pâtes, ou un truc qui « cuit tout seul ». J’anticipe donc le lundi. De façon générale, j’anticipe énormément : je précuis les chicons la veille pour les chicons au gratin, pendant que les patates du jour cuisent, etc. le panier de légumes/fruits/fromage/yaourt me coûte plus cher. Oui, mon budget bouffe s’en trouve alourdi. C’est un fait, y a pas à tortiller du cul : même si je récupère un peu en jetant moins par exemple. Tous les légumes un peu moches passent en soupe, ou en purées. Je réfléchis vachement plus à mes menus, donc là aussi je gâche moins, en comptant exactement ce dont j’ai besoin par semaine. Je gaspille aussi moins d’emballage, et je ne prends plus la bagnole pour aller chercher ces courses là, puisque le point de collecte est à 500 m de ma maison/ mon travail. Je ne consomme pas de plats cuisinés tous prêts : gain d’emballage, et pour mes artères, moins de sel. Si je calcule à la grosse louche, je crois que niveau budget, j’y perds tout de même.

Pour le reste de mes courses, il y a -encore, mais pour combien de temps ?- un boucher dans le village, un super crémier sur le marché. Tout ce qui est produit d’entretien, et eau minérale, PQ, c’est grande surface : j’irai bien en épicerie s’il y en avait une près de chez moi, mais elles se sont fait bouffer par les grandes surfaces. D’ailleurs, mon village comptait jusqu’il y a peu trois boulangeries, une crèmerie, un primeur. Il ne reste de toutes ces enseignes qu’une boulangerie.

Je vais en grande surface, oui, pas pour le prix, mais parce qu’il m’est difficile de faire autrement, ici. Et même, mea culpa, parfois j’achète des saloperies de biscuits industriels bourrés d’huile de palme (ho lord), parce que je n’ai pas toujours le temps de faire moi-même les goûters voire des bananes parce que bizarrement, en agriculture locale, j’en trouve pas.

Je suis une privilégiée : je peux me permettre de faire ces choix, même s’ils impliquent de faire une croix sur des sorties supplémentaires, sur des fringues de marque. Ils n’empiètent pas sur des budgets vitaux.

Je bosse six jours sur sept, j’ai deux enfants, et je rentre tous les soirs à 19h. Mais :

Je démarre à 9h15 le matin car j’habite à 500 m d’où je bosse, et en plus, c’est moi le boss.

Je peux prendre sur mon temps de travail pour passer mes commandes sur le net, pour le point ferme (et le café bio, que j’achète en ligne, d’ailleurs, aussi).

Je passe environ 3/4 heures le soir, à cuisiner : parfois c’est plus long, parfois pas. J’ai pris aussi l’habitude d’adapter ma cuisine pour pouvoir faire deux choses en même temps. Quand le poulet est au four, avec les patates, je peux aller donner le bain.

J’ai une femme de ménage (je m’en sens coupable, mais vu le temps que je passe hors de la maison, je préfère rationaliser celui que je passe à l’intérieur en faisant des choses qui me plaisent, comme cuisiner)(ça a un coût, et bordel de dieu, j’espère bien que je pourrais continuer longtemps à ne pas m’en inquiéter).

Je couche les enfants à 21h : eux ça leur convient, moi ça me laisse deux heures pour cuisiner et diner puis en profiter un peu.

Bref, tout ça pour dire : on peut pour des tas de raisons expliquer à quel point le système de la grande distribution est oppressif, à la fois pour les gens qui en vivent (fournisseurs et salariés). On peut ériger en modèle le petit agriculteur bio, les consommations éthiques, locales, et en circuit court. Dans un monde idéal, ce serait le fonctionnement rêvé : qui ne voudrait pas bénéficier d’une alimentation saine, bio, sans cochonneries, tout en faisant vivre le tissu économique local, redynamisant les commerces de proximité, en accord avec des convictions profondes d’égalité entre les citoyens et de respect de la planète ?

On peut bien sûr gueuler contre le système : gardons tout de même à l’œil que nous sommes tous le système, et en sortir n’est pas si simple. D’un point de vue féministe, on peut aussi se demander s’il est bien opportun de stigmatiser encore plus les femmes (spoiler : ce sont elles en majorité qui s’occupent des courses) : leur demander d’encore se sacrifier en cuisine, d’effectuer de triples journées, pour finir sur les genoux, dans l’hypothèse où elles arrivent à boucler les fins de mois. Hommes, ce que vous pouvez faire de féministe, de concret, c’est peler les patates : si si, je vous jure, on vous respectera d’autant plus.

Je n’ai pas de solution miracle : j’aimerai pouvoir offrir un autre monde à mes enfants. J’espère que les scandales sanitaires successifs, les reportages à charge, feront peu à peu un travail de sape. J’espère que ce système-là va se casser la gueule, nous obligeant à en reconstruire un nouveau, plus propre et plus humain. J’espère qu’un jour on pourra nourrir la planète avec des aliments bios, bons. J’espère qu’un jour les choix alimentaires ne se poseront plus en termes de budgets ou d’accessibilités. J’espère qu’un jour ce seront de vrais choix.

Si tu es économiste et que tu tiens la solution miracle, balance !

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