Mouloud Achour : le Peter Pan de Canal +

, par  Alexandre Comte , popularité : 2%

Mouloud Achour (photo Maxime Bruno/Canal+)

Il est timide mais te déclare ça droit dans les yeux, sérieux, presque grave – petit sourire aux lèvres quand même, regard malicieux : “Un adulte c’est un enfant triste.” Triste, Mouloud Achour ? Parfois. Heureusement il a trouvé une parade. L’adulte de 33 ans est resté en très bons termes avec l’enfant qu’il a été. Parce que grandir, c’est bien, élargir le champ des possibles, étirer l’espace physique – passer de la banlieue de Noisy-le-Sec à Paris puis au vaste monde – ok. Mais pourquoi refermer la grille du premier des terrains de jeu, tirer un trait sur les superpouvoirs de l’imagination enfantine ? Mouloud a conservé le goût de l’émerveillement. Il n’y a qu’à l’entendre énumérer ses films fétiches : Les Goonies, L’Histoire sans fin, les films de Carpenter, les films de Kung-Fu… Cette année encore, son coup de cœur va au blockbuster de Guillermo Del Toro, Pacific Rim. “L’histoire est toute pourrie mais il y a des robots qui portent des bateaux, c’est cool.” Il rigole. Il ne faut pas se tromper, Mouloud n’est pas un adolescent retardé. Plutôt un enfant précoce. Son ami Hi-Tekk du groupe La Caution a grandi avec lui : “Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il avait 12 ans. Il était déjà vif, malicieux : il n’a pas beaucoup changé en fait.” C’est un compliment.

Génération spontanée

Ses vingt premières années, il les passe à Noisy-le-Sec donc, au nord-est de Paris, aux abords d’une cité. Son père est ouvrier, sa mère à la maison. Et juste en bas de chez lui, il y a la caverne d’Ali Baba : le magasin de jeux vidéo. Mouloud s’y pointe tous les jours, dévore la vitrine des yeux. Pour s’en payer quelques-uns, il revend des cartes Dragon Ball Z : “J’ai toujours été nul en business”, concède-t-il. L’enfance se passe, paisible : “La vie en cité, c’est seulement rétrospectivement que tu te rends compte que c’est relou. Tu passes vingt ans avec les mêmes têtes, c’est une vie à cent.”

Malin, le jeune Mouloud cultive des passions qui peuvent – selon l’humeur – se pratiquer en solo ou bien se partager : les comics, les mangas, les jeux vidéo, le cinoche. Et puis la musique. À 16 ans, il décroche une émission sur Fréquence Paris Plurielle, une radio associative. Il passe des morceaux de hip-hop et très vite ça tourne à l’explication de texte, ça discute politique, société. C’est son truc, déjà, à Mouloud : partir de la culture pour dire quelque chose sur le monde. Il reçoit les grands frères rappeurs de La Caution. Hi-Tekk se souvient :

“On a tous les deux accroché. Il était créatif, brillant… Sans qu’on s’en rende compte, il est devenu notre manager.”

Les trois amis créent le label Kerozen. Ils fréquentent la clique de Kourtrajmé, “une génération spontanée”, dit Mouloud : des jeunes issus d’univers différents – enfants des cités et fils de bourges – qui ensemble s’emparent de moyens de production pour raconter leurs histoires à travers le cinéma. Mouloud est dans son élément. Mais lui se verrait plutôt journaliste. Il passe son bac ES et s’inscrit en fac de droit. Il obtient une bourse… qui servira à produire une mixtape de La Caution. Tant pis pour l’école de journalisme. Ses armes, il préfère les faire en écrivant dans le regretté magazine de hip-hop Radikal. Pour son premier papier, on lui demande de mettre en avant un jeune artiste inconnu. Il écoute des tas de mixtapes et décide de miser sur… Rohff. Mouloud a le flair pour dénicher les talents. Hi-Tekk dit : “Il aime aimer les choses, mettre en lumière les gens”.

“Je pensais que Gollum me voulait du mal”

En 2003, Ariel Wizman le contacte pour réaliser un documentaire : La face B du hip-hop. Séduit, l’animateur lui demande d’écrire des textes pour l’émission 20H10 pétantes sur Canal +. Ça tourne mal : le producteur refuse de le payer, persuadé qu’il est pistonné, que ce n’est pas lui qui écrit. “Il disait : le petit gros là-bas, il n‘y arrivera jamais”, se souvient Mouloud. Des mots qui blessent, qui brisent.

“J’ai fait une dépression. Je suis resté enfermé chez moi pendant six mois, dans mon 6 m2 parisien, avec ses murs tordus et ses toilettes explosées. Je me nourrissais de Kinder Pingui. J’avais un poster de Gollum, je pensais qu’il me voulait du mal.”

Petit à petit, il émerge. Son ami écrivain Karim Boukercha dit : “Mouloud est fragile mais il est insubmersible”. Voilà qu’il tombe sur une petite annonce de MTV. La chaîne cherche un présentateur bilingue. Comme l’anglais n’est pas son fort, il appelle sa pote américaine China Moses. Avec les copains de La Caution derrière la caméra, ils bidouillent une petite vidéo déjantée. Ça marche : la direction américaine est séduite, Mouloud obtient son émission. Avec le flair qu’on lui connaît, il s’entoure de jeunes inconnus plein d’avenir : Fabrice Eboué, Géraldine Nakache… Ça rigole, c’est sympa, mais Mouloud veut aller plus loin. “Je voulais me reconnecter à du sociétal”, explique-t-il. La direction voit les choses autrement et refuse un sujet sur les émeutes de banlieue en 2005. “J’ai relu mon contrat. Une clause stipulait que même si j’arrêtais en milieu de saison, je serais payé pour toute l’année.” Il claque la porte.

Beat Mouloud

Retour à la case chômage donc. Nouvelle dépression. Nouvelle bonne idée : il embarque une caméra, interviewe Jean-Marie Le Pen à l’arrache, et envoie la cassette à Canal +. Paf, il est embauché à La Matinale. Deux ans plus tard, le Grand journal vient le chercher. “J’y suis allé pour m’éclater.” La grosse machine cathodique ne l’impressionne pas, Mouloud sait s’adapter : “Ce n’est pas le pays des Bisounours. Mais l’ambiance était bonne.” Il assure : “Je ne me suis pas perdu. Je faisais ce que je voulais, avec des gens que j’admirais”. À commencer par le boss, Michel Denisot : “Un vrai bonhomme. On a mis un an et demi avant de se parler, trois ans avant de faire des trucs ensemble. C’est le plus pro, le plus brillant. Il a une classe infinie.” Et puis il y a les moments de grâce. Comme cette rencontre avec l’acteur-réalisateur nippon Takeshi Kitano, son héros, son modèle, un mec comme il les aime, “un artiste total”, capable de faire rire, de faire pleurer. “On a parlé et à la fin on s’est pris la main, on s’est regardé… On avait tous les deux les larmes aux yeux.

On ne peut pas raconter Mouloud Achour sans évoquer le Japon. Eldorado du manga, berceau des arts martiaux, pays du Kamé Hamé Ha et des jeux vidéo, what else ? Il en a rêvé enfant, il y est allé adulte. Et comme de juste, c’était un peu triste.

“J’ai un lien spécial avec ce pays, j’y suis allé trois fois : la première fois quand j’ai quitté MTV. La deuxième après une rupture amoureuse. C’est aussi là-bas que j’ai passé mes derniers moments avec DJ Mehdi (producteur/compositeur décédé en 2011 – ndlr). Là-bas que le concept de Clique a germé.”

“Je croyais que t’étais marrant, en vrai”

C’est le niveau supérieur. À partir du 14 septembre, il va prendre les commandes de sa propre émission : Clique, qui sera diffusée le samedi midi sur Canal. “Je ne sais pas raconter le pitch. Disons que ce sont des gens qui s’aiment et qui viennent raconter des histoires”, esquisse-t-il. On ne retient que deux choses : ça parlera culture, sous-culture, contre-culture, et ce sera une émission de bande. A priori, ça lui correspond. Karim Boukercha confirme : “Pour la première fois il a un programme qui lui ressemble vraiment, qu’il a pensé dans ce sens.” En attendant la première, Mouloud ne stresse pas trop. Il vient de relire L’Idiot de Dostoïevski : “c’est parfait avant de commencer une saison télé”. Une fois par mois, il mixe dans un club avec ses potes. A part ça il sort peu, sauf pour draguer. Ça marche moyen, trop timide, trop fleur bleue peut-être. “La première phrase qu’une fille me sort en général, c’est : je croyais que t’étais marrant, en vrai.”

>> A lire aussi : “La Clique” : Mouloud Achour et sa bande à l’assaut de la contre-culture

L’argent de la télé, il le claque dans les trucs qui le faisaient rêver quand il était gosse : un appartement (“j’ai toujours voulu être propriétaire, c’est un truc de banlieusard, de fils d’immigré”), des baskets, des figurines… Et puis, bien sûr, les films et les jeux vidéo. En ce moment il joue à Pikmin.

“Il me faut au moins ma demi-heure de Pikmin par jour. Même quand je finis tard, j’allume la console. Je me dis : tiens, il me manque un fruit.” On rigole. Il poursuit : “La meuf idéale, c’est celle qui me dirait viens chéri on rentre à la maison, il faut qu’on aille chercher des fruits dans Pikmin.”

La conversation se prolonge, et c’est pile au moment où il assure qu’il n’est pas devenu “un connard de la télé” que son verre de Coca Light éclate en mille morceaux entre ses mains. Il nous regarde, éberlué. “Il s’est passé un truc de X-Men là. C’est Dieu qui me dit : continue ta mission !” On rigole encore. On remet la tristesse à plus tard.

Cet article est repris du site http://www.lesinrocks.com/2013/09/1...

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