PolitiKart

, par  Bruno Lévy , popularité : 3%

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Gisemina avait légué à sa petite fille Amélia un appareil photo qui avait appartenu à Andy Wahrol et qu’il avait oublié à la colonie. Staniero , revenu d’Italie quelques vingt ans auparavant , l’avait au début conseillée sur le choix des pellicules et lui avait donné quelques cours de dessin. La petite fille ,qui avait maintenant dépassée la cinquantaine, était restée fidèle à l’esprit du vieil appareil, qui avait été chargé des utopies de la vieille dame. Elle procédait numériquement à l’obtentation d’un résultat similaire.

Staniero ce jour là, aout 2015, attendait le président de la République à Saignon, Vaucluse. Il devait écrire une dépèche pour Abakian-Presse , sur cette visite privée , plus un billet d’humeur qu’une dépêche formelle. Il venait de voir Gisemina à Longo MaÏ , elle vivait dans cette communauté depuis 75, était toujours en forme , au moins intellectuellement pour une veille dame de 95 ans.

Sur la place du village il était seul, dans la stupeur ensoleillée caniculaire. Les vacances présidentielles restaient privées, et c’était à ses contacts et relations travaillées sur un demi siècle et plus, qu’il avait pu négocier ce rendez vous.

Quand il entendit le bruit des véhicules , motards et voitures, il sut. Il avait toujours eu un bon contact avec le président, mais il voulait évoquer avec lui des informations que lui avaient communiquées Gisemina. Ses réseaux anti facistes étaient actifs , et avaient rassemblé de nombreux documents prouvant l’existence d’une entraide néo faciste européenne, association non plus seulement d’idées mais de moyens allant de la finance à la création de camps d’entrainements dans la région sud. Grecs, autrichiens, croates, italiens et français échangeaient compétences , visées politiques, se préparaient activement à l’élaboration de "Une Autre Europe", une tentative globale de putsch européen.

Le président était un homme affable et préoccupé qui s’entretint longuement avec Staniero, écoutant et partageant ses visions sur l’avenir. Il n’y avait qu’eux sur la terrasse du café et quand Staniero prit congé, l’amie du président sortit de la voiture pour le rejoindre. L’un comme l’autre n’entendirent pas les discrets cliquêtements de l’appareil d’Amalia qui s’était cachée derrière une fenêtre mitoyenne au café.

Dix minutes plus tard, Amalia rentrait sur la place du village, un innocent boitier à l’aspect vieillot sur l’épaule. Elle feint un regard surpris vers la terrasse, s’avance et demande si elle peut faire un portrait.

Ils allaient partir, se lèvent, acquiescent, elle leur demande de se tenir contre le mur, là, deux photos, en pied, peut être trois, elle sourit timidement, remercie.

Elle avait parlé avec sa grand mère de guerilla, d’infiltrations politiques, elle voulait ces photos pour les travailler, les peindre peut être, portrait en pied sur fond de mur, une photo simple, pas de sur-jeu, juste la définition exacte des choses. Une photo, un objet à en faire, un objet à avoir, en tête, Amalia allait faire d’eux une peinture naÏve, un Monsieur Président et GirlFriend, acrylique sur plastique, peinture hyperréaliste avec ajouts divers.

La vieille dame regardait sa petite fille, comprenait qu’autre chose se jouait là , que le monde n’était plus cette jungle vierge dans laquelle elle avait pu vivre, elle appelait de ces voeux un renouveau, le monde était un collage, une recherche inaboutie.

Straniero écrivait sa dépèche , il garderait un ou deux éléments pour plus tard, traduisait de manière concise et brève les propos présidentiels qui lui paraissaient significatifs. Au mur, devant lui , il avait l’affiche de PolitiKart de 42.

Son petit fils, Joachim, organisait une exposition dédiée à la colonie d’Ocres à Paris.

Manifeste de l’exposition Ocres :

Elections dans la colonie, bolivie , 1942, programme politiKart de Gisemina, vote à mains levée dans la vallée des Ocres, déjà facilité par les couleurs de chacun, couleurs de terres ou couleurs de bleus.

Le programme PoliKart vouait la vallée à un système communautaire et à une nécessité d’actes artistiques quotidiens, même dans les tâches qui en semblaient bien éloignées , pour Gisemina même ceux à qui incomberaient à tour de rôle les tâches d’éboueurs devraient faire preuve d’humour pour mener à bien leur mission. Tous ceux qui venaient là devaient aider au quotidien et créer une lecture du quotidien. Le jour où chacun devait se conformer aux désirs des autres pouvait être pris au pied de la lettre comme transformée en fuite durant cette journée, et elle menait surtout à des rires.

PoliKart, SexPol, et PetroDollares étaient les trois mouvances de pensées dans la colonie, plus centrées sur une personne, sur une idée, selon leur dominante d’intérêt, plus ou moins vouée à s’ouvrir sur le monde extérieur en fonction de celle ci.

Gisemina réflechissait son action pour qu’elle soit connue , relayée dans le monde, pour faire des choses improbables dans le monde politique classique mais pouvoir mettre en place un débat mondial. La deuxième mouvance, SexPol, était plus autarcique, conduite par un peintre-sculpteur collectionneur de jeunes femmes. La motion PetroDollares tentait de convaincre la communauté d’exploiter le sous sol de la vallée, envisageant que la fortune générale ferait le bonheur général.

Ocriens, Ocriennes, dans la République du Beau, du Moche, rien n’est plus important que la vie que vous y mettrez, et l’inventivité que vous défendrez, la capacité à étonner nos certitudes. Ocriens, Ocriennes, à poil tous et que le rire nous gagne ! Foutez la paix à votre voisin , vivre et laissez vivre ! Créez !

Elle allait vendre PoliKart dans les galeries du monde entier pour financer sa révolution. L’art était une denrée pour lequel le désir était impérissable.

photo : Hilbert Krane, photographe, Marjan Van Geene, costumière.

(c) Bruno Levy

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